Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice : « Je veux du concret et du visible »
Publié le 27/12/2020 à 07h30
Eric Dupond-Moretti prévoit de doubler le nombre de délégués du procureur. « Cela n’a aucun sens de prononcer une sanction six mois plus tard ». (Photo AFP) © CHARLES PLATIAU
Estimez-vous que la petite délinquance a été l’oubliée de la justice ces dernières années ?
Nous sommes partis du même constat avec le Premier ministre : la justice de proximité doit répondre au sentiment d’insécurité des Français et au sentiment d’impunité chez les auteurs. Par le passé, pour des raisons budgétaires, la lutte contre la grande délinquance qui est aussi la plus dangereuse a été priorisée. Mais les Français sont confrontés dans leur quotidien à la petite délinquance, qui leur pourrit la vie.
Nous avons répertorié 350 infractions de ce type dont je veux que la justice s’occupe à nouveau, et très vite. Cette politique de justice de proximité peut se résumer ainsi : « Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies, tu rembourses ». Et pour la première fois depuis très longtemps, on ne déshabille pas Paul pour habiller Jacques en s’intéressant à la petite délinquance au détriment de la grande. On a mis 200 millions d’euros sur la table pour cette politique de justice de proximité.
Qui doit permettre de réduire les délais ?
C’est tout l’objectif. Aujourd’hui, Le taux de réponse pénale n’est pas mauvais, mais le temps qu’il faut pour répondre est trop long. Or pour les délits, la sanction n’a une vertu pédagogique que si elle est très proche des faits reprochés.
Le nombre de délégués du procureur va être doublé et passera de 1.000 à 2.000 afin de prononcer des sanctions rapides sous forme d’alternatives aux poursuites. Cela peut être du travail non rémunéré, des interdictions de paraître pour éloigner un jeune d’une bande ou d’un quartier, bientôt nous permettrons la confiscation de biens comme les scooters ou encore l’indemnisation à une association
Les juges de proximité avaient disparu en 2017. Etait-ce une erreur ?
Nous ne cherchons pas à recréer une juridiction. La justice de proximité c’est une justice rendue en proximité dans le temps et géographiquement. Nous avons actuellement 1.748 points relais d’accès au droit, 147 maisons de justice, 32 antennes de justice. Tout cela sera regroupé sous la bannière des points justice”. Près de 2.000 seront répartis sur l’ensemble du territoire au plus près des citoyens. Autant d’endroits où les délégués du procureur pourront rendre la justice. Je viens de signer un décret le leur permettant. Et puis lorsque les affaires seront renvoyées devant le tribunal, je souhaite que l’on puisse tenir des audiences foraines, c’est-à-dire hors les murs de la juridiction. En plus de tous les tribunaux judiciaires, nous avons 125 tribunaux dits de proximité répartis dans toute la France et je souhaite que nous puissions y juger des affaires de proximité. Et pour permettre les déplacements des acteurs de la justice, nous achetons 500 voitures électrique.
Vous avez annoncé plus de 900 embauches de juristes assistants et de renforts pour les greffes. Il vous a été reproché de recruter des contractuels et donc d’utiliser une « rustine » plus qu’une solution pérenne…
Ces près de 1.000 emplois permettent un doublement des jugements rendus. C’est du temps gagné pour les magistrats et c’est du temps que l’on fait gagner aux justiciables qui attendent leurs décisions.
« Hors magistrats, des juridictions en région vont bénéficier d’un renfort de personnel pouvant dépasser les 10 %. Parler de rustine pour ces personnes qui viennent apporter leur concours à la Justice est en réalité assez désobligeant. Je laisse ce mot à ceux qui veulent l’employer et je fais remarquer qu’une rustine permet de regonfler un pneu crevé et d’avancer. »
Le pneu est crevé aujourd’hui ?
Personne ne peut sérieusement dire qu’un budget en augmentation de 8 % ce n’est rien. C’est le plus beau budget depuis un quart de siècle. Il a permis l’embauche en 3 mois de 1.000 personnes et l’augmentation des vacations des magistrats honoraires, non personne ne peut dire que tout cela n’est rien !
Une enveloppe de 13 millions d’euros est justement fléchée pour payer les vacations des magistrats honoraires et temporaires. Mais ce dispositif ne pourra fonctionner durablement que si votre budget est reconduit à l’indentique dans les années à venir…
C’est bien mon ambition !
En avez-vous l’assurance ?
Mais les emplois sont déjà budgétisés pour 3 ans. On ne peut pas faire de la justice de proximité pour un an, ça n’aurait aucun sens. Cette nouvelle politique doit s’inscrire sur la durée.
« L’ambition est de réconcilier les Français et leur justice de façon visible. Je ne suis pas un théoricien, je ne veux pas d’une pensée évanescente, éthérée, inaccessible. Je veux du concret et du visible. »
Comment évaluerez-vous cette politique ?
Pour savoir si les millions d’euros que l’on met sur cette politique produisent des résultats, j’ai mis en place des indicateurs de suivi. Non seulement nous aurons à la chancellerie un retour trimestriel des procureurs sur la base de trois critères dont par exemple le nombre d’affaires jugées en proximité, mais nous allons aussi leur demander de communiquer localement sur leur travail. Nous avons des comptes à rendre aux justiciables et il me semble bien normal qu’ils sachent ce que la justice fait pour eux.
