http://philum.info/?read=7463&look=suicide
par Malika Es-Saïdi
Monday, 12 March 2007
Une mère apparemment aimante tue ses 5 enfants, avant de tenter de se suicider à son tour. Un fait-divers effroyable. L’une des premières explications avancées est interpellante : Geneviève Lhermitte était en dépression. Et qui dit dépression dit, souvent, antidépresseurs… Dans ce cas précis, comme l’enquête suit son cours, on ne connaît pas encore les détails du traitement suivi ou pas par la meurtrière. Ce qui peut nourrir la réflexion, c’est qu’il est prouvé que les antidépresseurs ont notamment pour effet secondaire de pousser une minorité de patients au suicide… voire au meurtre.
C’est en 2001, aux Etats-Unis. Un avocat, Andy Vickery, défend une famille qui attaque le géant pharmaceutique GlaxoSmith Kline (GSK). En cause : le Deroxat, l’antidépresseur vedette du laboratoire, qui serait responsable d’un triple meurtre suivi d’un suicide. Les faits avaient eu lieu en 1998. Donald Schell, alors âgé de 60 ans, tue sa femme, sa fille, ainsi que sa petite fille de 9 mois, avant de se suicider. David Healy, un chercheur et psychiatre irlandais, est appelé comme expert à étudier le dossier médical de Donald Schell. Il découvre que l’homme avait déjà eu des difficultés avec le Prozac. Le changement d’antidépresseur et l’utilisation du Deroxat pouvaient être, selon Healy, la cause du massacre. Pour étayer ces affirmations, l’avocat qui a fait appel à l’expertise du psychiatre lui demande d’enquêter sur le médicament, à l’intérieur même du laboratoire pharmaceutique. La loi américaine le permet en effet dans le cadre d’une procédure judiciaire. C’est ainsi que le psychiatre irlandais découvre plusieurs études scientifiques jamais publiées…
Une enquête judiciaire américaine révèle des études tenues cachées
Grâce à ces études, le médecin a pu démontrer que 34 expériences cliniques conduites avec le médicament Deroxat, avant sa commercialisation, faisaient apparaître que 25% des patients devenaient « très agités » pendant le traitement. Après deux semaines de débats, le jury a reconnu la responsabilité du Deroxat.
David Healy a travaillé sur de nombreux autres cas où les antidépresseurs étaient en cause. Il estime qu’une petite minorité de patients peut développer des tendances suicidaires ou meurtrières sous l’emprise des antidépresseurs, et préconise donc de mieux surveiller les malades, en particuliers durant les premiers jours de traitement (*). Selon lui, les laboratoires ne mettent pas assez en garde les médecins contre ces effets secondaires.
La firme GSK n’est pas la seule à avoir caché des résultats d’études cliniques à l’opinion publique. Le laboratoire Pfizer à New York a également fait les frais des investigations de David Healy sur un autre antidépresseur, le Zoloft, également mis en cause lors de procédures judiciaires. Les archives du laboratoire Pfizer ont révélé que la firme a tenté de minimiser certaines tentatives de suicide survenues au cours des études cliniques de ce médicament. L’avocat de la firme Pfizer a démenti ces accusations, en précisant que si « ce genre de mensonge devait être publié, les médecins auraient peur de prescrire ces médicaments et les patients auraient peur de suivre les instructions de leur médecin. »
Malgré les tentatives visant à discréditer ses recherches, David Healy n’a eu de cesse de rappeler, notamment, que les différents ministères de la Santé, la FDA (Food and Drug Administration)(**) aux USA, la MCA en Angleterre, et l’Agence du Médicament en France, sont principalement informés par les laboratoires pharmaceutiques. Les rapports consultent sur les études cliniques de ces médicaments que ces organismes sont donc préparés par les firmes elles-mêmes, lesquelles, bien entendu, peuvent se garder de fournir l’entièreté des informations dont elles disposent sur un médicament. L’enjeu est de taille puisque à la clé, il y a l’autorisation de mettre lesdits médicaments sur le marché.
On maximise les effets thérapeutiques et on minimise les effets secondaires
En Belgique, rares sont les médecins qui déclarent ouvertement leur prudence à l’égard du médicament. Philippe Hennaux, psychiatre, est une exception. Dans sa pratique privée, il dit même ne jamais prescrire de médicaments. En revanche, dans le cadre institutionnel, il se dit bien obligé de tenir compte des prescriptions drainées par les patients qui arrivent jusqu’à lui par ce biais. Mais, comme David Healy, il n’est pas hostile aux médicaments en général, ni aux antidépresseurs, en l’occurrence, dont l’utilisation peut s’avérer judicieuse. Ce qu’il dénonce, c’est un système d’information qui consiste à maximiser les effets thérapeutiques de ces médicaments et à en minimiser les effets secondaires, potentiellement dangereux. Par ailleurs, il est particulièrement scandalisé par la tendance d’une certaine presse, encouragée par les firmes pharmaceutiques elles-mêmes, à présenter la dépression comme un diagnostic valable pour tous, lorsqu’elle annonce joyeusement, par exemple : « sachez reconnaître votre dépression ». Au lieu d’attendre le diagnostic du médecin, le patient arrive en consultation chez son généraliste avec le sien, déjà établi par ses lectures. Quant à la prescription d’antidépresseurs, chacun peut se rendre compte de la facilité avec laquelle un médecin généraliste s’exécute, car ces derniers sont encore très souvent considérés comme universels et inoffensifs.
Or, le danger existe bel et bien, comme celui, même rare, du passage à l’acte violent, et parfois du suicide, voire du meurtre. C’est un fait, aujourd’hui reconnu par les scientifiques (**) : seules les firmes pharmaceutiques ont encore parfois intérêt à minimiser ces risques avérés.
Les firmes pharmaceutiques évoluent
Mais il y a des progrès, puisqu’en 2006 la FDA (Food and Drug Administration) ainsi que la firme Glaxo Smith Kline (GSK) confirmaient que les adultes déprimés de tous âges prenant de la Paroxetine, un autre antidépresseur analogue au Prozac, ont un taux de mortalité par suicide plus élevé et un taux d’idéations suicidaires –capable de provoquer des idées suicidaires- 6,4 fois plus élevé que les patients sous placebo.
Aux Etats-Unis, les récents débats ne portent d’ailleurs plus, désormais, sur la véracité de ces effets secondaires, mais sur la volonté de groupes de pression de voir figurer sur les boîtes d’antidépresseurs, une indication claire : que ce médicament peut engendrer des idées ou des actes suicidaires, voire de la violence à l’égard d’autrui. Le danger existe surtout au début du traitement, lors d’un changement de dose ou de molécule ou encore en cas d’arrêt brutal du traitement. Parler d’homicides ou de suicides fait évidemment peur, mais il est impossible de taire les cas avérés, même s’ils sont peu nombreux. C’est pourquoi l’utilisation de ces molécules devrait être suivie de très près par les médecins, et l’arrêt du traitement toujours se faire prudemment et très progressivement. En aucun cas l’antidépresseur ne peut être prescrit automatiquement, mais uniquement lorsque le rapport bénéfice-risque pour chaque patient est mesuré avec le plus grand sérieux. En est-on là en Belgique ?
(*) Le Point, 12 avril 2002 (N°1543), p.78
(**) l’administration américaine de contrôle des denrées alimentaires et des médicaments.
(***) David Healy, Andrew Herxheimer, David B. Menkes, Antidépressants and violence : Problems at the interface of medecine and law. www.plosmedicine.org, Sept 2006, Vol 3, Issue 9.
190 millions d’euros par an pour les antidépresseurs !
Ce sont surtout –mais pas uniquement- les antidépresseurs de type inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) qui sont mis en cause pour leurs effets secondaires parfois violents. Le plus connu d’entre eux, le Prozac, représentait en 1997 un marché de plus de 86 millions d’euro en Belgique. En 2005, ce chiffre a dépassé les 118 millions d’euros, mais est en perte de vitesse par rapport à 2004 où l’INAMI et le patient avaient déboursé plus de 137 millions d’euros pour ce seul médicament…
Le coût global des antidépresseurs prescrits en Belgique en 1997 représentait déjà plus de 112 millions d’euros et a grimpé progressivement jusqu’à atteindre plus de 190 millions d’euros en 2005.
journaldumardi.be
http://www.lepoint.fr/actualites-sciences-sante/2007-01-21/la-bete-noire-des-labos/919/0/61969
Le Point – Publié le 12/04/2002 à 04:23 – Modifié le 21/01/2007 à 04:23
La bête noire des labos
«J ‘ai mis le pied sur une pente, et je crains fort de ne plus pouvoir m’arrêter. Je suis trop impliqué »
, confesse David Healy, avec un petit sourire plein d’humilité. Il
n’imaginait pas qu’il deviendrait un jour le seul expert indépendant à
pénétrer au coeur des secrets de l’industrie pharmaceutique. Un peu
malgré lui, d’ailleurs. 47 ans, irlandais, David Healy est chercheur en
psychiatrie et vit en Angleterre, où il dirige le service de psychologie
de l’hôpital universitaire du pays de Galles, le plus grand campus du
pays. Il y partage son temps entre ses patients, près de 300 par an, et
ses recherches, consacrées aux effets secondaires des médicaments
antidépresseurs, notamment le Prozac et le Zoloft. Il a ainsi mis en
évidence des comportements violents ou suicidaires chez certains
patients soumis à ces médicaments.
A cause de ses conclusions plutôt radicales, rares sont les médecins qui osent le soutenir. « Les gens sont très méfiants. Et en raison du pouvoir énorme de l’industrie pharmaceutique, très peu de publications se sont intéressées à mes recherches, confie-t-il. Jusqu’à ce que je reçoive un appel des Etats-Unis. » A l’autre bout de la ligne, Andy Vickery, un avocat texan. Depuis son bureau de Houston, il défend plusieurs familles américaines dont un membre s’est suicidé alors qu’il prenait des médicaments antidépresseurs. En cherchant un expert scientifique pour témoigner en faveur de ces familles, il a repéré les travaux de David Healy. Pourquoi lui, en Angleterre ? « II y a évidemment de nombreux experts ici aux Etats-Unis, qui pourraient nous aider, explique Vickery. Mais, malheureusement, soit ils n’ont pas le courage d’affronter les géants pharmaceu-tiques, soit ils sont trop liés financiè- rement aux laboratoires. Le docteur Healy, lui, est courageux et indépendant. » David Healy accepte d’aider l’avocat texan.
« Les laboratoires sont prêts à tout pour défendre leurs médicaments. Ils ont toujours gagné leurs procès contre les familles de victimes, j’en ai moi-même perdu plusieurs » , reconnaît l’avocat, avant d’ajouter : « Et puis, il y a eu cette fameuse affaire du Wyoming. » Un procès retentissant. C’était il y a presque un an, en juin 2001. Andy Vickery défend une famille qui attaque le géant pharmaceutique GlaxoSmith Kline (GSK). En cause : le Déroxat, l’antidépresseur vedette du laboratoire, qui serait responsable d’un triple meurtre suivi d’un suicide. En 1998, après avoir pris du Déroxat pendant deux jours, Donald Schell, 60 ans, tue sa femme, sa fille, puis sa petite-fille âgée de 9 mois, avant de retourner l’arme contre lui. En étudiant le dossier médical de Donald Schell, David Healy découvre que « cet homme avait déjà eu des problèmes avec le Prozac. Pour moi, le Déroxat est la cause de ce massacre » .
