J’ai le souvenir très très désagréable d’entendre dans les années 1990 Elisabeth Guigou affirmer sur un plateau de télévision que le problème du harcèlement sexuel en entreprise avait été réglé par la première loi ayant condamné ce type de comportement, celle de 1992, comme si après sa promulgation, les harceleurs désormais prévenus que ce qu’ils faisaient était illégal s’étaient tous arrêtés net de s’adonner à leur péché mignon. A l’entendre, le harcèlement sexuel dans les entreprises n’existait plus, la loi avait bien résolu le problème en l’interdisant.
Ah… – je vous dis pas ma grimace face à l’écran… – et donc, toutes celles qui pouvaient encore s’en plaindre – dont moi, bien sûr – n’étaient que des menteuses ou des affabulatrices…
Vingt ans plus tard, tout reste à faire… à commencer par l’éducation des magistrats, comme en attestent les chiffres publiés ci-dessous.
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-traumatismes-lies-au-harcelement-sexuel-sont-aussi-forts-que-ceux-du-viol_1865139.html
« Les traumatismes liés au harcèlement sexuel sont aussi forts que ceux du viol »
Par Chloé Pilorget-Rezzouk, publié le 03/01/2017 à 10:55 , mis à jour à 15:54
Huit mois après l’affaire Baupin, France 5 traite ce mardi soir du harcèlement au travail avec la diffusion d’un documentaire, suivie d’un débat. Interview d’Olivier Pighetti, le réalisateur de Harcèlement sexuel, le fléau silencieux.
Peu à peu, les langues se délient pour faire éclater ce « fléau silencieux ». En mai dernier, l’affaire Denis Baupin a contribué à lever le voile autour du harcèlement sexuel, auquel une femme sur cinq a déjà été confrontée dans sa vie professionnelle, selon une enquête Ifop réalisée en 2014. Pour autant, encore seulement 5% des dossiers portés devant la justice aboutissent à une condamnation pénale.
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Ce mardi, France 5 consacre une soirée au sujet, avec la diffusion du documentaire Harcèlement sexuel, le fléau silencieux*. Un an et demi durant, le réalisateur Olivier Pighetti a suivi quatre femmes, Gwenaëlle, Laury, Cristina, et Catherine dans leur combat judiciaire pour faire reconnaître ces années de calvaire quotidien. Il répond aux questions de L’Express.
Pourquoi vous-êtes vous intéressé à ce sujet, encore tabou lorsque vous avez commencé à filmer?
Olivier Pighetti: J’ai énormément travaillé sur les problèmes de société, notamment sur les différentes formes du harcèlement. Le harcèlement moral m’a rapidement mené au harcèlement sexuel. Ce sont les mêmes processus qui se mettent en place.
On a très souvent affaire à des « pervers narcissiques » qui profitent d’une fragilité induite par le milieu de l’entreprise, où existe une dépendance financière et hiérarchique. Les motivations de l’agresseur ne sont pas sexuelles, elles vont bien au-delà du désir: il s’agit de rabaisser l’autre, de le maintenir à l’état d’objet, pour s’élever soi-même.
Le titre de votre documentaire le dit bien, le harcèlement sexuel est « un fléau silencieux ». Comment êtes vous parvenu à convaincre ces victimes de parler, qui plus est à visage découvert?
J’étais très attaché à ce point. Un long silence peut dire énormément, bien plus qu’une avalanche de mots. Or, si le visage est flouté, ce silence perd de sa force car on ne peut voir son expression. Ma difficulté était de réussir à convaincre ces femmes. Je leur ai demandé de me faire confiance. Et beaucoup m’ont rapporté des choses qu’elles n’avaient jamais dites à leur entourage.
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Bien qu’elles n’appartiennent à aucune association, leur démarche est très militante. Elles se disent: « Ce qu’il m’est arrivé est dégueulasse, je ne veux pas que d’autres le subissent ». Grâce à la force de ce qu’elles donnent, à la franchise de leur témoignage, ces femmes font un immense cadeau aux téléspectateurs. Un documentaire, ce sont les gens qui témoignent qui le font.
