Pfff... fatigant... exténuant...
Que certains se soient interrogés sur les causes du décès de Jean-Luc Lagardère le 14 mars 2003, je le comprends d'autant mieux qu'il y avait déjà eu mon cas l'année précédente, avec un début identique quoique moins brutal : je brûlais de partout et finirai d'ailleurs moi aussi par tomber dans le coma à défaut d'avoir pu me soustraire aux flammes de l'Enfer - en fait un problème neurologique consécutif à un empoisonnement criminel. Il était possible d'envisager que Jean-Luc Lagardère ait reçu une dose plus forte du même poison, ou qu'il était en moins bonne condition physique que moi un an plus tôt.
Mais après... Pfff... fatigant... exténuant...
https://www.lexpress.fr/politique/les-coulisses-d-une-affaire-d-etat_487596.html
Les coulisses d'une affaire d'Etat
Un homme croit savoir comment Jean-Luc Lagardère, l'emblématique patron de Matra- Hachette, a trouvé la mort, le 14 mars 2003. Il aurait été assassiné par la mafia russe, avec la complicité de deux importants hommes d'affaires français. Ainsi, Jean-Luc Lagardère ne serait pas décédé de mort naturelle, contrairement aux expertises médicales censées l'avoir établi.
Fort de cette intime conviction, ce personnage, soucieux de dénoncer les auteurs d'une abominable conjuration, se serait transformé en corbeau. Cette thèse ahurissante constituerait l'une des clefs de la sulfureuse affaire Clearstream, qui recèle tous les ingrédients d'un ébouriffant polar politico-financier. Un polar où s'entrechoquent lettres anonymes, haines féroces, luttes d'influence au sein du plus grand groupe européen d'aéronautique, listings de comptes bancaires avec, en prime, l'apparition de noms de grands patrons et d'hommes politiques français.
Cette histoire - dans laquelle mensonges, semi-vérités et coups tordus sont légion - a même pénétré les palais de la République en débouchant sur un affrontement sanglant entre Dominique de Villepin, ministre de l'Intérieur, et son prédécesseur, Nicolas Sarkozy.
Jusqu'alors ignorée du grand public, l'affaire éclate le 3 mai 2004, lorsque le juge Renaud Van Ruymbeke, qui enquête depuis des mois sur le dossier des frégates de Taïwan, reçoit une incroyable lettre anonyme. Elle commence par ces mots: «Je vous écris pour vous informer de l'existence d'un groupe mafieux comprenant au moins deux personnes auxquelles vous vous intéressez et qui commencent à étendre en France des méthodes de corruption et de prédation qui ont fait tant de mal à la Russie dans les années 1990.»
Puis, évoquant une gigantesque entreprise de blanchiment, mise au point par Clearstream, organisme bancaire luxembourgeois de compensation, le corbeau, décidément bavard, balance trois noms: l'ex-patron de Thomson, Alain Gomez, un de ses collaborateurs, Pierre Martinez, ancien chef de la Brigade financière, et Philippe Delmas, vice-président d'Airbus. Pas moins...
Pour accréditer ses accusations, qui laissent pantois, le corbeau explique que, le 17 octobre 2003, un oligarque russe, patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, a versé 1,150 milliard de dollars sur le compte d'Alain Gomez. Lequel aurait, sur cette somme, reversé à Philippe Delmas 250 millions d'euros via la Cititrust de Bogota (Colombie)... Et ces 250 millions auraient pris le chemin, in fine, de deux banques installées à Boston et dans l'île de Grand Cayman. Conclusion du corbeau: «Il n'est donc pas surprenant que le grand capitalisme américain se soit autant mobilisé pour M. Khodorkovski!»
Une histoire rocambolesque
Qui peut être cette taupe livrant des informations si explosives? Pour les spécialistes, un nom vient immédiatement à l'esprit: celui de Jean-Louis Gergorin. Agé de 58 ans, cet ancien élève de l'X et de l'ENA, à l'intelligence fulgurante et imaginative, a notamment été chef du Centre d'analyse et de prévision du Quai d'Orsay de 1979 à 1984, date à laquelle il intègre le groupe Matra. Devenu rapidement l'un des chouchous de Lagardère, une sorte de fils spirituel, Gergorin participe à l'essor du groupe. Avec, chevillée au corps, une ambition permanente: défendre coûte que coûte les intérêts de son entreprise. Ce qui le conduira à ferrailler violemment contre Alain Gomez, à l'origine, selon lui, de toutes les tentatives de déstabilisation du groupe Lagardère.
La première se déroule de 1992 à 1997, lorsque le président de Thomson, profitant de la faiblesse momentanée du groupe d'armement - du fait de sa fusion contestée avec Hachette et après le fiasco de la Cinquième - aurait monté en sous-main, avec la complicité d'un avocat américain d'origine chinoise, William Lee, une opération destinée à affaiblir Lagardère.