Pour étayer cette thèse, Andy Vickery demande à David Healy d’enquêter sur le médicament, à l’intérieur même du laboratoire. « Le docteur Healy a pu consulter les rapports internes du laboratoire concernant le Déroxat en toute légalité » , explique Vickery. C’est une subtilité de la loi américaine. Au cours de la procédure, les avocats et leurs experts peuvent avoir accès à toutes les informations. Ainsi la justice a obligé GSK à ouvrir ses archives à David Healy. C’était au siège britannique du laboratoire, dans l’Essex. « C’était assez surprenant. Il y avait plusieurs centaines de milliers de documents , se souvient David Healy. J’avais deux jours pour les compulser. Il y avait toujours auprès de moi des responsables du laboratoire pour me surveiller. » Au cours de ses recherches, au grand dam du laboratoire, David Healy trouve des documents compromettants, notamment plusieurs études scientifiques jamais publiées.
« Les découvertes du docteur Healy ont été déterminantes pour prouver que la prise de Déroxat était la cause de ces quatre morts » , affirme Vickery. Un peu intimidé, le médecin a démontré que 34 études cliniques, conduites sur le médicament Déroxat avant sa commercialisation, faisaient apparaître que 25 % des patients devenaient agités pendant le traitement. Après deux semaines de débats, le 6 juin 2001, le jury a reconnu la responsabilité du Déroxat. Pas peu fiers, Andy Vickery et David Healy sont aujourd’hui les seuls à avoir rem- porté un procès ayant trait à un antidépresseur aux Etats-Unis. L’avocat a obtenu que le laboratoire verse 6,4 millions de dollars de dédommagement à la famille.
Le laboratoire a payé
Le laboratoire avait tout d’abord fait appel de ce verdict, mais a préféré, in extremis, négocier à l’amiable. La famille a retiré sa plainte. Pour éviter une mauvaise publicité à son médicament vedette, GSK a donc cédé, mais le montant de la transaction est « secret défense ». Et GSK dément formellement les accusations de David Healy. « Le docteur Healy n’a pas vu toutes les données , affirme le docteur David Wheadon, responsable du service juridique du laboratoire. Ses attaques sont sans fondement. » Sauf que le laboratoire a accepté de payer, à la suite des découvertes du psychiatre irlandais.
David Healy estime qu’une petite minorité de patients peuvent développer des tendances suicidaires ou meurtrières sous l’emprise des antidépresseurs et préconise donc de mieux surveiller les malades, particulièrement pendant les premiers jours de traitement. Selon lui, les laboratoires ne mettent pas assez en garde les médecins contre ces effets secondaires. David Healy enquête actuellement, dans plusieurs procédures judiciaires, sur un autre antidépresseur : le Zoloft, du laboratoire américain Pfizer. Le Zoloft a dépassé les ventes de Prozac dans le monde, son chiffre d’affaires annuel s’élève à 2 milliards de dollars. En France, l’année dernière, 485 000 patients ont été traités avec du Zoloft. David Healy a ainsi pu visiter, pendant trois jours, les archives du laboratoire Pfizer à New York. « J’ai vu de nombreux documents qui ne sont pas dans le domaine public. » Il aurait ainsi découvert que Pfizer aurait tenté de minimiser certaines tentatives de suicide survenues au cours des études cliniques du Zoloft.
Confidentiel ou dangereux ?
En Australie, son expertise a permis de réduire la peine d’un condamné pour meurtre. David Hawkins, 76 ans, avait étranglé sa femme alors qu’il prenait du Zoloft. Dans son verdict, le juge australien a précisé que « toutes les preuves scientifiques tendaient à démontrer que, si le prisonnier n’avait pas pris du Zoloft, il est très peu probable qu’il aurait commis ce crime » . Une autre affaire en cours concerne le suicide d’un garçon de 13 ans dans le Kansas. Traité depuis sept jours avec du Zoloft, pour une légère dépression, Mathew Miller s’est pendu dans sa chambre.
L’expert irlandais est devenu la bête noire de l’industrie pharmaceutique. Pfizer réfute ses accusations et affirme ne rien avoir à cacher. Mais alors, pourquoi les documents trouvés par David Healy sont-ils à ce point confidentiels ? « Ce serait une tragédie de laisser le docteur Healy utiliser ces documents pour qu’il les publie et les détourne , estime Malcolm Wheeler, l’avocat de Pfizer aux Etats-Unis. Si ce genre de mensonge est publié, les médecins auront peur de prescrire ces médicaments, et les patients auront peur de suivre les instructions de leur médecin. » Pour Pfizer, les thèses du docteur Healy sont dangereuses. « Le docteur Healy a beaucoup de charme, et il en joue pendant les procès ou devant les journalistes. Mais il n’est pas crédible », ajoute l’avocat. Mais David Healy persiste : « En ce qui concerne les différents ministères de la Santé, la FDA aux Etats-Unis, la MCA en Angleterre, et l’Agence du médicament en France, mon sentiment est que les rapports qu’ils consultent sur les études cliniques de ces médicaments sont préparés par les laboratoires eux-mêmes. Et les contacts que j’ai eus ici avec le ministère, en Angleterre, me font craindre qu’il n’ait pas vu toutes les données. » Les laboratoires pharmaceutiques ont des médicaments à vendre, certes. Mais il semble donc que pour obtenir l’autorisation de les mettre sur le marché ils ne publient que les rapports qui les arrangent.
Un contrat annulé
Dans sa maison avec vue sur la mer, David Healy reste serein. Il rétorque à ses détracteurs qu’il n’est pas un militant antimédicaments. « Je prescris du Déroxat, du Zoloft ou du Prozac à certains de mes patients, je reconnais leur utilité. Mais nous avons perdu un peu de notre sagesse. De nos jours, nous voulons tous être soignés rapidement. Et l’industrie pharmaceutique capitalise sur ce besoin, avec des campagnes marketing ciblées très efficaces, par exemple pour désormais prescrire ces médicaments aux enfants. »
Entre ses expertises judiciaires, David Healy poursuit ses activités universitaires à Cardiff, au pays de Galles. Si les laboratoires pharmaceutiques tentent par tous les moyens légaux de l’écarter des actions intentées contre leurs médicaments, ils n’ont jamais fait pression directement sur lui. A l’exception peut-être de cette étrange affaire canadienne. David Healy avait accepté de diriger le département de psychiatrie de la prestigieuse université de Toronto. Il s’apprêtait à déménager avec femme et enfants. Mais, deux mois avant le départ, son contrat a été annulé. Le directeur de l’université lui reproche un de ses discours au Canada, dans lequel il disait sa conviction que le Prozac peut déclencher des pulsions suicidaires. Le laboratoire Eli Lilly, propriétaire de l’antidépresseur vedette, est le principal sponsor de l’université de Toronto. Officiellement, il n’y a aucun rapport. Mais David Healy a décidé d’attaquer l’université en justice. « Une question d’honneur » , dit-il. Il est soutenu par de nombreux scientifiques de renom, dont deux prix Nobel. Certains ne partagent pas ses idées, mais tous protestent contre la censure dont il fait l’objet
http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2011/01/21/violence-homicides-agressions-effets-secondaires-frequents-d.html
Un article paru le 15 décembre 2010 dans la revue en libre accès PLoS One (Public Library of Science) sous le titre « Prescription Drugs Associated with Reports of Violence Towards Others » (Médicaments d’ordonnance signalés pour leurs effets secondaires de violence envers autrui) rend compte d’une étude rétrospective des signalements à la pharmacovigilance des Etats-Unis (FDA : Food and Drug Administration) entre 2004 et 2009.
31 médicaments ont été mis en cause pour 1527 actes de violence : crimes, idéation meurtrière, violences sur les personnes, abus sexuel et autres actes de violence commis sur d’autres personnes.
Le médicament le plus incriminé pour de tels effets secondaires est le Champix (tartrate de varénicline), suivi de onze antidépresseurs, six sédatifs / hypnotiques et trois médicaments prescrits dans le TDAH (trouble déficit d’attention avec hyperactivité). Voir plus bas pour la liste.
Image tirée du site des Revolting Broadcasters: « Le Champix peut-il tuer? »
Les preuves ont été beaucoup plus faibles pour des effets secondaires de violence induits par des antipsychotiques et absentes pour les antiépileptiques, à l’exception d’un seul médicament de cette classe. Les auteurs mettent une telle différence entre le Champix et les antidépresseurs, d’une part, et les autres médicaments ayant des effets indésirables violents, d’autre part, sur le compte de l’impact des premiers sur des neurotransmetteurs : le circuit dopaminergique pour le Champix et celui sérotoninergique pour les antidépresseurs (quantité, libération, durée de présence dans les synapses, recapture…).
Les auteurs, Thomas J Moore, Joseph Glenmullen et Curt D Furberg (de l’Institute for Safe Medication Practices et plusieurs universités), n’ont aucun conflit d’intérêt et l’étude n’a pas eu de financement industriel.
Champix, champion toutes catégories…
L’effet secondaire qu’est l’idéation suicidaire et les tentatives de suicide a été assez bien étudié, notamment pour les antidépresseurs [et les antiépileptiques – voir article sur Pharmacritique]. Mais pas la violence envers autrui, même si elle a été évoqué dans certains cas et clairement affirmé pour ce qui est du Champix (varénicline), en association avec l’agressivité, les hallucinations, les troubles psychotiques, etc., comme on peut le lire dans le rapport de l’Institute for Safe Medical Practices. Rapport dont j’ai rendu compte sur Pharmacritique dans l’article daté du 25 mai 2008 : « Une étude détaille les effets neurologiques et cardiovasculaire du Champix, médicament d’aide au sevrage tabagique ».
Des réactions de violence grave ont été décrites aussi chez les vétérans de guerre enrôlés dans une étude sur le Champix, ou plutôt servant de cobayes, avec des résultats désastreux (voir cet article sur Pharmacritique) ; des réactions psychiatriques et neuropsychiatriques graves ont été signalés aussi par Santé Canada (agence de sécurité sanitaire, équivalent de notre AFSSAPS ; voir cet article et quelques autres de la catégorie « Tabac, sevrage tabagique, Champix) ».
Voici la liste des médicaments les plus incriminés dans l’article de PLoS One, avec le nombre de cas de violence envers autrui (toutes formes confondues) signalés à la FDA.
Pour faciliter la lecture et rendre l’information accessible à tout le monde, j’ai cherché les noms de marque français, lorsqu’ils existent (l’original ne mentionne que les DCI, la dénomination commune internationale, que la plupart des usagers ne connaissent pas) et les indications principales dans lesquels ils sont utilisés.
Le Champix devance les autres de très loin. (D’ailleurs, dans l’article déjà cité, l’Institue for Safe Medical Practices désignait le Champix comme étant le médicament ayant fait l’objet de la plupart de notifications d’effets secondaires).
