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mardi 8 août 2023
Des femmes réduites à l'esclavage au Liban
La réduction à l'esclavage de certains ingénieurs français, notamment les informaticiens qui travaillent en SSII, n'est pas très différente, surtout lorsqu'il s'agit de "migrants" venus de Bretagne ou d'autres contrées peuplées de sous-hommes, ou bien de femmes, les uns comme les autres ne se voyant accorder par certains employeurs et tous leurs relais dans l'administration et l'appareil judiciaire français strictement aucun droit.
Bien sûr, les pires situations sont celles des cumulardes dont je suis : ingénieur, femme, Bretonne, etc...
Peu après s’être installée à Beyrouth, au Liban, la photographe Aline
Deschamps a rencontré des femmes réduites en esclavage. Des images qui
par leur douceur, font ressortir la cruauté de la situation.
Imaginez que vous vous rendiez dans un autre pays où un travail vous
attend, dans l’espoir de subvenir aux besoins de votre famille restée au
pays. Mais le travail n’est pas ce que vous pensiez. Votre passeport
vous est retiré et vous devenez, dans la pratique, la propriété d’une
autre personne. La photographe Aline Deschamps a rencontré de nombreuses
femmes à Beyrouth qui partagent cette même histoire.
La plupart d’entre elles viennent du Sierra Leone. Enseignantes ou
infirmières, elles ont été incitées à se rendre au Liban en croyant que
le pays avait besoin de leurs profils professionnels. « Elles ont
été recrutées sur des marchés, ou par des connaissances qui leur ont
promis qu’elles pourraient gagner l’équivalent de 600 dollars par mois
au Liban. Le voyage leur coûtait entre 500 et 1 500 dollars, et les
recruteurs locaux prenaient normalement une part d’environ 100 dollars.
Cela peut paraître peu, mais le salaire moyen en Sierra Leone est de 30
dollars par mois », révèle la photographe.
Une fois arrivées au Liban, le rideau tombe. Elles sont forcées
d’entrer chez un « employeur ». Elles y font la vaisselle, les tâches
ménagères et dorment sur le balcon, souvent sans recevoir la moindre
rémunération pendant des mois. Lorsqu’elles appellent leurs agents pour
comprendre ce qui se trame, toujours la même réponse : « Travaillez encore deux ou trois mois, on s’occupe du reste ». Si elles demandent à changer d’employeur ou à être rapatriées, elles sont menacées, battues, violées.
Au cœur du mécanisme qui rend possible ce type de traite des êtres
humains, se trouve la Kafala, un système de tutelle dont les origines
remontent à plusieurs siècles, mais qui est toujours légalement actif au
Qatar, au Bahreïn, au Koweït, au Liban, à Oman, en Arabie saoudite et
dans les Émirats arabes unis pour contrôler les travailleurs immigrés.
La Kafala prévoit qu’un tuteur ou un sponsor, appelé “kafeel”, soit
responsable du visa et du statut juridique du travailleur. Il établit
également son salaire et ses conditions de travail. Ce système
pernicieux permet aux tuteurs de retirer les passeports de leurs
employés, de confisquer leurs téléphones et de les soumettre à des abus,
le tout sans crainte de répercussions juridiques.
Au fil des ans, la Kafala a attiré l’attention du public et a été
critiqué par les organisations de défense des droits de l’homme,
notamment parce qu’il facilite l’exploitation des migrants qui
construisent des stades, des musées, des îles artificielles et des
immeubles résidentiels, participant ainsi à la croissance rapide des
riches métropoles du Golfe. Il en va de même pour les travailleurs
domestiques migrants, dont la plupart sont des femmes.
« En fait, votre vie dépend d’une seule personne », explique Aline Deschamps. «
Peut-être que vous aurez un bon employeur qui vous paiera et qui ne
vous enlèvera pas votre jour de congé, ni votre passeport, ou peut-être
que vous aurez quelqu’un qui le fait. Les agents leur suggèrent de le
faire. Elle ne se comporte pas bien ? Il suffit de l’enfermer et de lui
retirer son passeport. C’est systématique ».
Alors que le recrutement et la contrebande depuis la Sierra Leone et
d’autres pays sont illégaux, au Liban, un employeur potentiel peut se
rendre dans de véritables agences, dont les vitrines proposent des
salaires différents en fonction du pays d’origine du travailleur : «
Disons que vous voulez embaucher quelqu’un d’un pays d’Afrique
subsaharienne, vous paierez 250 dollars par mois. Les travailleurs
asiatiques sont généralement plus chers. Les Philippins peuvent coûter
environ 500 dollars parce qu’ils sont censés être plus doués pour le
travail électronique. Tout cela est incroyablement raciste ».
Lorsqu’Aline Deschamps lance son projet en 2020, le Liban est au
milieu d’un effondrement économique, dont il ne s’est toujours pas
remis, causé par des années d’instabilité politique et économique. La
pandémie du Covid aggrave la situation, et les travailleuses domestiques
sont souvent jetées à la rue parce que leurs employeurs, ou leurs
tuteurs, ne veulent plus être responsables d’elles.
C’est une organisation française qui signale à Aline Deschamps que
plusieurs travailleuses migrantes sont bloquées dans un appartement.
