Enquête exclusive : le psychanalyste Gérard Miller accusé de viol et d’agressions sexuelles sous hypnose

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Une photo d’elle aux côtés de Gérard Miller circule sur les réseaux sociaux. Tous deux sont assis côte à côte, tout sourire, lors de la campagne des primaires pour la présidentielle au sein d’EELV (Europe Écologie Les Verts) en 2021. La députée écologiste est en effet une amie de Coralie Miller, documentariste, metteuse en scène, militante féministe contre les violences sexistes et sexuelles… et fille du célèbre psychanalyste. Ce dernier a été mis en cause dans nos pages par 22 femmes qui l’accusent de viols et d’agressions sexuelles ; il bénéficie de la présomption d’innocence.

Après nos révélations, Sandrine Rousseau est restée muette huit jours, avant de faire un premier tweet, le 8 février, pour soutenir la parole des victimes présumées. Un silence inhabituel pour la porte drapeau de la cause féministe, silence qui lui a été abondamment reproché par ses nombreux détracteurs.  Elle a choisi ELLE pour se confier pour la première fois sur ses liens avec Gérard Miller, par ailleurs soutien de longue date de Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise (LFI), et sur la « trahison », selon ses termes, de cet homme qui l’a soutenue politiquement. 

ELLE. Pouvez-vous nous expliquer la nature de vos liens avec Gérard Miller ? Comment et dans quel cadre le connaissez-vous ?

Sandrine Rousseau. J'ai des liens assez forts avec Coralie Miller, sa fille, qui est une amie. C'est elle qui m'a accompagnée depuis le début de la primaire. Je connais nettement moins son père, mais je l’ai croisé une ou deux fois, peut-être plus. Il est venu me soutenir à la primaire. Je suis allée deux ou trois fois chez lui, dont une fois pour répéter « Les Monologues du vagin » (pièce mise en scène par Coralie Miller) il y a plusieurs années. On avait eu aussi des discussions politiques.  

ELLE. On vous a reproché de ne pas avoir suffisamment rapidement réagi en vous désolidarisant de lui … Vous avez fait un premier tweet de soutien aux victimes avec le hashtag #miller, une semaine après la sortie de notre première enquête… 

SR. Je demande aussi le temps de pouvoir poser une parole qui a du poids. Ce temps n’est jamais un temps d'hésitation. C'est un temps pour pouvoir encaisser le choc et poser les mots qui permettent de faire avancer.

ELLE. Très peu d’élus ou de représentants des différents partis de la Nupes ont fait des déclarations ou des tweets citant nommément Miller. C’est signe d’un malaise ?

SR. Ça montre une sidération, c'est plus difficile quand cela arrive au sein de votre famille politique. On ne va pas se voiler la face, c’est un silence un peu honteux aussi. On n'est pas fiers d'avoir ça chez nous.

« Il y a de moins en moins de personnes sur lesquelles s’appuyer. C'est comme une île qui serait gagnée par les eaux »

ELLE. De quelle manière, cette histoire secoue-t-elle vos partis respectifs depuis 15 jours ? Est-ce le branle-bas de combat pour avancer sur cette question des violences sexistes et sexuelles ? 

SR. Il y a rarement de branle-bas de combat, surtout sur ce genre de sujets. Et par ailleurs, depuis l'affaire Quatennens, je ne discute plus avec personne de ces affaires. Je mène mon combat ; celles et ceux qui s'y reconnaissent viennent et me soutiennent. Mais sur cette question des violences faites aux femmes et du sexisme, je n’ai pas grand monde sur qui compter. Je suis très seule. Et quand j’apprends les accusations contre Gérard Miller, et bien c’est un soutien en moins parce que Coralie Miller, maintenant, je ne vais plus pouvoir compter sur elle. Je ne sais pas ce que va devenir notre amitié. Probablement va-t-elle prendre de la distance. En fait, c'est comme une espèce de peau de chagrin. Il y a de moins en moins de personnes sur lesquelles s’appuyer. C'est comme une île qui serait gagnée par les eaux. 

ELLE. Vous n’avez donc échangé avec aucune autre députée, en particulier de LFI, sur cette affaire Miller ? 

SR. Non, je n’ai pas croisé Clémentine Autain, ni Raquel Garrido. Et je ne les ai pas appelées. Nous n’avons pas eu d'échange là-dessus. 

ELLE. Venant de deux partis de gauche comme les vôtres qui se disent en pointe sur ces questions, c'est assez incompréhensible. 

SR. Je ne pense pas que nos partis soient à la pointe sur ces questions. Je pense qu'il y a des militantes qui le sont, qui portent ces causes, ça oui.