Champix (tartrate de varénicline), sevrage tabagique ; 408 cas
Prozac (Fluoxétine), antidépresseur ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine) ; 72 cas
Déroxat / Séroxat / Paxil (paroxétine), antidépresseur ISRS ; 177 cas
Amphétamines, 31 cas
Lariam (Méfloquine), antimalaria, prophylaxie du paludisme ; 10 cas
Strattera (Atomoxétine, de la classe des amphétamines), TDAH : hyperactivité ; 50 cas
Halcion (Triazolam, classe des benzodiazépines), somnifère ; 7 cas
Luvox, Floxyfral (Fluvoxamine), antidépresseur, trouble obsessionnel-compulsif) ; 5 cas
Effexor (Venlafaxine), antidépresseur ISRSN (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ); 85 cas,
Pristiq (Desvenlafaxine), antidépresseur ISRSN ; 8 cas
Singulair (Montélukast), traitement additif de l’asthme ; 53 cas
Zoloft (Sertraline), antidépresseur ISRS, 64 cas
Stilnox (zolpidem), somnifère ; 48 cas
Seroplex / Siprolex / Lexapro (Escitalopram oxalate), antidépresseur ISRS, trouble panique ; 31 cas
Xyrem (Sodium oxybate, dérivé du GHB), traitement de la narcolepsie ; 6 cas
Seropram (Citalopram), antidépresseur ISRS ; 34 cas
Abilify (Aripiprazole), neuroleptique antipsychotique atypique ; 23 cas
Oxycontin (Oxycodone), opioïde, douleurs intenses, en particulier cancéreuses ; 46 cas
Zyban (Bupropion), antidépresseur ISRSN et dopaminergique utilisé comme aide au sevrage tabagique ; 35 cas
Géodon, Zeldox (Ziprasidone), antipsychotyque atypique, en schizophrénie ; 19 cas
Ritaline (Méthylphénidate, de la classe des amphétamines), TDAH : hyperactivité ; 27 cas
Norset, Remeron (Mirtazapine), antidépresseur tétracyclique (à effet noradrénergique prédominant); 15 cas
Neurontin (Gabapentine), antiépileptique, traitement des douleurs neuropathiques ; 35 cas
Keppra (Lévétiracétam), antiépileptique, aussi en algologie ; 21 cas
Valium (Diazépam), benzodiazépine anxiolytique (tranquilisant), parfois anticonvulsivant ; 11 cas
Xanax (Alprazolam), benzodiazépine anxiolytique, anxiété ; 15 cas
Cymbalta (Duloxétine), antidépresseur ISRSN, dépression, douleurs neuropathiques ; 45 cas
Rivotril (Clonazépam), benzodiazépine : sédatif, hypnotique, anxiolytique et antiépileptique ; 10 cas
Interféron alpha, cytokine, traitement de certains cancers et maladies chroniques (selon les formes) ; 54 cas
Risperdal (Rispéridone), neuroleptique dit « antipsychotique atypique », en schizophrénie ; 29 cas
Seroquel (Quétiapine), neuroleptique dit « antipsychotique atypique », en schizophrénie ; 53 cas
Antiépileptiques et antidépresseurs problématiques, mais largement utilisés aussi en algologie, discipline décrédibilisée par la fraude de Scott Reuben
Pour d’autres effets secondaires de certains médicaments mentionnés ou non dans cette étude, reportez-vous à la liste de catégories à gauche des pages de Pharmacritique. J’aimerais rappeler ici l’avertissement récent de la FDA, inséré dans les RCP (résumé des caractéristiques du produit) portant sur le risque de suicide des médicaments antiépileptiques, dont j’ai rendu compte dans un article en date du 2 février 2008.
Il y a de quoi frémir quand on se rappelle que les antiépileptiques – mais aussi les antidépresseurs – sont largement utilisés aussi en algologie, sans qu’il y ait eu le moindre débat digne de ce nom lorsque la fraude massive de Scott Reuben a été découverte : au moins 21 des 72 études signées ou co-signées par ce médecin qui mangeait à tous les râteliers pharmaceutiques ont été partiellement ou intégralement falsifiées, afin de « démontrer » l’utilité de certains médicaments dans le traitement des douleurs post-opératoires, mais aussi neuropathiques. Cela a été qualifié de « séisme dans l’algologie », avec la possibilité que cette discipline ait été en grande partie faussée par cette fraude et les études et pratiques qui se sont basées là-dessus. Et pourtant, rien n’a changé.
Voir l’article sur Pharmacritique, daté du 13 mars 2009 : « Séisme en algologie et anesthésie : fraude scientifique majeure de Scott Reuben, financé surtout par Pfizer, concernant l’efficacité antalgique de Lyrica, Célébrex, Effexor… »
***
Il faut rappeler aussi l’autre avertissement de la FDA sur les certains effets secondaires des somnifères, tels que comportements compulsifs, incontrôlables, en plus des autres effets indésirables. Donald Light s’étonnait de ne pas voir ce type d’avertissement dans les notices européennes des médicaments, ni discutés dans les media. Le titre de son intervention peut servir de conclusion :
« Médicaments dangereux : les Européens tenus dans l’ignorance ».
Elena Pasca
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/07/02/01016-20100702ARTFIG00475-tuerie-de-pouzauges-un-antidepresseur-mis-en-cause.php
Tuerie de Pouzauges : un antidépresseur mis en cause
Le médecin, soupçonné d’avoir massacré le 31 mai dernier sa femme et
ses 4 enfants avant de se donner la mort, pourrait avoir eu un coup de
folie déclenché par un médicament.
Emmanuel Bécaud, médecin de province sans histoire, était-il en pleine possession de ses moyens au moment où il a tué sa famille ? Plus d’un mois après les faits, un nouvel élément vient relancer l’enquête sur cette tuerie survenue le 31 mai dernier à Pouzauges, petite commune de Vendée. Selon Le Parisien, les enquêteurs privilégient désormais l’hypothèse d’un antidépresseur – la sertraline – pour expliquer le coup de folie du médecin, qui a abattu sa femme et quatre enfants avant de se suicider. Une première en France.
«Nous n’avons pas trouvé trace d’autres produits dans son organisme, indique une source proche de l’enquête au quotidien. On soupçonne ce médicament d’avoir été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et a déclenché le massacre». La sertraline se vend le plus souvent sous la marque Zoloft. Les enquêteurs ignorent, pour l’heure, depuis combien de temps le médecin de 34 ans, «surmené» selon son entourage, prenait ce médicament. Mais le dosage était à «dose thérapeutique, et sans excès», précise la source.
L’hypothèse selon laquelle ce type de médicament peut provoquer un coup de folie a déjà été prise au sérieux dans plusieurs affaires criminelles survenues à l’étranger. En juin 2001, une cour américaine condamnait ainsi le laboratoire SmithKline Beecham, propriétaire de l’antidépresseur Deroxat, à verser 6,4 millions de dollars aux proches des victimes de Don Shell, un homme sous antidépresseur qui avait tué toute sa famille avant de se suicider dans le Wyoming. Trois ans plus tard, un tribunal australien accordait des «circonstances atténuantes» à une jeune femme qui avait tenté de tuer ses enfants avant d’essayer de mettre fin à ses jours.
D’après Guy Hugnet, ancien cadre dans l’industrie pharmaceutique auteur du livre «Antidépresseurs : mensonges sur ordonnance», ces affaires ont permis de révéler des études scientifiques qui indiquent bien que certains patients peuvent être en proie à des «agitations sévères» qui amènent à «perdre les pédales». Un phénomène appelé l’akathisie, indique-t-il au Parisien. Les antidépresseurs mis en cause sont appelés IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine). Parmi eux, on trouve notamment le Zoloft , le Deroxat, le Seropram mais aussi le très célèbre Prozac. «En France (…), ils sont prescrits comme des petits pains alors que les médecins sont sous-informés des risques», estime Guy Hugnet. La France détient en effet le record du monde de prises d’antidépresseurs : 5 millions de Français avouent en consommer régulièrement.
http://www.lenouveleconomiste.fr/art-et-culture/psychotropes-lenquete-16776/
Psychotropes, l’enquête
Les Français détiennent le record mondial de leur consommation. Or, ces molécules – comme les drogues – modifient la chimie de nos neurones…
(…)
Il est de notoriété publique que les ordonnances des médecins généralistes regorgent de ces molécules – deux, trois, et bien plus, on le verra – prescrites comme des bonbons dans le but non de traiter des maladies, mais en quelque sorte d’“améliorer l’ordinaire”. Tous les prétextes sont bons pour ingurgiter des cocktails de gélules. Dormir, se réveiller, être stimulé, moins angoissé, moins stressé, plus performant, plus en confiance, mieux concentré, moins timide, pour ne pas perdre pied, ne pas s’endormir au volant, se désinhiber, par peur de l’échec à un examen, à cause d’un chagrin d’amour, d’une rupture, d’un deuil, du chômage, de problèmes familiaux, etc.
C’est ainsi que, selon les rapports officiels, 50 % de ceux qui prennent des antidépresseurs ne sont pas dépressifs. Le constat est encore plus flagrant pour les tranquillisants et somnifères et, de plus en plus, pour les neuroleptiques, puissantes drogues dont une seule dose suffit à assommer pendant plusieurs jours un individu normalement constitué. Quelles peuvent être les répercussions de cette overdose nationale et légale sur le cerveau de millions de gens – des plus jeunes en passant par les femmes enceintes jusqu’aux vieillards – qui ne sont pas à proprement parler malades, ou qui n’ont pas bénéficié d’un diagnostic fiable ? C’est ce que j’ai cherché à savoir en explorant ce continent noir de notre pharmacopée. On a tendance à l’oublier ; pourtant, à l’instar des drogues illégales – cocaïne ou amphétamines, par exemple –, ces chères petites pilules agissent en modifiant la chimie de nos neurones. Pour le meilleur et… pour le pire !
chapitre 1
Un homme bien
Ce dimanche 30 mai 2010, jour de la Fête des mères, Bernard et Geneviève se réjouissent de recevoir leur fille Sylvie et son charmant mari, le docteur Emmanuel Bécaud, ainsi que leurs quatre petits-enfants : Eloi, 3 ans, Noé, 5 ans, Arthur, 8 ans, et Juliette, 9 ans. Tout ce petit monde turbulent va égayer leur après-midi. Les parents de Sylvie, des retraités, habitent un pavillon dans un bourg des Deux-Sèvres, à la frontière avec la Vendée.
Midi vient de sonner au clocher du village, le déjeuner est prêt, la journée s’annonce radieuse. Il ne reste plus qu’à attendre. Une bise légère caresse les fleurs du jardin. Le ciel est d’un bleu limpide. Un coup bref sonne au clocher : 12 h 30. Ils ne vont pas tarder.
La famille Bécaud habite le village de Pouzauges, à quelques kilomètres de là. Pourtant, à 13 heures, ils ne sont toujours pas arrivés. Bernard passe un coup de fil. Pas de réponse. C’est qu’ils sont en route. Une heure plus tard, même constat : aucune nouvelle de la joyeuse troupe. Cette fois, cela devient franchement inquiétant. Bernard et Geneviève font le tour des hypothèses. Un oubli ? Peu probable. Un accident sur la route ? Ils auraient été prévenus. Emmanuel retenu par une urgence ? Sylvie aurait téléphoné. Pour en avoir le cœur net, Bernard décide de se rendre sur place, à Pouzauges. Les Bécaud occupent une belle maison moderne sur une colline à la sortie du village. On la repère facilement avec son toit de tuile et son bout de façade en bois peint en rouge. Emmanuel et Sylvie, 34 et 35 ans, tous deux natifs des environs, se sont rencontrés à la faculté de médecine à Poitiers.
Ils se marient au cours de l’année 2000. Juliette arrive au monde peu après, puis Arthur. Emmanuel, lui, réalise son rêve : s’installer comme médecin de campagne non loin de la terre de son enfance. Confrontée à la pénurie de médecins, la petite commune de Montourtais lui a proposé un local que le jeune carabin a accepté. Dans la foulée, le couple fait bâtir cette belle maison. Sur place, Bernard constate que les volets du pavillon sont fermés. Bizarre, se dit-il. Apparemment, il n’y a personne. Le garage est fermé, lui aussi. Ou peuvent-ils bien être ? Un silence pesant émane de cette maison. Bernard possède un double des clés. Il hésite, puis se décide à entrer. Quelques secondes plus tard, il ressort en larmes, épouvanté, comme s’il avait vu le diable lui-même. Le pauvre homme s’empresse d’appeler les secours.