Leur nombre ne cesse d’augmenter, parce qu’elles accueillent d’autres
femmes qui n’ont pas d’endroit où aller. Au fur et à mesure qu’Aline
Deschamps apprend à les connaître, la façon dont elles répondent à ses
questions dévoile un scénario bien plus sombre que celui qu’elle avait
envisagé au départ.
« Elles n’avaient rien à manger. Elles ramassaient de la
nourriture dans les poubelles. Elles n’avaient ni argent ni papiers,
car ils avaient été confisqués. Au Liban, il n’y a pas d’ambassade pour
la Sierra Leone qui puisse les aider à se faire représenter légalement,
et les consulats sont gérés par des fonctionnaires libanais ».
Les femmes sans papiers ne sortent pas, même pour acheter des
produits de première nécessité. Recluses, elles sont terrifiées à l’idée
de tomber malades, car si elles se retrouvent à l’hôpital, elles
risquent d’être envoyées en prison et expulsées. Certaines d’entre ayant
perdu des proches à cause d’Ebola, elles redoutent le Covid, maladie
contagieuse dont le niveau de dangerosité n’a pas encore été établi à
l’époque.
Les photographies ne s’inscrivent pas dans la tradition documentaire.
Elles montrent la lutte de ces femmes, sans pour autant leur coller une
étiquette. Aline Deschamps les considère d’abord comme des individus et
offre au spectateur la possibilité de se connecter « à la joie plutôt qu’à la douleur ».
Elles montrent les moments de lumière qui illuminent même les pires
réalités, la revanche la plus puissante sur la main qui tente de briser
le corps et l’esprit d’une personne.
Outre la fraternité qu’elles avaient établie entre elles, ce qui a
aidé les protagonistes du projet à survivre à leur séjour au Liban,
c’est le contact avec leurs familles. Pourtant, même cette relation
était menacée : au fil du temps, certains maris ont perdu l’espoir de
les voir revenir et ont décidé de couper les ponts. Envoyer une fille
travailler au Moyen-Orient est un investissement coûteux pour les
familles, qui vendent souvent des terres pour payer leur voyage,
devenant ainsi vulnérables à la pression de leurs créanciers.
« Les femmes que j’ai rencontrées sont revenues à la
maison sans argent, et parfois, en tant que parent, il est plus facile
de dire “d’accord, ma fille est une menteuse. Elle est allée travailler pendant quatre ans, mais elle a gardé l’argent pour elle”. Il est plus difficile d’accepter que sa fille a été victime d’abus et de traite, et qu’elle a traversé de telles épreuves. »
Pour éviter que d’autres ne tombent dans le même piège, des femmes se
sont rassemblées et ont fondé une organisation. C’est le cas de Lucy
Turay. Enseignante, elle est partie au Liban peu après avoir accouché.
Lorsqu’elle est revenue en Sierra Leone, sa fille de 3 ne la
reconnaissait pas comme sa mère.
Dans les marchés où le recrutement a habituellement lieu, Lucy et
d’autres femmes viennet protester, brandissant des pancartes et des
haut-parleurs pour dénoncer le système les a réduites en esclavage. Lucy
et ses alliées parlent également aux familles des autres femmes dès
qu’elles reviennent du Moyen-Orient, essayant de leur expliquer ce qui
est arrivé à leurs filles et de leur épargner le rejet.
En écho au titre du documentaire « I Am Not your Negro », sur la vie
du militant des droits de l’homme et écrivain afro-américain James
Baldwin, le projet d’Aline Deschamps s’intitule « I Am Not your Animal
». Il rappelle que la justification implicite de l’exploitation actuelle
des travailleurs migrants au Moyen-Orient et dans le Golfe est la même
que celle qui a été au cœur des atrocités commises aux États-Unis et en
Europe au cours de l’histoire récente : si vous considérez quelqu’un
comme moins qu’humain, vous avez le droit de le maltraiter, voire de le
tuer.
En Sierra Leone, la photographe a pu renouer avec les femmes qu’elle
avait connues au Liban. Elle en a aussi rencontré d’autres, récemment
rapatriées du Koweït, d’Oman, d’Arabie saoudite et d’autres pays du
Golfe. En regardant les images de « A Life After Kafala », la deuxième
partie de son projet, rien ne laisse penser que les protagonistes du
projet sont des employées de maison, ni qu’elles ont été victimes de la
traite des êtres humains ou de viols.
« Je voulais que les photographies soient beaucoup plus
douces et contemplatives, en contraste avec les dures réalités qu’elles
ont endurées », explique Aline Deschamps.
Les images ouvrent une fenêtre sur la psychologie des femmes à
différents stades de leur histoire. Le choc de la traite, la nostalgie
du pays d’origine, le réconfort des nouvelles amitiés, la force de la
lutte et l’effort pour réparer les relations interrompues. Elles nous
rappellent que lorsque nous regardons quelqu’un, nous ne savons jamais
ce qu’il a vécu.
Pour en savoir plus sur le travail d’Aline Deschamps, consultez son site web.
Gaia Squarci
Gaia Squarci est une photographe, vidéographe et écrivaine qui partage
son temps entre Milan et New York, où elle enseigne Digital Storytelling
à l'ICP. Gaia est une collaboratrice de Prospekt et une boursière de
IWMF et National Geographic. Ses photographies ont été publiées dans le
New York Times, le New Yorker, Time Magazine, Vogue, The Washington
Post, The Guardian, Internazionale, Der Spiegel, entre autres.
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