« Une militante qui témoignerait aujourd’hui contre Gérard Miller, ça ne lui coûterait strictement rien »

ELLE. Alors que Gérard Miller semble avoir sévi dans toutes les sphères de sa vie publique et privée, nous n’avons reçu aucun témoignage de militantes politiques…

SR. En effet, c'est une question. Peut-être savait-il que ce n'était pas dans ce milieu-là qu'il fallait le faire. Toutes les témoins que vous citez dans vos articles étaient des femmes qui n'avaient aucune instance vers lesquelles se tourner. Alors que dans un parti c'est différent, on peut toujours alerter la direction. La deuxième hypothèse, c'est qu'il y a des militantes qui n'ont pas parlé. J'ai du mal à le croire aujourd'hui parce que les choses ont quand même suffisamment évolué. Et Gérard Miller n'a plus de position chez LFI qui empêcherait une prise de parole. Son influence a été grande, elle l’était beaucoup moins ces dernières années. Il s'est disputé avec Mélenchon, j'ai même le souvenir qu'il m'avait dit qu'ils ne se parlaient plus du tout. Une militante qui témoignerait aujourd’hui contre Gérard Miller, ça ne lui coûterait strictement rien. 

ELLE. Avant nos révélations, aviez-vous des doutes sur Gérard Miller ? Auriez-vous pu imaginer de telles accusations ?

SR. Non, pas de cette ampleur-là. Cela étant, j'ai des doutes sur tout le monde et c'est un de mes problèmes. En 2017, j’avais créé une adresse mail pour recueillir des témoignages de victimes. J’ai reçu des milliers de messages, et j’avais vu passer son nom, mais comme la CNIL m’a demandé de fermer cette adresse, je n’ai pas pu les ouvrir, ni donner suite. 

ELLE. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris nos révélations à ce sujet ?

SR. J'ai tout de suite pensé à Coralie. Je lui ai envoyé un message. J'étais assommée, déçue, en colère. Mais compte tenu de mon histoire avec Coralie Miller, il me semblait juste et sain d’avoir un échange avec elle avant toute prise de parole publique.  Elle a refusé d'échanger avec moi d'ailleurs, sauf par SMS. Et bien sûr, j’ai pensé aux femmes qui ont eu le courage de parler. 

« Quand, j'ai lu votre premier article et puis votre second, je me suis dit : "Que vont penser les femmes d’avoir Vu Gérard Miller s’afficher avec moi ?" Je leur présente mes excuses, même si je ne savais rien »

ELLE. Estimez-vous avoir été trahie par Gérard Miller ?

SR. Absolument, totalement, fondamentalement. Vous savez, j’ai l’habitude de ces hommes qui viennent s’acheter une crédibilité féministe en s’affichant avec moi. Lors de ma primaire, j’ai dû faire virer quatre hommes parmi mes soutiens, pour des comportements problématiques. Pour l’un d’eux, j’ai même dû faire un signalement au procureur car cela concernait une mineure. Mais quand, j'ai lu votre premier article et puis votre second, je me suis dit : « Que vont penser les femmes d’avoir Vu Gérard Miller s’afficher avec moi ? » Je leur présente mes excuses, même si je ne savais rien ; mais je pense que, pour elles, ça a été dur de voir ça. 

ELLE. Vous pensez que c’est à vous de vous excuser alors que lui-même nie toutes les accusations ? 

SR. Cela fait partie du problème de la position que j'ai : on me demande énormément de choses, y compris des choses qui me mettent moi-même très en danger. Souvenez-vous de l'affaire Julien Bayou et de ce que j'ai pris dans la tête, y compris des menaces de mort devant ma fille, ce que j'ai pris au moment de l'affaire Baupin, puis de l'affaire Quatennens, où je me suis quand même coupée d'une partie de mes soutiens politiques. Ce sont toujours les femmes qui payent le prix à la fin. Par exemple, on ne demande pas de comptes à Laurent Ruquier à propos de Gérard Miller !

ELLE. Justement nous l’avons sollicité pour le rencontrer après notre enquête, il nous répondu qu’il ne répondrait à aucune question pour ne pas blesser les victimes présumées ni Gérard Miller. D’ailleurs, Vous êtes-vous expliquée avec lui à ce sujet depuis ? 

SR. Avant la parution de votre enquête, il a envoyé un mail à toutes ses connaissances. Je ne l’ai pas lu.

« J'ai envie d’hurler ! De lui dire : "Vous ne vous rendez pas compte du mal que vous faites, c'est odieux !" » 

ELLE. Comme Denis Baupin, dont vous avez été victime, Gérard Miller a beaucoup mis en avant ses positions progressistes notamment à propos de #Metoo et des violences faites aux femmes, qu’est-ce que cela vous inspire ?

SR. J'ai envie d’hurler ! (Elle le répète trois fois). De lui dire : « Vous ne vous rendez pas compte du mal que vous faites, c'est odieux ! » 

ELLE. On vous sent très émue…

SR. Oui, parce que c'est une question de confiance. A qui peut-on faire confiance en fait ? Si même les alliés s'avèrent être des agresseurs ou des violeurs potentiels, sur qui s'appuyer ? Ça devient un problème humain : c'est un combat dans lequel on ne peut compter sur aucun homme.