Lorsque les gendarmes poussent la porte de la maison, ils n’en croient pas leurs yeux. Une vision de cauchemar s’offre à eux. C’est d’abord Emmanuel qui est pendu à une cordelette au milieu du salon. Il porte des blessures au pied. A proximité de son corps, une bûche et un couteau ensanglanté. Puis, dans la chambre du couple, ils découvrent Sylvie baignant dans une mare de sang. Elle a été poignardée d’une dizaine de coups de couteau avant d’être égorgée. Le pire, si l’on peut dire, est à venir : un à un, les gendarmes trouvent dans les autres chambres les corps des petits, privés de vie, gisant face contre l’oreiller, le crâne fracassé par une bûche.
Des crimes d’une barbarie inouïe qui suscitent une intense émotion chez les habitants du village. Très vite, une question effleure les lèvres : qui a bien pu commettre de telles horreurs ? Xavier Pavageau, le procureur de la République de Vendée, ouvre une enquête et s’attelle à la tâche. On pense d’abord à un rôdeur psychopathe, ou encore à un fou furieux échappé d’un hôpital psychiatrique. Pourtant, il faut rapidement se rendre à l’évidence. “Aucun élément, constate le procureur, ne laisse penser à une intervention extérieure : pas d’objet disparu, ni de trace d’effraction.” De plus, la maison était verrouillée de l’intérieur. Seule certitude, “il y a eu lutte. Le désordre dans la chambre du couple atteste que Sylvie Bécaud a essayé de se défendre. Un vase brisé a été retrouvé par terre”. Elle porte des plaies aux mains, signe qu’elle a tenté de résister à son meurtrier. Mais qui ? Quand ? Et surtout, pourquoi ?
L’enquête de voisinage apporte quelques éléments de réponse. Emmanuel a été aperçu le vendredi soir vers 22h30 sortant ses poubelles. Mais, ensuite, la famille tout entière semble disparaître de la circulation. Un vrai mystère. Personne ne se souvient de les avoir vus. Deuxième indice : selon un autre voisin, les volets sont restés clos toute la journée du samedi. Or, les gendarmes ont trouvé les enfants en pyjama. Vraisemblablement, les crimes ont donc eu lieu le vendredi soir. Ce que les autopsies vont confirmer. Mais, surtout, la scène de crime va parler. Et elle impose une vérité, impen- sable, monstrueuse: le docteur Emmanuel Bécaud a lui-même massacré les êtres qu’il chérissait le plus au monde avant de mettre fin à ses jours. Dans le village, c’est la stupeur. Les habitants sont en état de choc, les proches anéantis.
“Un acte contre nature”, s’insurge aussitôt le maire, Michel Guignard, un architecte. L’élu connaît bien le docteur. Il le rencontrait régulièrement pour discuter de questions sanitaires, de l’agrandissement éventuel de son cabinet. De plus, en tant que maître d’œuvre, c’est lui qui a dessiné les plans de sa maison et surveillé les travaux. A ce titre, il a eu de longues discussions avec le couple. Que pense-t-il d’eux ? Emmanuel, dira-t-il, “c’est un homme bien, la simplicité incarnée, qui savait mettre à l’aise”. Sylvie, “une femme simple également, gentille, catholique pratiquante, très impliquée dans des associations liées à l’école dans laquelle ses enfants étaient scolarisés”.
La grande majorité des témoignages recueillis par le procureur ira dans ce sens. “Un couple uni” qui a fait “un mariage d’amour, ça se voyait à leurs yeux”. “Il adorait ses enfants.” “Il était tellement gentil, calme, posé, facile d’abord.” “Une personne extraordinaire”, confiera l’un de ses voisins. “Gentil, simple, dévoué, proche de ses patients.” Tout le contraire d’un meurtrier sanguinaire. Mais alors, comment expliquer cette folie qui semble s’être emparée de lui ?
Les enquêteurs explorent les pistes habituelles. Un problème conjugal caché derrière le vernis des conventions ? Rien ne permet de le penser. Au contraire, le couple apparaît soudé, sans problème particulier. Des ennuis financiers ? Pas davantage. L’activité professionnelle est florissante. Les enfants ? De l’avis général, ils sont équilibrés, épanouis.
Seul point noir dans ce tableau idyllique : le jeune médecin, qui se donnait corps et âme à ses patients, traversait une période de surmenage. Le maire l’avait remarqué: “Il faisait des heures à n’en plus finir. Il m’arrivait de passer devant le cabinet le soir, vers 21 heures, et de constater qu’il était toujours en consultation.” Même son de cloche du côté de la pharmacienne : “Son cabinet était toujours ouvert et il était prêt à résoudre tous les soucis des gens.” Le procureur dresse le même constat. Pour autant, explique-t-il, “le surmenage ne peut être suffisant pour expliquer un tel geste”. Il ajoute : “Nous devons découvrir l’élément déclencheur.”
En France, les tragédies familiales font environ trois cents morts par an. Elles alimentent quotidiennement la rubrique des faits divers avec des titres qui provoquent l’effroi – “Un père a poignardé ses trois enfants”, “Un homme élimine sa femme avant de tuer ses deux enfants”, “Une femme noie ses bambins et agresse son mari” – avant de sombrer dans l’oubli. Selon les statistiques, les hommes passent plus souvent à l’acte que les femmes – deux tiers des meurtriers sont des pères. Toutefois, cette violence conjugale touche tous les milieux. “La hantise de la séparation peut conduire à de l’acharnement ou à des actes irréversibles”, constate le psychiatre Roland Coutanceau. Rupture, jalousie, marasme financier… autant d’éléments déclencheurs qui permettent de s’accrocher à un minimum d’explication. Aussi atroces soient-ils, ces drames restent à l’intérieur des frontières de l’humain.
D’autres, par contre, semblent nous conduire au-delà de ces limites, directement aux portes de l’enfer. Ils restent hermétiquement fermés à l’entendement humain. En août 2005, près de Laval, en Mayenne, un homme de 51 ans massacrait sa femme et ses deux enfants dans le pavillon familial avant de se lacérer les bras, puis la nuque, et de se donner la mort. Un scénario proche de celui de Pouzauges : ni antécédent de violence, ni conflit familial, ni difficultés financières… une énigme totale.
C’est pourquoi le procureur de Vendée met tous ses espoirs dans le résultat des analyses toxicologiques. On a trouvé divers médicaments dans l’armoire à pharmacie de la maison, et jusque dans les poches du médecin : aspirine, anxiolytiques, morphine, ainsi qu’une ordonnance de paroxétine – un antidépresseur plus connu sous le nom de marque Deroxat. Mais ça ne prouve rien. Qu’un médecin ait des médicaments à portée de main, quoi de plus normal? Ont-ils un lien avec les crimes ? C’est la seule question qui vaille, et seule l’analyse toxicologique peut apporter sur ce point une preuve indiscutable.
Comme souvent en matière criminelle, les résultats se font attendre. Mais, lorsqu’ils arrivent, trois semaines plus tard, ils provoquent un double coup de théâtre. D’une part, parce qu’ils révèlent la présence insoupçonnée de la sertraline – un autre antidépresseur longtemps commercialisé sous le nom Zoloft, avant de devenir un générique. Le procureur précisera que “les doses absorbées étaient normales”. Il ajoutera : “On n’a pas trouvé trace d’un autre médicament dans le sang du médecin.” D’autre part, parce que ce même procureur orientera ses soupçons vers cette molécule, déclarant publiquement qu’“il peut y avoir un lien de causalité entre le médicament et l’acte”. C’est lui qui aurait pu déclencher un véritable ouragan dans le cerveau du jeune praticien jusqu’à le conduire à cette folie sanguinaire.
Des propos qui interpellent et suscitent le scepticisme. En effet, comment un médicament supposé soigner les gens pourrait-il pousser au crime? Question pertinente. Et d’abord, Emmanuel Bécaud était-il dépressif ? Pour certains spécialistes, “c’est une évidence car il avait beaucoup maigri”, note le docteur Alain Gérard, psychiatre. La maladie dépressive serait donc responsable de l’acte criminel.
Pourtant, cette hypothèse reste sujette à caution. Elle est intervenue a posteriori, comme pour fournir une explication rationnelle qui nous rassure. C’est souvent le cas dans ce genre d’affaires. La presse titre sur la “dépression” supposée de la personne et on tourne la page. Ce qui évite d’aller chercher plus loin. En réalité, l’entourage du médecin a davantage décrit le docteur Bécaud comme “surmené” et “surinvesti” dans son travail, plutôt qu’abattu. Depuis quelque temps, pour tenter de décompresser, il s’offrait même des plages de repos, fermant son cabinet le mercredi après-midi pour se consacrer à ses enfants et à son potager.
A vrai dire, il est plausible qu’Emmanuel Bécaud, se sentant en perte de vitesse, se soit prescrit un antidépresseur pour faire face, tenir le coup. Rien d’étonnant à cela. Des millions de Français avalent ces molécules pour les mêmes mauvaises raisons. Sans qu’un diagnostic fiable ait été posé. Selon les chiffres officiels, 50 % des prescriptions se font en effet hors indication, c’est-à-dire chez des gens non dépressifs, mais qui ressentent le besoin d’un coup de pouce. Les médecins ne sont pas épargnés, eux qui à longueur de journée voient défiler toute la misère du monde dans leur cabinet.
Pourquoi, comme le commun des mortels, n’éprouveraient-ils pas le besoin de se shooter pour tenir bon ? Selon une enquête, un grand nombre d’entre eux ont pris l’habitude de se soigner eux-mêmes, sans consulter un confrère pour établir un diagnostic. Plus de 80 % se prescrivent leur propre traitement psychotrope.
Outre la dépression, une autre thèse a été avancée pour expliquer le massacre de Pouzauges : celle du suicide altruiste. Un expert le définit comme “l’obligation imposée à quelqu’un de tuer ses proches pour les préserver d’un malheur et, ensuite, de se supprimer. La personne, dans sa pathologie, pense que la vie est trop difficile pour elle et sa famille. Et donc, elle préfère mettre fin à leur vie afin d’abréger leurs souffrances”. Chaque être humain a sa part d’ombre. On ne peut donc pas totalement exclure cette hypothèse. Pour autant, elle n’explique pas le déchaînement de violence du médecin envers des êtres qu’il chérissait tant. En revanche, cette folie destructrice apparaît comme la signature des médicaments psychotropes dans de nombreuses affaires d’homicides ou de suicides répertoriées par certains pays – Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, pays nordiques… –, alors qu’en France, pourtant championne du monde de la consommation par habitant, c’est l’omerta. Or, on va le voir, l’hypothèse du procureur – un lien entre l’antidépresseur et la folie criminelle du docteur Bécaud – n’a rien de farfelu. Bien au contraire !
On s’en doute, Xavier Pavageau ne lance pas une telle accusation au hasard, ni sans avoir mené son enquête sur la sertraline. Qu’a-t-il découvert? D’abord, que ce médicament appartient à une illustre famille d’antidépresseurs, apparue au début des années 1990 et dont le célèbre Prozac fut le chef de file. Ce qui signifie que la sertraline, le Prozac et les autres membres de cette famille – Deroxat, Seropram, Seroplex, pour les plus connus – possèdent des propriétés pharmacologiques communes. Sans entrer pour l’instant dans les détails, retenons qu’ils agissent de manière similaire sur le cerveau en augmentant le taux de sérotonine, un messager chimique – neurotransmetteur en langage médical – qui intervient dans les échanges entre les neurones. Propriétés qui sont à la base même de leur succès phénoménal dans le monde occidental. Les fabricants se partagent aujourd’hui un marché mondial estimé à près de 20 milliards de dollars annuel. Pour donner un ordre de comparaison, ce gâteau atteignait à peine le milliard de dollars à la fin des années 1980.
