La seconde, le 19 juin 2011, fut pacifique et semble avoir porté ses fruits.
Mais les représentants de la Chine en furent écartés.
L’on notera au passage que l’extrême-gauche s’est toujours mêlée de tous ces conflits.
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/06/20/01016-20100620ARTFIG00171-paris-la-communaute-chinoise-denonce-l-insecurite.php
Paris : la communauté chinoise dénonce l’insécurité
- Par lefigaro.fr
- Mis à jour le 20/06/2010 à 23:04
- Publié le 20/06/2010 à 23:03
Une manifestation organisée à l’appel d’associations franco-chinoises a rassemblé 8500 personnes dimanche dans le quartier de Belleville, où les agressions visant les Asiatiques semblent se multiplier.
C’est la plus grande manifestation de la communauté asiatique jamais organisée en France, selon ses organisateurs. Des milliers de personnes d’origine asiatique, chinoise notamment, ont défilé dimanche dans le quartier de Belleville à Paris, pour protester contre les violences dont ils se disent la cible.
Environ 8500 personnes, selon la police, ont pris part à cette marche organisée par un collectif d’associations franco-chinoises, entre la rue de Belleville et la place du Colonel-Fabien. «Belleville, quartier tranquille», ont scandé les manifestants, alternant slogans en français et en chinois et portant tee-shirts et autocollants siglés «Sécurité pour tous». La fille adoptive de Jacques et Bernadette Chirac, Anh Dao Traxel, d’origine vietnamienne, s’est jointe au cortège.
Depuis plusieurs mois, selon le collectif, les agressions et les vols violents visant les Asiatiques se multiplient dans l’est parisien. En particulier dans le quartier de Belleville, métamorphosé ces dix dernières années par un afflux d’immigrés asiatiques.
Échauffourées en marge de la manifestation
«Nous nous sommes décidés à descendre dans la rue après une agression lors d’un banquet de mariage à Belleville au début du mois», a dit Huong Tan, un porte-parole du collectif, inquiet que la situation ne dégénère «si les autorités ne réagissent pas». Car pour la première fois, explique-t-il, «quelqu’un de la communauté a répondu à la violence par la violence. Nous ne voulons pas que ça se reproduise». «Les agresseurs sont souvent des groupes de jeunes qui habitent ici», affirme-t-il.
Le maire du XXe arrondissement, Frédérique Calandra, a incité la communauté à mieux s’organiser: «Il faut que nous ayons des interlocuteurs». Le collectif , lui, réclame «des actions concertées et coordonnées» entre le préfet de police et les maires, dans ce quartier à cheval sur quatre arrondissements de la capitale, afin «de renforcer les dispositifs de sécurité et de prévention».
En marge de la manifestation, des échauffourées ont éclaté, donnant lieu à l’interpellation de trois personnes. Selon des témoignages recueillis sur place, les incidents auraient été provoqués par le vol du sac d’une manifestante. Intervenues une première fois, les forces de l’ordre ont essuyé des jets de projectiles, auxquels elles ont répondu par des gaz lacrymogènes. Après leur départ, des petits groupes de manifestants ont pris à partie des automobilistes et des cyclistes et ont déplacé des voitures garées afin de bloquer la circulation, ce qui a entraîné une nouvelle intervention des gendarmes mobiles. Peu après 22h00, le calme était revenu.
Avec AFP
http://www.marianne.net/Belleville-Chinois-contre-Africains_a194405.html
Belleville: «Chinois» contre «Africains»
Arnaud Boisteau et Bénédicte Charles – Marianne
Dimanche 20 juin, une manifestation « pour la sécurité » dans le quartier de Belleville rassemblait des milliers d’asiatiques. Ils protestaient contre les vols et agressions dont ils seraient continuellement victimes. Et montraient du doigt une autre communauté, celle des immigrés d’origine africaine… Reportage au coeur d’un conflit inter-ethnique en plein Paris.
Du jamais vu : dimanche dernier, des milliers de Chinois ont
manifesté à Paris. 8500 personnes selon la police, deux ou trois fois
plus selon les habitants de Belleville, où ils ont défilé avec un mot
d’ordre plus surprenant encore : « Sécurité pour tous ». Dans ce
quartier populaire à la croisée des XXe, XIXe, XIe et Xe arrondissements
parisiens, surnommé « le petit Chinatown » (le « grand » étant dans le
XIIIe), la population immigrée d’origine asiatique, essentiellement
chinoise, s’estime harcelée par des bandes de jeunes voyous du coin.