En arrière-plan, il s'agit de barrer la route au groupe Matra, qui souhaite, lui aussi, obtenir une part du gâteau à l'occasion de la négociation de plusieurs marchés d'armement avec Taïwan. Dénommée poétiquement «Couper les ailes de l'oiseau», cette opération, montée par Thomson, débouchera sur une guérilla judiciaire entre les deux mastodontes... Et une haine tenace entre les états-majors des deux entreprises, qui connaîtra son paroxysme au moment de la privatisation de Thomson, finalement mariée à Alcatel et Dassault... alors que Matra était sûr de l'emporter. Cet échec va meurtrir le fidèle Jean-Louis Gergorin. Persuadé que Gomez et son collaborateur, Pierre Martinez, ont joué un rôle décisif dans cet accord, Gergorin n'a plus désormais qu'une idée fixe: poursuivre de sa vindicte les deux hommes... Quand survient un événement tragique qui affecte profondément ce fidèle des fidèles: la mort, dans des conditions exceptionnelles, de Jean-Luc Lagardère.
Le 27 février 2003, ce dernier se fait opérer de la hanche à la clinique du Sport, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Tout se déroule normalement. Le 7 mars, Lagardère, bien que légèrement fatigué, dîne en famille avec un de ses voisins, le célèbre couturier Emanuel Ungaro, et son épouse, ainsi que Marie-Laure de Villepin, la femme du ministre des Affaires étrangères.
Le lendemain matin, c'est le drame: le patron de Matra est retrouvé inerte sur le sol de sa chambre à coucher. Il a arraché son pyjama, sans avoir eu le temps d'appuyer sur la sonnette d'alarme, directement reliée au commissariat. Jean-Luc Lagardère a sombré dans un coma dont il ne sortira jamais. Il meurt à l'hôpital Lariboisière, à Paris, le 14 mars à 22 h 59.
D'emblée, les médecins diagnostiquent une encéphalomyélite aiguë, qui lui a détruit le cerveau. Un cas rarissime où les défenses immunitaires se retournent contre l'organisme. Perplexité des médecins, notamment du Pr Didier Payen de La Garanderie, chef du service d'anesthésie-réanimation à l'hôpital Lariboisière, qui déclare au Parisien, huit jours après le décès du patron de Matra Hachette: «Les causes de la maladie qui l'a emporté restent inconnues. [...] Personnellement, je pense que nous avons assez peu de chances de trouver ce qui s'est passé. De façon générale, on ignore les causes des maladies auto-immunes. D'ailleurs, si quelqu'un trouve, il aura le prix Nobel de médecine.»
Alors que deux autopsies sont pratiquées, le parquet de Paris décide très rapidement d'ouvrir une enquête préliminaire pour «rechercher les causes de la mort» de Jean-Luc Lagardère. Une enquête qui n'est toujours pas close. Le Pr Luc Montagnier a été consulté. Les spécialistes pencheraient aujourd'hui pour une intoxication liée à une autotransfusion de sang. La famille et les proches de Lagardère sont à présent convaincus d'une mort naturelle. Sauf un: Jean-Louis Gergorin, qui ne partage pas cette conviction. Mais pas du tout! Il croit dur comme fer que la mafia russe a assassiné le patron de Matra en empoisonnant son sang. Une technique souvent utilisée, selon lui, par les services secrets russes, qui ont coutume d'introduire un staphylocoque dans le sang.
Dans la lettre anonyme qu'il adresse au juge Van Ruymbeke le 3 mai dernier, le corbeau écrit: «En 1994, Alain Gomez ouvre une série de comptes chez Clearstream et attribue plusieurs d'entre eux à des parrains de la nouvelle mafia, qui s'est développée après l'effondrement du bloc soviétique.» Et le dénonciateur de citer des comptes ouverts au nom de parrains russes, ouzbeks et est-allemands.
Pourquoi de telles affirmations? Le corbeau aurait le sentiment que le patron de Thomson d'alors avait envisagé, avec les Russes, d'entrer dans le capital de Matra. Hostile à ce projet, Jean-Luc Lagardère aurait été liquidé.
Mais l'histoire s'emballe et se révèle de plus en plus rocambolesque, parce que, selon le corbeau, un proche de Lagardère, Philippe Delmas, serait lui aussi mêlé à ce complot. Une révélation qui tombe au moment où sévit une guerre fratricide entre deux clans de l'ancien groupe Matra: d'un côté, celui d'EADS, animé par Philippe Camus et Jean-Louis Gergorin; de l'autre, celui d'Airbus, dirigé par Noël Forgeard et Philippe Delmas.