(…)
Publié le 23/11/2012
par Malika Es-Saïdi
Monday, 12 March 2007
Une mère apparemment aimante tue ses 5 enfants, avant de tenter de se suicider à son tour. Un fait-divers effroyable. L’une des premières explications avancées est interpellante : Geneviève Lhermitte était en dépression. Et qui dit dépression dit, souvent, antidépresseurs… Dans ce cas précis, comme l’enquête suit son cours, on ne connaît pas encore les détails du traitement suivi ou pas par la meurtrière. Ce qui peut nourrir la réflexion, c’est qu’il est prouvé que les antidépresseurs ont notamment pour effet secondaire de pousser une minorité de patients au suicide… voire au meurtre.
C’est en 2001, aux Etats-Unis. Un avocat, Andy Vickery, défend une famille qui attaque le géant pharmaceutique GlaxoSmith Kline (GSK). En cause : le Deroxat, l’antidépresseur vedette du laboratoire, qui serait responsable d’un triple meurtre suivi d’un suicide. Les faits avaient eu lieu en 1998. Donald Schell, alors âgé de 60 ans, tue sa femme, sa fille, ainsi que sa petite fille de 9 mois, avant de se suicider. David Healy, un chercheur et psychiatre irlandais, est appelé comme expert à étudier le dossier médical de Donald Schell. Il découvre que l’homme avait déjà eu des difficultés avec le Prozac. Le changement d’antidépresseur et l’utilisation du Deroxat pouvaient être, selon Healy, la cause du massacre. Pour étayer ces affirmations, l’avocat qui a fait appel à l’expertise du psychiatre lui demande d’enquêter sur le médicament, à l’intérieur même du laboratoire pharmaceutique. La loi américaine le permet en effet dans le cadre d’une procédure judiciaire. C’est ainsi que le psychiatre irlandais découvre plusieurs études scientifiques jamais publiées…
Une enquête judiciaire américaine révèle des études tenues cachées
Grâce à ces études, le médecin a pu démontrer que 34 expériences cliniques conduites avec le médicament Deroxat, avant sa commercialisation, faisaient apparaître que 25% des patients devenaient « très agités » pendant le traitement. Après deux semaines de débats, le jury a reconnu la responsabilité du Deroxat.
David Healy a travaillé sur de nombreux autres cas où les antidépresseurs étaient en cause. Il estime qu’une petite minorité de patients peut développer des tendances suicidaires ou meurtrières sous l’emprise des antidépresseurs, et préconise donc de mieux surveiller les malades, en particuliers durant les premiers jours de traitement (*). Selon lui, les laboratoires ne mettent pas assez en garde les médecins contre ces effets secondaires.
La firme GSK n’est pas la seule à avoir caché des résultats d’études cliniques à l’opinion publique. Le laboratoire Pfizer à New York a également fait les frais des investigations de David Healy sur un autre antidépresseur, le Zoloft, également mis en cause lors de procédures judiciaires. Les archives du laboratoire Pfizer ont révélé que la firme a tenté de minimiser certaines tentatives de suicide survenues au cours des études cliniques de ce médicament. L’avocat de la firme Pfizer a démenti ces accusations, en précisant que si « ce genre de mensonge devait être publié, les médecins auraient peur de prescrire ces médicaments et les patients auraient peur de suivre les instructions de leur médecin. »
Malgré les tentatives visant à discréditer ses recherches, David Healy n’a eu de cesse de rappeler, notamment, que les différents ministères de la Santé, la FDA (Food and Drug Administration)(**) aux USA, la MCA en Angleterre, et l’Agence du Médicament en France, sont principalement informés par les laboratoires pharmaceutiques. Les rapports consultent sur les études cliniques de ces médicaments que ces organismes sont donc préparés par les firmes elles-mêmes, lesquelles, bien entendu, peuvent se garder de fournir l’entièreté des informations dont elles disposent sur un médicament. L’enjeu est de taille puisque à la clé, il y a l’autorisation de mettre lesdits médicaments sur le marché.
On maximise les effets thérapeutiques et on minimise les effets secondaires
En Belgique, rares sont les médecins qui déclarent ouvertement leur prudence à l’égard du médicament. Philippe Hennaux, psychiatre, est une exception. Dans sa pratique privée, il dit même ne jamais prescrire de médicaments. En revanche, dans le cadre institutionnel, il se dit bien obligé de tenir compte des prescriptions drainées par les patients qui arrivent jusqu’à lui par ce biais. Mais, comme David Healy, il n’est pas hostile aux médicaments en général, ni aux antidépresseurs, en l’occurrence, dont l’utilisation peut s’avérer judicieuse. Ce qu’il dénonce, c’est un système d’information qui consiste à maximiser les effets thérapeutiques de ces médicaments et à en minimiser les effets secondaires, potentiellement dangereux. Par ailleurs, il est particulièrement scandalisé par la tendance d’une certaine presse, encouragée par les firmes pharmaceutiques elles-mêmes, à présenter la dépression comme un diagnostic valable pour tous, lorsqu’elle annonce joyeusement, par exemple : « sachez reconnaître votre dépression ». Au lieu d’attendre le diagnostic du médecin, le patient arrive en consultation chez son généraliste avec le sien, déjà établi par ses lectures. Quant à la prescription d’antidépresseurs, chacun peut se rendre compte de la facilité avec laquelle un médecin généraliste s’exécute, car ces derniers sont encore très souvent considérés comme universels et inoffensifs.
Or, le danger existe bel et bien, comme celui, même rare, du passage à l’acte violent, et parfois du suicide, voire du meurtre. C’est un fait, aujourd’hui reconnu par les scientifiques (**) : seules les firmes pharmaceutiques ont encore parfois intérêt à minimiser ces risques avérés.
Les firmes pharmaceutiques évoluent
Mais il y a des progrès, puisqu’en 2006 la FDA (Food and Drug Administration) ainsi que la firme Glaxo Smith Kline (GSK) confirmaient que les adultes déprimés de tous âges prenant de la Paroxetine, un autre antidépresseur analogue au Prozac, ont un taux de mortalité par suicide plus élevé et un taux d’idéations suicidaires –capable de provoquer des idées suicidaires- 6,4 fois plus élevé que les patients sous placebo.
Aux Etats-Unis, les récents débats ne portent d’ailleurs plus, désormais, sur la véracité de ces effets secondaires, mais sur la volonté de groupes de pression de voir figurer sur les boîtes d’antidépresseurs, une indication claire : que ce médicament peut engendrer des idées ou des actes suicidaires, voire de la violence à l’égard d’autrui. Le danger existe surtout au début du traitement, lors d’un changement de dose ou de molécule ou encore en cas d’arrêt brutal du traitement. Parler d’homicides ou de suicides fait évidemment peur, mais il est impossible de taire les cas avérés, même s’ils sont peu nombreux. C’est pourquoi l’utilisation de ces molécules devrait être suivie de très près par les médecins, et l’arrêt du traitement toujours se faire prudemment et très progressivement. En aucun cas l’antidépresseur ne peut être prescrit automatiquement, mais uniquement lorsque le rapport bénéfice-risque pour chaque patient est mesuré avec le plus grand sérieux. En est-on là en Belgique ?
(*) Le Point, 12 avril 2002 (N°1543), p.78
(**) l’administration américaine de contrôle des denrées alimentaires et des médicaments.
(***) David Healy, Andrew Herxheimer, David B. Menkes, Antidépressants and violence : Problems at the interface of medecine and law. www.plosmedicine.org, Sept 2006, Vol 3, Issue 9.
190 millions d’euros par an pour les antidépresseurs !
Ce sont surtout –mais pas uniquement- les antidépresseurs de type inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) qui sont mis en cause pour leurs effets secondaires parfois violents. Le plus connu d’entre eux, le Prozac, représentait en 1997 un marché de plus de 86 millions d’euro en Belgique. En 2005, ce chiffre a dépassé les 118 millions d’euros, mais est en perte de vitesse par rapport à 2004 où l’INAMI et le patient avaient déboursé plus de 137 millions d’euros pour ce seul médicament…
Le coût global des antidépresseurs prescrits en Belgique en 1997 représentait déjà plus de 112 millions d’euros et a grimpé progressivement jusqu’à atteindre plus de 190 millions d’euros en 2005.
journaldumardi.be
http://www.lepoint.fr/actualites-sciences-sante/2007-01-21/la-bete-noire-des-labos/919/0/61969
Le Point – Publié le 12/04/2002 à 04:23 – Modifié le 21/01/2007 à 04:23
La bête noire des labos
Par Luc Hermann
A cause de ses conclusions plutôt radicales, rares sont les médecins qui osent le soutenir. « Les gens sont très méfiants. Et en raison du pouvoir énorme de l’industrie pharmaceutique, très peu de publications se sont intéressées à mes recherches, confie-t-il. Jusqu’à ce que je reçoive un appel des Etats-Unis. » A l’autre bout de la ligne, Andy Vickery, un avocat texan. Depuis son bureau de Houston, il défend plusieurs familles américaines dont un membre s’est suicidé alors qu’il prenait des médicaments antidépresseurs. En cherchant un expert scientifique pour témoigner en faveur de ces familles, il a repéré les travaux de David Healy. Pourquoi lui, en Angleterre ? « II y a évidemment de nombreux experts ici aux Etats-Unis, qui pourraient nous aider, explique Vickery. Mais, malheureusement, soit ils n’ont pas le courage d’affronter les géants pharmaceu-tiques, soit ils sont trop liés financiè- rement aux laboratoires. Le docteur Healy, lui, est courageux et indépendant. » David Healy accepte d’aider l’avocat texan.
« Les laboratoires sont prêts à tout pour défendre leurs médicaments. Ils ont toujours gagné leurs procès contre les familles de victimes, j’en ai moi-même perdu plusieurs » , reconnaît l’avocat, avant d’ajouter : « Et puis, il y a eu cette fameuse affaire du Wyoming. » Un procès retentissant. C’était il y a presque un an, en juin 2001. Andy Vickery défend une famille qui attaque le géant pharmaceutique GlaxoSmith Kline (GSK). En cause : le Déroxat, l’antidépresseur vedette du laboratoire, qui serait responsable d’un triple meurtre suivi d’un suicide. En 1998, après avoir pris du Déroxat pendant deux jours, Donald Schell, 60 ans, tue sa femme, sa fille, puis sa petite-fille âgée de 9 mois, avant de retourner l’arme contre lui. En étudiant le dossier médical de Donald Schell, David Healy découvre que « cet homme avait déjà eu des problèmes avec le Prozac. Pour moi, le Déroxat est la cause de ce massacre » .
Pour étayer cette thèse, Andy Vickery demande à David Healy d’enquêter sur le médicament, à l’intérieur même du laboratoire. « Le docteur Healy a pu consulter les rapports internes du laboratoire concernant le Déroxat en toute légalité » , explique Vickery. C’est une subtilité de la loi américaine. Au cours de la procédure, les avocats et leurs experts peuvent avoir accès à toutes les informations. Ainsi la justice a obligé GSK à ouvrir ses archives à David Healy. C’était au siège britannique du laboratoire, dans l’Essex. « C’était assez surprenant. Il y avait plusieurs centaines de milliers de documents , se souvient David Healy. J’avais deux jours pour les compulser. Il y avait toujours auprès de moi des responsables du laboratoire pour me surveiller. » Au cours de ses recherches, au grand dam du laboratoire, David Healy trouve des documents compromettants, notamment plusieurs études scientifiques jamais publiées.