A deux ans de la présidentielle, cette réforme participe-t-elle d’un virage sécuritaire de l’exécutif ?
En quoi chercher à assurer la sécurité des Français ferait une politique sécuritaire ? Pourquoi toujours rechercher l’opposition ? Ça n’a aucun sens pour des jeunes délinquants de prononcer une sanction cinq ou six mois plus tard. Cela doit être immédiat. Ça n’assoit en rien une politique sécuritaire de faire ça. Au contraire. C’est du bon sens et ça aurait toujours dû être ainsi. N’importe quel père de famille le sait bien.
Propos recueillis par Stéphane Vergeade
A propos du drame de Saint-Just : « Nous ne pourrons jamais les oublier »
Interrogé sur le drame
survenu mercredi à Saint-Just (Puy-de-Dôme) avec trois gendarmes tués
par un forcené dans le cadre d’une intervention sur des violences
intrafamiliales, Eric Dupond-Moretti a « d’abord une pensée très
émue pour les familles et les proches. Ces trois gendarmes ont donné
leur vie en mission alors qu’ils protégeaient. C’est le don ultime qu’un
militaire peut faire à la Nation et pour cela, nous ne pourrons jamais
les oublier. Cela me touche d’autant plus que la lutte contre les
violences faites aux femmes est un fléau contre lequel je me suis engagé
dès mon arrivée à la Chancellerie. Nous avons mis à la disposition des
juridictions 1.000 bracelets anti-rapprochement pour éloigner les
conjoints violents. Il appartient désormais aux juges d’ordonner leur
pose. De même, plus de 1000 téléphones grave danger ont été distribués
afin de pouvoir alerter rapidement les forces de l’ordre. C’est un long
combat que nous livrons ».
Un conseiller d’Emmanuel Macron a déjeuné secrètement avec Marion Maréchal en octobre à Paris
Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire du chef de l’Etat, a invité la nièce de Marine Le Pen et figure de l’extrême droite identitaire dans un restaurant parisien.
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Le déjeuner a eu lieu le 14 octobre, à la brasserie Le Dôme, à Paris. Bruno Roger-Petit, l’un des plus anciens collaborateurs d’Emmanuel Macron à l’Elysée, et Marion Maréchal, ex-députée du Vaucluse, ont partagé un repas, dans le petit salon confidentiel de cette brasserie de Montparnasse où l’on peut entrer par l’arrière de l’établissement et s’attabler loin des regards indiscrets. C’est là d’ailleurs que François Mitterrand donnait rendez-vous à sa fille, Mazarine, dans les années 1980, après l’école, lorsque le grand public ignorait encore son existence.
Selon un habitué du restaurant, qui n’avait pas vu la petite-fille de Jean-Marie Le Pen entrer, le déjeuner s’est terminé à 14 heures. Le conseiller du président a payé l’addition, et ni le compte rendu des échanges ni la tenue de cette rencontre n’ont filtré hors de l’Elysée. Qu’attendait Bruno Roger-Petit de cette rencontre ? Echanger au sujet de Marine Le Pen ? Prendre le pouls des ambitions politiques de Marion Maréchal ? Passer en revue les candidatures à la « droite de la droite », dont Emmanuel Macron et ses stratèges espèrent qu’elles seront les plus nombreuses possible ? La jeune directrice de l’Issep, l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques qu’elle a fondé à Lyon, n’a elle-même pas bien compris pourquoi le conseiller voulait la rencontrer et ce qu’il lui voulait.
Marion Maréchal n’a aucun problème à confirmer le rendez-vous. « Bruno Roger-Petit est passé par un ami pour me proposer de me rencontrer. J’ai accepté : je ne refuse jamais de discuter par principe. Surtout que j’étais assez curieuse de connaître celui qui s’amusait à me traiter de nazie toutes les deux semaines quand j’étais députée. »
Joint par Le Monde dimanche après-midi, Bruno Roger-Petit n’a pas nié avoir rencontré Marion Maréchal. « A titre personnel », insiste-t-il. « Je voulais savoir ce qu’elle avait à dire et si elle était en résonance avec l’état de l’opinion – ce qui n’est pas le cas. J’ai dû constater que nous étions en désaccord. C’est un peu ce que Xavier Bertrand a fait quand il a rencontré Eric Zemmour », se défend le conseiller d’Emmanuel Macron en comparant ce déjeuner avec celui qu’a tenu récemment le président de la région Hauts-de-France avec le chroniqueur du Figaro.
« Trianguler »
Depuis l’été 2017, le conseiller Bruno Roger-Petit, « BRP » comme chacun l’appelle, n’est sorti dans la lumière qu’une fois, un matin de juillet 2018, lorsqu’il était porte-parole de l’Elysée et qu’il avait été chargé, tâche ingrate, de venir porter en direct la parole élyséenne sur l’affaire Benalla, du nom de cet ancien collaborateur de l’Elysée filmé en train de molester un jeune homme en marge d’une manifestation. Désormais « conseiller mémoire » auprès d’Emmanuel Macron, chargé notamment des commémorations historiques, Bruno Roger-Petit continue en réalité de distribuer des éléments de langage sur tous les sujets auprès des journalistes et, surtout, observe à la loupe les sujets qui émergent, yeux rivés sur les réseaux mais aussi matin et soir sur la chaîne d’information en continu CNews, tout en échangeant régulièrement des textos avec le président.
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