Vols à la tire et agressions diverses seraient devenus le quotidien des
Chinois de Belleville… qui accusent des jeunes souvent d’origine
africaine d’être responsables de la majeure partie des faits commis.
Bref, après avoir été le théâtre, en 2007, d’affrontements entre jeunes
juifs et jeunes d’origine maghrébine, le quartier connaîtrait-il un
nouveau conflit ethnique ?
« Vivre en France sans peur », « stop à la violence », « Belleville
quartier tranquille », proclamaient les banderoles. Comme pour justifier
ces revendications, des échauffourées ont éclaté en fin de journée,
entre des manifestants et un groupe d’une dizaine de jeunes. Pourquoi ?
Feng, 18 ans, a sa version. La jeune fille, qui révise son bac dans la
boutique de traiteur tenue par ses parents rue de Belleville, accepte de
nous la raconter, sous l’œil attentif de sa mère : « On manifestait
pacifiquement pour dire aux gens notre ras-le-bol par rapport à tous
ces actes d’incivilité dont nous sommes victimes, quand une bande de dix
jeunes est rentrée dans la manifestation. Ils ont commencé à taper sur
des gens. Ils ont aussi volé le sac d’une dame. Les Chinois ont récupéré
le voleur et l’ont confié à la police, qui l’a relâché immédiatement.
C’est pour ça que nous étions énervés car ça se passe toujours comme ça ».
Le pouvoir économique de la communauté chinoise de Belleville, qui,
en un peu plus de cinq ans, a profondément modifié le quartier où
fleurissent désormais les enseignes en mandarin, est important et attise
les convoitises. D’autant que les Chinois sont réputés préférer les
espèces à tout autre moyen de paiement. Ce qui fait d’eux des cibles
idéales pour tous les voleurs à la tire et autre braqueurs de caisses
enregistreuses à la petite semaine. « Il est pas rare de voir des gamins d’origine africaine voler le sac des femmes asiatiques qui tentent de les rattraper », raconte un commerçant du haut-Belleville. D’autres riverains affirment « voir souvent des ados africains rentrer dans les épiceries chinoises et jeter des pétards avant de partir en courant ».
La plupart du temps, les victimes ne déposent pas plainte. Soit parce
qu’elles ne parlent pas le français, soit parce qu’elles sont en
situation irrégulière.
Le pire — et le plus mal ressenti par la communauté chinoise — ce
sont les vols au cours des mariages. Chaque samedi et dimanche, les
Chinois organisent des mariages où les cousins de banlieue affluent au
volant de BMW ou de Mercedes, formant des convois tout sauf discrets.
Durant les banquets, la tradition veut que les invités remettent aux
jeunes mariés des enveloppes rouges (appelées hong bao) contenant de
l’argent liquide. Au total, cela peut représenter 7000 à 9000 euros. Ce
sont ces sommes que volent régulièrement des jeunes qui viennent rôder
autour des mariages. Le plus souvent avec violences. Et devinez qui sont
les jeunes accusés de piquer ainsi la dot des mariés chinois ? Les
jeunes d’origine africaine.
L’affaire est donc en train de virer sérieusement au conflit ethnique
même s’il faut bien rappeler que ce n’est pas la seule raison, la
précarité étant la raison première. Il suffit d’ailleurs de se promener
rue de Belleville pour sentir ce climat délétère, parfaitement palpable,
même en plein après-midi. Les passant marchent et se retournent très
régulièrement. Les échanges de regards sont éloquents : un homme
d’origine africaine passe devant un Chinois, le premier lui jette un
regard insistant et lui fait baisser les yeux. La scène se reproduit à
chaque coin de rue. Ambiance. « Je suis attristée de dire ça car je suis de gauche mais il s’agit évidemment d’un conflit inter-ethnique », conclut une riveraine.