« Les découvertes du docteur Healy ont été déterminantes pour prouver que la prise de Déroxat était la cause de ces quatre morts » , affirme Vickery. Un peu intimidé, le médecin a démontré que 34 études cliniques, conduites sur le médicament Déroxat avant sa commercialisation, faisaient apparaître que 25 % des patients devenaient agités pendant le traitement. Après deux semaines de débats, le 6 juin 2001, le jury a reconnu la responsabilité du Déroxat. Pas peu fiers, Andy Vickery et David Healy sont aujourd’hui les seuls à avoir rem- porté un procès ayant trait à un antidépresseur aux Etats-Unis. L’avocat a obtenu que le laboratoire verse 6,4 millions de dollars de dédommagement à la famille.
Le laboratoire a payé
Le laboratoire avait tout d’abord fait appel de ce verdict, mais a préféré, in extremis, négocier à l’amiable. La famille a retiré sa plainte. Pour éviter une mauvaise publicité à son médicament vedette, GSK a donc cédé, mais le montant de la transaction est « secret défense ». Et GSK dément formellement les accusations de David Healy. « Le docteur Healy n’a pas vu toutes les données , affirme le docteur David Wheadon, responsable du service juridique du laboratoire. Ses attaques sont sans fondement. » Sauf que le laboratoire a accepté de payer, à la suite des découvertes du psychiatre irlandais.
David Healy estime qu’une petite minorité de patients peuvent développer des tendances suicidaires ou meurtrières sous l’emprise des antidépresseurs et préconise donc de mieux surveiller les malades, particulièrement pendant les premiers jours de traitement. Selon lui, les laboratoires ne mettent pas assez en garde les médecins contre ces effets secondaires. David Healy enquête actuellement, dans plusieurs procédures judiciaires, sur un autre antidépresseur : le Zoloft, du laboratoire américain Pfizer. Le Zoloft a dépassé les ventes de Prozac dans le monde, son chiffre d’affaires annuel s’élève à 2 milliards de dollars. En France, l’année dernière, 485 000 patients ont été traités avec du Zoloft. David Healy a ainsi pu visiter, pendant trois jours, les archives du laboratoire Pfizer à New York. « J’ai vu de nombreux documents qui ne sont pas dans le domaine public. » Il aurait ainsi découvert que Pfizer aurait tenté de minimiser certaines tentatives de suicide survenues au cours des études cliniques du Zoloft.
Confidentiel ou dangereux ?
En Australie, son expertise a permis de réduire la peine d’un condamné pour meurtre. David Hawkins, 76 ans, avait étranglé sa femme alors qu’il prenait du Zoloft. Dans son verdict, le juge australien a précisé que « toutes les preuves scientifiques tendaient à démontrer que, si le prisonnier n’avait pas pris du Zoloft, il est très peu probable qu’il aurait commis ce crime » . Une autre affaire en cours concerne le suicide d’un garçon de 13 ans dans le Kansas. Traité depuis sept jours avec du Zoloft, pour une légère dépression, Mathew Miller s’est pendu dans sa chambre.
L’expert irlandais est devenu la bête noire de l’industrie pharmaceutique. Pfizer réfute ses accusations et affirme ne rien avoir à cacher. Mais alors, pourquoi les documents trouvés par David Healy sont-ils à ce point confidentiels ? « Ce serait une tragédie de laisser le docteur Healy utiliser ces documents pour qu’il les publie et les détourne , estime Malcolm Wheeler, l’avocat de Pfizer aux Etats-Unis. Si ce genre de mensonge est publié, les médecins auront peur de prescrire ces médicaments, et les patients auront peur de suivre les instructions de leur médecin. » Pour Pfizer, les thèses du docteur Healy sont dangereuses. « Le docteur Healy a beaucoup de charme, et il en joue pendant les procès ou devant les journalistes. Mais il n’est pas crédible », ajoute l’avocat. Mais David Healy persiste : « En ce qui concerne les différents ministères de la Santé, la FDA aux Etats-Unis, la MCA en Angleterre, et l’Agence du médicament en France, mon sentiment est que les rapports qu’ils consultent sur les études cliniques de ces médicaments sont préparés par les laboratoires eux-mêmes. Et les contacts que j’ai eus ici avec le ministère, en Angleterre, me font craindre qu’il n’ait pas vu toutes les données. » Les laboratoires pharmaceutiques ont des médicaments à vendre, certes. Mais il semble donc que pour obtenir l’autorisation de les mettre sur le marché ils ne publient que les rapports qui les arrangent.
Un contrat annulé
Dans sa maison avec vue sur la mer, David Healy reste serein. Il rétorque à ses détracteurs qu’il n’est pas un militant antimédicaments. « Je prescris du Déroxat, du Zoloft ou du Prozac à certains de mes patients, je reconnais leur utilité. Mais nous avons perdu un peu de notre sagesse. De nos jours, nous voulons tous être soignés rapidement. Et l’industrie pharmaceutique capitalise sur ce besoin, avec des campagnes marketing ciblées très efficaces, par exemple pour désormais prescrire ces médicaments aux enfants. »
Entre ses expertises judiciaires, David Healy poursuit ses activités universitaires à Cardiff, au pays de Galles. Si les laboratoires pharmaceutiques tentent par tous les moyens légaux de l’écarter des actions intentées contre leurs médicaments, ils n’ont jamais fait pression directement sur lui. A l’exception peut-être de cette étrange affaire canadienne. David Healy avait accepté de diriger le département de psychiatrie de la prestigieuse université de Toronto. Il s’apprêtait à déménager avec femme et enfants. Mais, deux mois avant le départ, son contrat a été annulé. Le directeur de l’université lui reproche un de ses discours au Canada, dans lequel il disait sa conviction que le Prozac peut déclencher des pulsions suicidaires. Le laboratoire Eli Lilly, propriétaire de l’antidépresseur vedette, est le principal sponsor de l’université de Toronto. Officiellement, il n’y a aucun rapport. Mais David Healy a décidé d’attaquer l’université en justice. « Une question d’honneur » , dit-il. Il est soutenu par de nombreux scientifiques de renom, dont deux prix Nobel. Certains ne partagent pas ses idées, mais tous protestent contre la censure dont il fait l’objet
http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2011/01/21/violence-homicides-agressions-effets-secondaires-frequents-d.html
21/01/2011
Violence, homicides, agressions : effets secondaires de 31 médicaments tels que Champix, antidépresseurs, sédatifs / hypnotiques, Ritaline…
Un article paru le 15 décembre 2010 dans la revue en libre accès PLoS One (Public Library of Science) sous le titre « Prescription Drugs Associated with Reports of Violence Towards Others » (Médicaments d’ordonnance signalés pour leurs effets secondaires de violence envers autrui) rend compte d’une étude rétrospective des signalements à la pharmacovigilance des Etats-Unis (FDA : Food and Drug Administration) entre 2004 et 2009.
31 médicaments ont été mis en cause pour 1527 actes de violence : crimes, idéation meurtrière, violences sur les personnes, abus sexuel et autres actes de violence commis sur d’autres personnes.
Le médicament le plus incriminé pour de tels effets secondaires est le Champix (tartrate de varénicline), suivi de onze antidépresseurs, six sédatifs / hypnotiques et trois médicaments prescrits dans le TDAH (trouble déficit d’attention avec hyperactivité). Voir plus bas pour la liste.
Image tirée du site des Revolting Broadcasters: « Le Champix peut-il tuer? »
Les preuves ont été beaucoup plus faibles pour des effets secondaires de violence induits par des antipsychotiques et absentes pour les antiépileptiques, à l’exception d’un seul médicament de cette classe. Les auteurs mettent une telle différence entre le Champix et les antidépresseurs, d’une part, et les autres médicaments ayant des effets indésirables violents, d’autre part, sur le compte de l’impact des premiers sur des neurotransmetteurs : le circuit dopaminergique pour le Champix et celui sérotoninergique pour les antidépresseurs (quantité, libération, durée de présence dans les synapses, recapture…).
Les auteurs, Thomas J Moore, Joseph Glenmullen et Curt D Furberg (de l’Institute for Safe Medication Practices et plusieurs universités), n’ont aucun conflit d’intérêt et l’étude n’a pas eu de financement industriel.
Champix, champion toutes catégories…
L’effet secondaire qu’est l’idéation suicidaire et les tentatives de suicide a été assez bien étudié, notamment pour les antidépresseurs [et les antiépileptiques – voir article sur Pharmacritique]. Mais pas la violence envers autrui, même si elle a été évoqué dans certains cas et clairement affirmé pour ce qui est du Champix (varénicline), en association avec l’agressivité, les hallucinations, les troubles psychotiques, etc., comme on peut le lire dans le rapport de l’Institute for Safe Medical Practices. Rapport dont j’ai rendu compte sur Pharmacritique dans l’article daté du 25 mai 2008 : « Une étude détaille les effets neurologiques et cardiovasculaire du Champix, médicament d’aide au sevrage tabagique ».
Des réactions de violence grave ont été décrites aussi chez les vétérans de guerre enrôlés dans une étude sur le Champix, ou plutôt servant de cobayes, avec des résultats désastreux (voir cet article sur Pharmacritique) ; des réactions psychiatriques et neuropsychiatriques graves ont été signalés aussi par Santé Canada (agence de sécurité sanitaire, équivalent de notre AFSSAPS ; voir cet article et quelques autres de la catégorie « Tabac, sevrage tabagique, Champix) ».
Voici la liste des médicaments les plus incriminés dans l’article de PLoS One, avec le nombre de cas de violence envers autrui (toutes formes confondues) signalés à la FDA.
Pour faciliter la lecture et rendre l’information accessible à tout le monde, j’ai cherché les noms de marque français, lorsqu’ils existent (l’original ne mentionne que les DCI, la dénomination commune internationale, que la plupart des usagers ne connaissent pas) et les indications principales dans lesquels ils sont utilisés.
Le Champix devance les autres de très loin. (D’ailleurs, dans l’article déjà cité, l’Institue for Safe Medical Practices désignait le Champix comme étant le médicament ayant fait l’objet de la plupart de notifications d’effets secondaires).