Or ce n'est un secret pour personne que Forgeard, ancien conseiller pour les affaires industrielles au cabinet de Jacques Chirac, à Matignon, en 1986, brigue la succession de Camus à la tête d'EADS. Ce n'est un secret pour personne non plus que l'amitié qui a lié pendant des années Gergorin à Delmas - il est le parrain du fils de celui-ci - a volé en éclats, les deux hommes se vouant désormais une solide inimitié.
Le juge Van Ruymbeke se moque bien des états d'âme des uns et des autres. Son seul souci est de vérifier si les allégations du corbeau sont exactes et si Alain Gomez, Pierre Martinez et Philippe Delmas sont titulaires de comptes bancaires à l'étranger.
Quelques jours après avoir reçu la lettre anonyme, le magistrat fait donc discrètement interpeller Delmas alors qu'il se trouve à Toulouse, où il a assisté, au côté du Premier ministre, à la présentation de l'Airbus A 380. Placé en garde à vue, Delmas se voit confisquer son portable, tandis que son appartement parisien est perquisitionné. Le vice-président d'Airbus, abasourdi, ne comprend pas ce qui lui arrive. A l'issue de sa garde à vue, aucun reproche ne lui sera fait... Quelques mois plus tard, le juge Van Ruymbeke lui restituera divers objets saisis et l'innocentera complètement. Philippe Delmas, qui a une petite idée sur l'identité du corbeau, vient de porter plainte pour dénonciation calomnieuse.
Quant à Gomez et Martinez, qui démentent avec énergie les allégations du corbeau - témoin leurs plaintes pour diffamation - ils font, eux aussi, l'objet de vérifications. Rien n'est trouvé. Pas la moindre trace d'argent provenant de l'étranger ou d'un paradis fiscal. Pas la moindre trace d'un compte bancaire. C'est ainsi que le corbeau a fait croire qu'Alain Gomez possédait le compte 83656 à la Cititrust (Bogota), alors que le véritable titulaire se dénommait en réalité Hugo Caceres Gomez. De même, le compte E 3521, ouvert à la Reserved Mailbox Account, censé appartenir à Pierre Martinez, a comme titulaire une société madrilène dénommée Martinez Gil y Asociados. De quoi accréditer la thèse d'une gigantesque entreprise de mystification et de bidouillage de comptes. Et ce n'est pas fini! Le 14 juin 2004, l'oiseau noir frappe plus fort dans une nouvelle dénonciation adressée au juge Van Ruymbeke. Furieux que ses affirmations soient réfutées, il passe à la vitesse supérieure et jure que, depuis son premier envoi, «Clearstream a organisé l'exode des crapules: 895 comptes non publiés ont été fermés en bloc le 12 mai 2004, les soldes considérables correspondants étant transférés à des paradis fiscaux classiques».
A cette note dactylographiée est joint un listing de 19 pages. On y trouve des gens connus, mais au profil totalement différent. C'est, par exemple, un célèbre essayiste ou encore deux hauts policiers. Ce sont aussi des membres de l'état-major d'EADS. Cités une nouvelle fois, Alain Gomez, Philippe Delmas et Mikhaïl Khodorkovski.
Mais, surtout, l'apparition dans cette liste de noms d'hommes politiques de gauche et de droite de premier plan provoque une onde de choc. Enfin, preuve d'une facétie malveillante, figurent deux noms apparemment inconnus: ceux de Stéphane Bocsa et de Paul de Nagy, titulaires de deux comptes à la Banca Popolare di Sondrio, une petite ville italienne de la Riviera. Ces patronymes correspondent à ceux de Nicolas Sarkozy ou de son père. En effet, l'identité complète de l'ancien ministre de l'Intérieur est Nicolas, Paul, Stéphane Sarkozy de Nagy- Bocsa et celui de son père, Paul Sarkozy de Nagy-Bocsa. Le seul nom de Sarkozy déclenche quelques interrogations gourmandes chez certains chiraquiens. Et si c'était vrai? Et si Nicolas Sarkozy ou son père détenaient un compte bancaire occulte en Italie? En tout cas, Van Ruymbeke poursuit ses investigations, tandis que le parquet de Paris, intrigué par ces nouvelles révélations, diligente une enquête préliminaire sur Clearstream et envoie un substitut à Luxembourg. Quant au ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, il ne reste pas inactif. Bien au contraire. Il veut lui aussi savoir qui se cache derrière le corbeau. Cette mission, confiée au directeur de la DST, Pierre de Bousquet de Florian, est délicate à double titre: d'abord, l'un de ses adjoints, Jean-Jacques Martini, est cité dans le listing du corbeau; ensuite, une information judiciaire existe. C'est dire si sa marche de man?uvre est étroite. D'autant plus que son ancien patron, Nicolas Sarkozy, est mis en cause.