Les Chinois ne sont cependant pas les seuls à mettre en cause, et de façon fort injuste, la population d’origine Africaine. Les autres habitants aussi n’hésitent pas à les charger. « Les Chinois sont des travailleurs, ils sont peut-être un peu trop entre eux mais ils ne dérangent personne. Ces jeunes, eux, ne font rien», explique ainsi doctement un kiosquier du quartier. Des considérations qui résument parfaitement l’état d’esprit de bien des riverains.
Les Chinois ne sont cependant pas les seuls à mettre en cause, et de façon fort injuste, la population d’origine Africaine. Les autres habitants aussi n’hésitent pas à les charger. « Les Chinois sont des travailleurs, ils sont peut-être un peu trop entre eux mais ils ne dérangent personne. Ces jeunes, eux, ne font rien», explique ainsi doctement un kiosquier du quartier. Des considérations qui résument parfaitement l’état d’esprit de bien des riverains.
« Travailleur », c’est sans doute le mot qui revient le plus
souvent dans la bouche des riverains lorsqu’il s’agit des Chinois. Un
mot qui, cependant, masque mal le malaise : les Chinois ne sont, au
fond, guère plus appréciés que les Africains.
« Ils sont mal polis, ne vous disent jamais bonjour même quand vous entrez dans leurs boutiques, ils crachent sans cesse par terre et ils font des trucs bizarres derrière les immeubles », affirme une habitante..
Pourtant, le quartier a déjà été confronté à maintes vagues d’immigration. Ancien faubourg de la ville de Paris, longtemps resté le poumon ouvrier de la capitale, il a accueilli depuis le début du 20ème, dans le désordre, les juifs tunisiens, les Portugais, les Maghrébins, les Africains… Et dès les années 1980, les Asiatiques. Ces mêmes Asiatiques ont peu à peu racheté les commerces du bas Belleville. D’où de nouvelles vagues d’immigration asiatique. La dernière aurait été celle de trop pour les habitants non sinophiles. Elle daterait de 5-6 ans tout au plus. Que ce soit les passants ou les commerçants, tout le monde dans le quartier s’accorde sur un point: « C’était mieux avant ».
« Ils sont mal polis, ne vous disent jamais bonjour même quand vous entrez dans leurs boutiques, ils crachent sans cesse par terre et ils font des trucs bizarres derrière les immeubles », affirme une habitante..
Pourtant, le quartier a déjà été confronté à maintes vagues d’immigration. Ancien faubourg de la ville de Paris, longtemps resté le poumon ouvrier de la capitale, il a accueilli depuis le début du 20ème, dans le désordre, les juifs tunisiens, les Portugais, les Maghrébins, les Africains… Et dès les années 1980, les Asiatiques. Ces mêmes Asiatiques ont peu à peu racheté les commerces du bas Belleville. D’où de nouvelles vagues d’immigration asiatique. La dernière aurait été celle de trop pour les habitants non sinophiles. Elle daterait de 5-6 ans tout au plus. Que ce soit les passants ou les commerçants, tout le monde dans le quartier s’accorde sur un point: « C’était mieux avant ».
Certes, il y avait déjà les petites bandes des rues adjacentes à la
rue de Belleville, à commencer par la rue Piat, qui mène directement au
Parc de Belleville, avec un panorama incroyable. Là, se massent des
groupes de jeunes. C’est leur QG, et le point de départ des expéditions
de vols à la tire dans les rues qui longent le parc de Belleville à
l’Ouest. Certes, il y avait déjà du deal, et même beaucoup. Mais
l’ambiance n’était pas plombée à ce point.
« Les Chinois cherchent les problèmes, c’est eux qui foutent la merde , ils ne se mélangent pas aux autres habitants. Même quand la police vient ils préfèrent régler leurs comptent entre eux», s’énerve une commerçante. Une rancœur qui s’explique : elle est franco-tunisienne, vit en France depuis 1969… et n’a obtenu ses papiers que l’an dernier. C’est à dire en même temps que son employée chinoise, qui, elle était arrivée seulement quelques mois auparavant. Une histoire bien personnelle mais symptomatique du malaise ressenti par certains riverains, qui parlent de « population avantagée ». C’est précisément ce que ressentent les bellevillois d’origine africaine, qui reprochent, en sus, aux Chinois de ne faire aucun effort pour s’intégrer… Mais derrière tous ces reproches en pointe un autre, plus difficile à formuler sans doute : pour les autres communautés du quartier, les Chinois ont surtout commis l’erreur d’avoir négligé la règle d’or de l’immigration en France, que résumait ainsi Malek Boutih lorsqu’il était encore président de SOS Racisme : «Le dernier arrivé ferme la porte».