Champix (tartrate de varénicline), sevrage tabagique ; 408 cas
Prozac (Fluoxétine), antidépresseur ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine) ; 72 cas
Déroxat / Séroxat / Paxil (paroxétine), antidépresseur ISRS ; 177 cas
Amphétamines, 31 cas
Lariam (Méfloquine), antimalaria, prophylaxie du paludisme ; 10 cas
Strattera (Atomoxétine, de la classe des amphétamines), TDAH : hyperactivité ; 50 cas
Halcion (Triazolam, classe des benzodiazépines), somnifère ; 7 cas
Luvox, Floxyfral (Fluvoxamine), antidépresseur, trouble obsessionnel-compulsif) ; 5 cas
Effexor (Venlafaxine), antidépresseur ISRSN (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ); 85 cas,
Pristiq (Desvenlafaxine), antidépresseur ISRSN ; 8 cas
Singulair (Montélukast), traitement additif de l’asthme ; 53 cas
Zoloft (Sertraline), antidépresseur ISRS, 64 cas
Stilnox (zolpidem), somnifère ; 48 cas
Seroplex / Siprolex / Lexapro (Escitalopram oxalate), antidépresseur ISRS, trouble panique ; 31 cas
Xyrem (Sodium oxybate, dérivé du GHB), traitement de la narcolepsie ; 6 cas
Seropram (Citalopram), antidépresseur ISRS ; 34 cas
Abilify (Aripiprazole), neuroleptique antipsychotique atypique ; 23 cas
Oxycontin (Oxycodone), opioïde, douleurs intenses, en particulier cancéreuses ; 46 cas
Zyban (Bupropion), antidépresseur ISRSN et dopaminergique utilisé comme aide au sevrage tabagique ; 35 cas
Géodon, Zeldox (Ziprasidone), antipsychotyque atypique, en schizophrénie ; 19 cas
Ritaline (Méthylphénidate, de la classe des amphétamines), TDAH : hyperactivité ; 27 cas
Norset, Remeron (Mirtazapine), antidépresseur tétracyclique (à effet noradrénergique prédominant); 15 cas
Neurontin (Gabapentine), antiépileptique, traitement des douleurs neuropathiques ; 35 cas
Keppra (Lévétiracétam), antiépileptique, aussi en algologie ; 21 cas
Valium (Diazépam), benzodiazépine anxiolytique (tranquilisant), parfois anticonvulsivant ; 11 cas
Xanax (Alprazolam), benzodiazépine anxiolytique, anxiété ; 15 cas
Cymbalta (Duloxétine), antidépresseur ISRSN, dépression, douleurs neuropathiques ; 45 cas
Rivotril (Clonazépam), benzodiazépine : sédatif, hypnotique, anxiolytique et antiépileptique ; 10 cas
Interféron alpha, cytokine, traitement de certains cancers et maladies chroniques (selon les formes) ; 54 cas
Risperdal (Rispéridone), neuroleptique dit « antipsychotique atypique », en schizophrénie ; 29 cas
Seroquel (Quétiapine), neuroleptique dit « antipsychotique atypique », en schizophrénie ; 53 cas
Antiépileptiques et antidépresseurs problématiques, mais largement utilisés aussi en algologie, discipline décrédibilisée par la fraude de Scott Reuben
Pour d’autres effets secondaires de certains médicaments mentionnés ou non dans cette étude, reportez-vous à la liste de catégories à gauche des pages de Pharmacritique. J’aimerais rappeler ici l’avertissement récent de la FDA, inséré dans les RCP (résumé des caractéristiques du produit) portant sur le risque de suicide des médicaments antiépileptiques, dont j’ai rendu compte dans un article en date du 2 février 2008.
Il y a de quoi frémir quand on se rappelle que les antiépileptiques – mais aussi les antidépresseurs – sont largement utilisés aussi en algologie, sans qu’il y ait eu le moindre débat digne de ce nom lorsque la fraude massive de Scott Reuben a été découverte : au moins 21 des 72 études signées ou co-signées par ce médecin qui mangeait à tous les râteliers pharmaceutiques ont été partiellement ou intégralement falsifiées, afin de « démontrer » l’utilité de certains médicaments dans le traitement des douleurs post-opératoires, mais aussi neuropathiques. Cela a été qualifié de « séisme dans l’algologie », avec la possibilité que cette discipline ait été en grande partie faussée par cette fraude et les études et pratiques qui se sont basées là-dessus. Et pourtant, rien n’a changé.
Voir l’article sur Pharmacritique, daté du 13 mars 2009 : « Séisme en algologie et anesthésie : fraude scientifique majeure de Scott Reuben, financé surtout par Pfizer, concernant l’efficacité antalgique de Lyrica, Célébrex, Effexor… »
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Il faut rappeler aussi l’autre avertissement de la FDA sur les certains effets secondaires des somnifères, tels que comportements compulsifs, incontrôlables, en plus des autres effets indésirables. Donald Light s’étonnait de ne pas voir ce type d’avertissement dans les notices européennes des médicaments, ni discutés dans les media. Le titre de son intervention peut servir de conclusion :
« Médicaments dangereux : les Européens tenus dans l’ignorance ».
Elena Pasca
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/07/02/01016-20100702ARTFIG00475-tuerie-de-pouzauges-un-antidepresseur-mis-en-cause.php
Tuerie de Pouzauges : un antidépresseur mis en cause
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- Par Flore Galaud
- Mis à jour le 15/07/2010 à 10:44
- Publié le 02/07/2010 à 10:43
Emmanuel Bécaud, médecin de province sans histoire, était-il en pleine possession de ses moyens au moment où il a tué sa famille ? Plus d’un mois après les faits, un nouvel élément vient relancer l’enquête sur cette tuerie survenue le 31 mai dernier à Pouzauges, petite commune de Vendée. Selon Le Parisien, les enquêteurs privilégient désormais l’hypothèse d’un antidépresseur – la sertraline – pour expliquer le coup de folie du médecin, qui a abattu sa femme et quatre enfants avant de se suicider. Une première en France.
«Nous n’avons pas trouvé trace d’autres produits dans son organisme, indique une source proche de l’enquête au quotidien. On soupçonne ce médicament d’avoir été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et a déclenché le massacre». La sertraline se vend le plus souvent sous la marque Zoloft. Les enquêteurs ignorent, pour l’heure, depuis combien de temps le médecin de 34 ans, «surmené» selon son entourage, prenait ce médicament. Mais le dosage était à «dose thérapeutique, et sans excès», précise la source.
Certains sujets peuvent «perdre les pédales»
L’hypothèse selon laquelle ce type de médicament peut provoquer un coup de folie a déjà été prise au sérieux dans plusieurs affaires criminelles survenues à l’étranger. En juin 2001, une cour américaine condamnait ainsi le laboratoire SmithKline Beecham, propriétaire de l’antidépresseur Deroxat, à verser 6,4 millions de dollars aux proches des victimes de Don Shell, un homme sous antidépresseur qui avait tué toute sa famille avant de se suicider dans le Wyoming. Trois ans plus tard, un tribunal australien accordait des «circonstances atténuantes» à une jeune femme qui avait tenté de tuer ses enfants avant d’essayer de mettre fin à ses jours.
D’après Guy Hugnet, ancien cadre dans l’industrie pharmaceutique auteur du livre «Antidépresseurs : mensonges sur ordonnance», ces affaires ont permis de révéler des études scientifiques qui indiquent bien que certains patients peuvent être en proie à des «agitations sévères» qui amènent à «perdre les pédales». Un phénomène appelé l’akathisie, indique-t-il au Parisien. Les antidépresseurs mis en cause sont appelés IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine). Parmi eux, on trouve notamment le Zoloft , le Deroxat, le Seropram mais aussi le très célèbre Prozac. «En France (…), ils sont prescrits comme des petits pains alors que les médecins sont sous-informés des risques», estime Guy Hugnet. La France détient en effet le record du monde de prises d’antidépresseurs : 5 millions de Français avouent en consommer régulièrement.
http://www.lenouveleconomiste.fr/art-et-culture/psychotropes-lenquete-16776/
Psychotropes, l’enquête
Les Français détiennent le record mondial de leur consommation. Or, ces molécules – comme les drogues – modifient la chimie de nos neurones…
(…)
Il est de notoriété publique que les ordonnances des médecins généralistes regorgent de ces molécules – deux, trois, et bien plus, on le verra – prescrites comme des bonbons dans le but non de traiter des maladies, mais en quelque sorte d’“améliorer l’ordinaire”. Tous les prétextes sont bons pour ingurgiter des cocktails de gélules. Dormir, se réveiller, être stimulé, moins angoissé, moins stressé, plus performant, plus en confiance, mieux concentré, moins timide, pour ne pas perdre pied, ne pas s’endormir au volant, se désinhiber, par peur de l’échec à un examen, à cause d’un chagrin d’amour, d’une rupture, d’un deuil, du chômage, de problèmes familiaux, etc.
C’est ainsi que, selon les rapports officiels, 50 % de ceux qui prennent des antidépresseurs ne sont pas dépressifs. Le constat est encore plus flagrant pour les tranquillisants et somnifères et, de plus en plus, pour les neuroleptiques, puissantes drogues dont une seule dose suffit à assommer pendant plusieurs jours un individu normalement constitué. Quelles peuvent être les répercussions de cette overdose nationale et légale sur le cerveau de millions de gens – des plus jeunes en passant par les femmes enceintes jusqu’aux vieillards – qui ne sont pas à proprement parler malades, ou qui n’ont pas bénéficié d’un diagnostic fiable ? C’est ce que j’ai cherché à savoir en explorant ce continent noir de notre pharmacopée. On a tendance à l’oublier ; pourtant, à l’instar des drogues illégales – cocaïne ou amphétamines, par exemple –, ces chères petites pilules agissent en modifiant la chimie de nos neurones. Pour le meilleur et… pour le pire !
chapitre 1
Un homme bien
Ce dimanche 30 mai 2010, jour de la Fête des mères, Bernard et Geneviève se réjouissent de recevoir leur fille Sylvie et son charmant mari, le docteur Emmanuel Bécaud, ainsi que leurs quatre petits-enfants : Eloi, 3 ans, Noé, 5 ans, Arthur, 8 ans, et Juliette, 9 ans. Tout ce petit monde turbulent va égayer leur après-midi. Les parents de Sylvie, des retraités, habitent un pavillon dans un bourg des Deux-Sèvres, à la frontière avec la Vendée.
Midi vient de sonner au clocher du village, le déjeuner est prêt, la journée s’annonce radieuse. Il ne reste plus qu’à attendre. Une bise légère caresse les fleurs du jardin. Le ciel est d’un bleu limpide. Un coup bref sonne au clocher : 12 h 30. Ils ne vont pas tarder.
La famille Bécaud habite le village de Pouzauges, à quelques kilomètres de là. Pourtant, à 13 heures, ils ne sont toujours pas arrivés. Bernard passe un coup de fil. Pas de réponse. C’est qu’ils sont en route. Une heure plus tard, même constat : aucune nouvelle de la joyeuse troupe. Cette fois, cela devient franchement inquiétant. Bernard et Geneviève font le tour des hypothèses. Un oubli ? Peu probable. Un accident sur la route ? Ils auraient été prévenus. Emmanuel retenu par une urgence ? Sylvie aurait téléphoné. Pour en avoir le cœur net, Bernard décide de se rendre sur place, à Pouzauges. Les Bécaud occupent une belle maison moderne sur une colline à la sortie du village. On la repère facilement avec son toit de tuile et son bout de façade en bois peint en rouge. Emmanuel et Sylvie, 34 et 35 ans, tous deux natifs des environs, se sont rencontrés à la faculté de médecine à Poitiers.
Ils se marient au cours de l’année 2000. Juliette arrive au monde peu après, puis Arthur. Emmanuel, lui, réalise son rêve : s’installer comme médecin de campagne non loin de la terre de son enfance. Confrontée à la pénurie de médecins, la petite commune de Montourtais lui a proposé un local que le jeune carabin a accepté. Dans la foulée, le couple fait bâtir cette belle maison. Sur place, Bernard constate que les volets du pavillon sont fermés. Bizarre, se dit-il. Apparemment, il n’y a personne. Le garage est fermé, lui aussi. Ou peuvent-ils bien être ? Un silence pesant émane de cette maison. Bernard possède un double des clés. Il hésite, puis se décide à entrer. Quelques secondes plus tard, il ressort en larmes, épouvanté, comme s’il avait vu le diable lui-même. Le pauvre homme s’empresse d’appeler les secours.