Que fait donc la DST? Si elle ne se livre, semble-t-il, à aucune écoute téléphonique directement liée à cette histoire, elle parvient, néanmoins, grâce à de précieux contacts dans le monde militaro-industriel, qui possède ses propres cellules de renseignement, à se forger quelques convictions. C'est ainsi que l'une de ces cellules aurait identifié l'informaticien qui aurait trafiqué le listing de Clearstream. Il s'agirait de l'ancien animateur d'un fonds d'investissement, Imad Lahoud, mis en examen, en 2002, pour faux par la juge Isabelle Prévost-Desprez. Imad Lahoud, recruté par Jean-Louis Gergorin à EADS, a été en contact avec le journaliste Denis Robert, auteur de deux ouvrages sur Clearstream.
Ambiance polaire au ministère
Autant d'éléments qui, pour la DST, accréditent l'idée que le fameux listing envoyé le 14 juin à Van Ruymbeke a toutes les apparences d'un montage, Jean-Louis Gergorin n'y étant pas forcément étranger. Seulement voilà: la DST marche sur des ?ufs, car le n° 2 d'EADS n'est pas n'importe qui. C'est un ami de longue date de Dominique de Villepin, qui l'a fait officier de l'ordre national du Mérite dans son bureau en avril 2004. Poursuivant son enquête, le directeur de la DST rencontre, le 3 septembre, de manière informelle, Jean-Louis Gergorin. Prudent, Bousquet ne rédigera aucun rapport, se contentant de comptes rendus oraux à son ministre. Jusqu'à ce que, mettant le feu aux poudres, Nicolas Sarkozy apprenne, début octobre, que la DST enquête sur le listing qui le met en cause. On tente d'accréditer qu'il détient un compte bancaire planqué en Italie et personne ne lui dit rien! Fureur de Sarkozy contre Villepin, qui n'a pas même jugé utile de l'avertir de l'enquête de la DST ni de ses conclusions.
Flairant un coup tordu, Sarkozy exige alors une rencontre avec son successeur place Beauvau à l'Intérieur et le patron de la DST. Elle a lieu le 15 octobre à 19 heures, dans le bureau du ministre. Ambiance polaire. Bousquet de Florian lit alors les conclusions de l'enquête de son service... écrites sur un carnet à spirale dont il ne se sépare jamais. En substance, le listing est un faux. Le corbeau semble bien être Gergorin.
Glacial, Sarkozy exige alors que Bousquet de Florian aille voir sur-le-champ le procureur de Paris pour que la justice soit saisie. Message reçu. Dès le lendemain, le patron de la DST prend contact avec le procureur, qu'il voit pendant une heure et demie, le 25 octobre. Entretien inutile, puisque le patron de la DST dit ne détenir aucune preuve formelle quant à l'identité du corbeau. Donc impossibilité de fournir un rapport au procureur de Paris. Et impossibilité, pour la justice, d'en savoir davantage. Bref, un blocage qui provoque à nouveau l'ire du futur patron de l'UMP, qui crie au scandale et rend publique l'affaire, pour démontrer que ses «amis» veulent l'abattre. Sur fond de compétition Sarkozy-Chirac, le scandale Clearstream devient le carburant de règlements de comptes politiques. Il est surprenant que Dominique de Villepin n'ait pas informé son prédécesseur, devenu ministre d'Etat chargé de l'Economie. Un silence qui alimente la certitude chez Nicolas Sarkozy d'être victime d'un complot.
La conviction de l'ancien ministre de l'Intérieur, qui se sent sur un terrain solide pour dénoncer une man?uvre, est d'ailleurs renforcée par les événements. Il résulte, en effet, de l'enquête de Van Ruymbeke qu'une manipulation a bien eu lieu: de nombreux comptes de Clearstream on été faussement attribués à des personnalités connues, que ce soit ceux des hauts policiers, des grands patrons ou des hommes politiques français.
Connaîtra-t-on un jour la vérité sur cette histoire assez nauséabonde? Jean-Louis Gergorin a contre-attaqué, clamant ne pas être le corbeau, tout en pointant du doigt une série de seconds couteaux qui chercheraient à le déshonorer et à entraîner sa chute. Il a d'ailleurs déposé plainte pour faux. L'enquête préliminaire a été confiée à la police des polices. Après avoir entendu, il y a peu, pendant trois heures, Jean-Louis Gergorin, ce service a interrogé le vendredi 10 décembre le directeur de la DST. Pour l'heure, un homme se tait. Obstinément. Il s'appelle Imad Lahoud. Lui connaît sans doute la vérité.
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