Vous dites que ces femmes « font » votre film. Que vous ont-elles appris?
J’ai été extrêmement surpris de voir que les traumatismes liés au harcèlement sexuel sont aussi forts que ceux que j’ai pu constater dans le cadre du viol, sur lequel j’ai également travaillé. Alors que les armes employées ne sont « que » des mots, la douleur intérieure est tout aussi puissante. De fait, ce sont des armes nucléaires: des répétitions de propos, d’actes, de gestes, de choses qui humilient et dégradent.
En tournant certaines scènes, j’ai saisi l’ampleur de ce que peut être un harcèlement quotidien, où on se lève chaque matin pour aller au travail en se disant: « Aujourd’hui encore, je suis avilie ». C’est un cancer à tel point que la personne se trouve incarcérée dans son propre corps.
D’autant que les victimes portent ce poids seules, dans la grande majorité des cas….
La vraie raison de ce silence, c’est la peur de l’incompréhension de l’autre. On craint de se voir répliquer: « Bah, il est un peu dragueur » ou « Il s’amuse un peu, t’as pas d’humour ». Alors, on garde ça pour soi. Souvent, il suffit de dire « Je vais le dénoncer » pour s’entendre dire: « Ecoute, t’es qu’une emmerdeuse » ou « C’est pas la peine d’en faire un drame ».
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Avec de telles réflexions, aucune victime ne parlera avant très longtemps. On enferme ces femmes dans le silence, parce qu’elles ne sont entendues ni à la maison ni au travail. Cet enfermement les rend d’autant plus victimes.
Un manque de compréhension qui n’épargne pas les femmes, parfois dures entre elles, ou même les institutions, auprès desquelles elles viennent chercher de l’aide ou porter plainte…
Oui, les femmes peuvent aussi participer, malgré elles, au sexisme ambiant et minimiser le harcèlement sexuel. Car elles se sont habituées à ces formes d’agressions extérieures pour pouvoir les assimiler. Lorsqu’elles sont allées porter plainte, Gwenaëlle, Laury, Cristina et Catherine ont toutes eu des questionnements de la part des policiers: « Comment étiez-vous habillée? » ; « Est-ce que vous n’aviez pas fait de remarques aguicheuses? » ; « Vous êtes sûre que vous ne faites pas cela pour vous faire remarquer ou parce qu’il vous a refusé une promotion? » Certes, les policiers font leur travail, mais elles se sont senties accusées alors qu’elles sont victimes.
Alors que 95% des dossiers de harcèlement sexuel sont classés sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée », il apparaît que, sans la réalisation de votre film, le procès de Gwenaëlle et Laury – victimes du même patron d’une PME d’Amiens – n’aurait pas eu lieu…
Ça, c’est certain. J’ai passé des coups de fil, envoyé des mails… C’est vraiment la présence de la caméra qui a joué. Il y avait pourtant dix autres témoignages de femmes, mais le dossier a failli être classé sans suite. Lorsque j’ai été informé qu’un procès aurait bien lieu, Gwenaëlle et Laury n’étaient même pas au courant. La justice est débordée, mais cela montre qu’il y a un vrai laisser-aller sur ce type d’affaires.
Qu’espérez-vous en réalisant ce documentaire?
Je pense qu’il y avait déjà une vaguelette lancée avec l’affaire DSK, en 2011, qui a augmenté plus récemment avec l’affaire Baupin. Il s’agit d’essayer de changer la mentalité des hommes. Ce film participe juste à faire grossir cette vaguelette sur le rivage d’un monde meilleur.
*Diffusion à 20h50 sur France 5, dans le cadre de l’émission Le Monde d’en face, présentée par Marina Carrère d’Encausse. Le documentaire sera suivi d’un débat en présence notamment de Marylin Baldeck de l’AVFT et Sandrine Rousseau, porte-parole des Verts, dont le témoignage est à l’origine de l’affaire Baupin.
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