Lorsque les gendarmes poussent la porte de la maison, ils n’en croient pas leurs yeux. Une vision de cauchemar s’offre à eux. C’est d’abord Emmanuel qui est pendu à une cordelette au milieu du salon. Il porte des blessures au pied. A proximité de son corps, une bûche et un couteau ensanglanté. Puis, dans la chambre du couple, ils découvrent Sylvie baignant dans une mare de sang. Elle a été poignardée d’une dizaine de coups de couteau avant d’être égorgée. Le pire, si l’on peut dire, est à venir : un à un, les gendarmes trouvent dans les autres chambres les corps des petits, privés de vie, gisant face contre l’oreiller, le crâne fracassé par une bûche.
Des crimes d’une barbarie inouïe qui suscitent une intense émotion chez les habitants du village. Très vite, une question effleure les lèvres : qui a bien pu commettre de telles horreurs ? Xavier Pavageau, le procureur de la République de Vendée, ouvre une enquête et s’attelle à la tâche. On pense d’abord à un rôdeur psychopathe, ou encore à un fou furieux échappé d’un hôpital psychiatrique. Pourtant, il faut rapidement se rendre à l’évidence. “Aucun élément, constate le procureur, ne laisse penser à une intervention extérieure : pas d’objet disparu, ni de trace d’effraction.” De plus, la maison était verrouillée de l’intérieur. Seule certitude, “il y a eu lutte. Le désordre dans la chambre du couple atteste que Sylvie Bécaud a essayé de se défendre. Un vase brisé a été retrouvé par terre”. Elle porte des plaies aux mains, signe qu’elle a tenté de résister à son meurtrier. Mais qui ? Quand ? Et surtout, pourquoi ?
L’enquête de voisinage apporte quelques éléments de réponse. Emmanuel a été aperçu le vendredi soir vers 22h30 sortant ses poubelles. Mais, ensuite, la famille tout entière semble disparaître de la circulation. Un vrai mystère. Personne ne se souvient de les avoir vus. Deuxième indice : selon un autre voisin, les volets sont restés clos toute la journée du samedi. Or, les gendarmes ont trouvé les enfants en pyjama. Vraisemblablement, les crimes ont donc eu lieu le vendredi soir. Ce que les autopsies vont confirmer. Mais, surtout, la scène de crime va parler. Et elle impose une vérité, impen- sable, monstrueuse: le docteur Emmanuel Bécaud a lui-même massacré les êtres qu’il chérissait le plus au monde avant de mettre fin à ses jours. Dans le village, c’est la stupeur. Les habitants sont en état de choc, les proches anéantis.
“Un acte contre nature”, s’insurge aussitôt le maire, Michel Guignard, un architecte. L’élu connaît bien le docteur. Il le rencontrait régulièrement pour discuter de questions sanitaires, de l’agrandissement éventuel de son cabinet. De plus, en tant que maître d’œuvre, c’est lui qui a dessiné les plans de sa maison et surveillé les travaux. A ce titre, il a eu de longues discussions avec le couple. Que pense-t-il d’eux ? Emmanuel, dira-t-il, “c’est un homme bien, la simplicité incarnée, qui savait mettre à l’aise”. Sylvie, “une femme simple également, gentille, catholique pratiquante, très impliquée dans des associations liées à l’école dans laquelle ses enfants étaient scolarisés”.
La grande majorité des témoignages recueillis par le procureur ira dans ce sens. “Un couple uni” qui a fait “un mariage d’amour, ça se voyait à leurs yeux”. “Il adorait ses enfants.” “Il était tellement gentil, calme, posé, facile d’abord.” “Une personne extraordinaire”, confiera l’un de ses voisins. “Gentil, simple, dévoué, proche de ses patients.” Tout le contraire d’un meurtrier sanguinaire. Mais alors, comment expliquer cette folie qui semble s’être emparée de lui ?
Les enquêteurs explorent les pistes habituelles. Un problème conjugal caché derrière le vernis des conventions ? Rien ne permet de le penser. Au contraire, le couple apparaît soudé, sans problème particulier. Des ennuis financiers ? Pas davantage. L’activité professionnelle est florissante. Les enfants ? De l’avis général, ils sont équilibrés, épanouis.
Seul point noir dans ce tableau idyllique : le jeune médecin, qui se donnait corps et âme à ses patients, traversait une période de surmenage. Le maire l’avait remarqué: “Il faisait des heures à n’en plus finir. Il m’arrivait de passer devant le cabinet le soir, vers 21 heures, et de constater qu’il était toujours en consultation.” Même son de cloche du côté de la pharmacienne : “Son cabinet était toujours ouvert et il était prêt à résoudre tous les soucis des gens.” Le procureur dresse le même constat. Pour autant, explique-t-il, “le surmenage ne peut être suffisant pour expliquer un tel geste”. Il ajoute : “Nous devons découvrir l’élément déclencheur.”
En France, les tragédies familiales font environ trois cents morts par an. Elles alimentent quotidiennement la rubrique des faits divers avec des titres qui provoquent l’effroi – “Un père a poignardé ses trois enfants”, “Un homme élimine sa femme avant de tuer ses deux enfants”, “Une femme noie ses bambins et agresse son mari” – avant de sombrer dans l’oubli. Selon les statistiques, les hommes passent plus souvent à l’acte que les femmes – deux tiers des meurtriers sont des pères. Toutefois, cette violence conjugale touche tous les milieux. “La hantise de la séparation peut conduire à de l’acharnement ou à des actes irréversibles”, constate le psychiatre Roland Coutanceau. Rupture, jalousie, marasme financier… autant d’éléments déclencheurs qui permettent de s’accrocher à un minimum d’explication. Aussi atroces soient-ils, ces drames restent à l’intérieur des frontières de l’humain.
D’autres, par contre, semblent nous conduire au-delà de ces limites, directement aux portes de l’enfer. Ils restent hermétiquement fermés à l’entendement humain. En août 2005, près de Laval, en Mayenne, un homme de 51 ans massacrait sa femme et ses deux enfants dans le pavillon familial avant de se lacérer les bras, puis la nuque, et de se donner la mort. Un scénario proche de celui de Pouzauges : ni antécédent de violence, ni conflit familial, ni difficultés financières… une énigme totale.
C’est pourquoi le procureur de Vendée met tous ses espoirs dans le résultat des analyses toxicologiques. On a trouvé divers médicaments dans l’armoire à pharmacie de la maison, et jusque dans les poches du médecin : aspirine, anxiolytiques, morphine, ainsi qu’une ordonnance de paroxétine – un antidépresseur plus connu sous le nom de marque Deroxat. Mais ça ne prouve rien. Qu’un médecin ait des médicaments à portée de main, quoi de plus normal? Ont-ils un lien avec les crimes ? C’est la seule question qui vaille, et seule l’analyse toxicologique peut apporter sur ce point une preuve indiscutable.
Comme souvent en matière criminelle, les résultats se font attendre. Mais, lorsqu’ils arrivent, trois semaines plus tard, ils provoquent un double coup de théâtre. D’une part, parce qu’ils révèlent la présence insoupçonnée de la sertraline – un autre antidépresseur longtemps commercialisé sous le nom Zoloft, avant de devenir un générique. Le procureur précisera que “les doses absorbées étaient normales”. Il ajoutera : “On n’a pas trouvé trace d’un autre médicament dans le sang du médecin.” D’autre part, parce que ce même procureur orientera ses soupçons vers cette molécule, déclarant publiquement qu’“il peut y avoir un lien de causalité entre le médicament et l’acte”. C’est lui qui aurait pu déclencher un véritable ouragan dans le cerveau du jeune praticien jusqu’à le conduire à cette folie sanguinaire.
Des propos qui interpellent et suscitent le scepticisme. En effet, comment un médicament supposé soigner les gens pourrait-il pousser au crime? Question pertinente. Et d’abord, Emmanuel Bécaud était-il dépressif ? Pour certains spécialistes, “c’est une évidence car il avait beaucoup maigri”, note le docteur Alain Gérard, psychiatre. La maladie dépressive serait donc responsable de l’acte criminel.
Pourtant, cette hypothèse reste sujette à caution. Elle est intervenue a posteriori, comme pour fournir une explication rationnelle qui nous rassure. C’est souvent le cas dans ce genre d’affaires. La presse titre sur la “dépression” supposée de la personne et on tourne la page. Ce qui évite d’aller chercher plus loin. En réalité, l’entourage du médecin a davantage décrit le docteur Bécaud comme “surmené” et “surinvesti” dans son travail, plutôt qu’abattu. Depuis quelque temps, pour tenter de décompresser, il s’offrait même des plages de repos, fermant son cabinet le mercredi après-midi pour se consacrer à ses enfants et à son potager.
A vrai dire, il est plausible qu’Emmanuel Bécaud, se sentant en perte de vitesse, se soit prescrit un antidépresseur pour faire face, tenir le coup. Rien d’étonnant à cela. Des millions de Français avalent ces molécules pour les mêmes mauvaises raisons. Sans qu’un diagnostic fiable ait été posé. Selon les chiffres officiels, 50 % des prescriptions se font en effet hors indication, c’est-à-dire chez des gens non dépressifs, mais qui ressentent le besoin d’un coup de pouce. Les médecins ne sont pas épargnés, eux qui à longueur de journée voient défiler toute la misère du monde dans leur cabinet.
Pourquoi, comme le commun des mortels, n’éprouveraient-ils pas le besoin de se shooter pour tenir bon ? Selon une enquête, un grand nombre d’entre eux ont pris l’habitude de se soigner eux-mêmes, sans consulter un confrère pour établir un diagnostic. Plus de 80 % se prescrivent leur propre traitement psychotrope.
Outre la dépression, une autre thèse a été avancée pour expliquer le massacre de Pouzauges : celle du suicide altruiste. Un expert le définit comme “l’obligation imposée à quelqu’un de tuer ses proches pour les préserver d’un malheur et, ensuite, de se supprimer. La personne, dans sa pathologie, pense que la vie est trop difficile pour elle et sa famille. Et donc, elle préfère mettre fin à leur vie afin d’abréger leurs souffrances”. Chaque être humain a sa part d’ombre. On ne peut donc pas totalement exclure cette hypothèse. Pour autant, elle n’explique pas le déchaînement de violence du médecin envers des êtres qu’il chérissait tant. En revanche, cette folie destructrice apparaît comme la signature des médicaments psychotropes dans de nombreuses affaires d’homicides ou de suicides répertoriées par certains pays – Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, pays nordiques… –, alors qu’en France, pourtant championne du monde de la consommation par habitant, c’est l’omerta. Or, on va le voir, l’hypothèse du procureur – un lien entre l’antidépresseur et la folie criminelle du docteur Bécaud – n’a rien de farfelu. Bien au contraire !
On s’en doute, Xavier Pavageau ne lance pas une telle accusation au hasard, ni sans avoir mené son enquête sur la sertraline. Qu’a-t-il découvert? D’abord, que ce médicament appartient à une illustre famille d’antidépresseurs, apparue au début des années 1990 et dont le célèbre Prozac fut le chef de file. Ce qui signifie que la sertraline, le Prozac et les autres membres de cette famille – Deroxat, Seropram, Seroplex, pour les plus connus – possèdent des propriétés pharmacologiques communes. Sans entrer pour l’instant dans les détails, retenons qu’ils agissent de manière similaire sur le cerveau en augmentant le taux de sérotonine, un messager chimique – neurotransmetteur en langage médical – qui intervient dans les échanges entre les neurones. Propriétés qui sont à la base même de leur succès phénoménal dans le monde occidental. Les fabricants se partagent aujourd’hui un marché mondial estimé à près de 20 milliards de dollars annuel. Pour donner un ordre de comparaison, ce gâteau atteignait à peine le milliard de dollars à la fin des années 1980.
(…)
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