« Les Chinois cherchent les problèmes, c’est eux qui foutent la merde , ils ne se mélangent pas aux autres habitants. Même quand la police vient ils préfèrent régler leurs comptent entre eux», s’énerve une commerçante. Une rancœur qui s’explique : elle est franco-tunisienne, vit en France depuis 1969… et n’a obtenu ses papiers que l’an dernier. C’est à dire en même temps que son employée chinoise, qui, elle était arrivée seulement quelques mois auparavant. Une histoire bien personnelle mais symptomatique du malaise ressenti par certains riverains, qui parlent de « population avantagée ». C’est précisément ce que ressentent les bellevillois d’origine africaine, qui reprochent, en sus, aux Chinois de ne faire aucun effort pour s’intégrer… Mais derrière tous ces reproches en pointe un autre, plus difficile à formuler sans doute : pour les autres communautés du quartier, les Chinois ont surtout commis l’erreur d’avoir négligé la règle d’or de l’immigration en France, que résumait ainsi Malek Boutih lorsqu’il était encore président de SOS Racisme : «Le dernier arrivé ferme la porte».
http://www.slate.fr/story/23897/belleville-pas-si-explosif
Belleville: un mélange pas si explosif
Des milliers de Chinois ont défilé dimanche 20 juin dans le quartier parisien de Belleville. Une première pour cette «communauté» – ou plutôt «ces communautés»,
habituellement très discrète(s). A l’appel d’associations
franco-chinoises, ils ont manifesté au cri de «Sécurité pour tous» et
«Belleville, quartier tranquille». Ils se disent victimes d’agressions
récurrentes et de vols à l’arrachée de la part de bandes de jeunes. La
manifestation s’est terminée par des échauffourées impliquant une
cinquantaine de jeunes manifestants asiatiques et une dizaine de jeunes
d’origine maghrébine et africaine. Déjà des voix s’élèvent: Belleville
la métissée serait touchée par des tensions communautaires. Est-ce la
fin d’un modèle de coexistence pacifique?
Ces événements contredisent l’image d’une cohabitation harmonieuse et réussie dans le quartier de Belleville. Mais cette image, qui repose en partie sur l’histoire du quartier, tient plus du fantasme que de la réalité. Il était une fois… dans le passé, Belleville accueillait des grandes fêtes viticoles. Les bourgeois parisiens venaient alors s’encanailler dans ce quartier ouvrier, rattaché à Paris en 1860. Bastion de la Commune de Paris, il véhicule toujours des valeurs de communion et de partage.
On n’est pas de ce pays-là
On vient d’ailleurs, de tout là-bas
D’Afrique, Asie, Portugal
Des Antilles ou de l’Espagne.
On n’a pas les mêmes histoires
Nos langues n’ont rien à voir
Pourtant nous sommes voisins
Même si nos pays, c’est loin.
{refrain :}
Viens voir Belleville, et tu comprendras
Viens voir Belleville, qu’en changeant de maison
Viens voir Belleville, tu changes de pays
Allez viens, tu vois c’est chouette
Une joyeuse mixité? Patrick Simon, un sociologue de l’Ined qui a longtemps travaillé sur le quartier, parle lui d’une «fragile mosaïque», culturelle et sociale, qui s’est construite au rythme des différentes vagues d’immigration. D’abord polonaise, arménienne, turque, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, puis kabyle d’Algérie et séfarade dans les années 1950 et 1960. Les décennies suivantes verront l’installation de la population asiatique.
C’est cette vague d’immigration qui va modifier visiblement la physionomie du quartier. Selon Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Hommes & Migrations, leur capacité financière étant importante, ils achètent beaucoup de commerces. Les années 1980 voient également un nombre important d’immigrants d’Afrique noire s’installer à Belleville. Derniers arrivants en date, la catégorie un peu floue des «bobos», d’abord des classes moyennes (intermittents du spectacle, travailleurs sociaux), ensuite, depuis dix ans, des catégories supérieures séduites par ce que Patrick Simon dénomme un «effet de décor». Un concept qui renvoie au cosmopolitisme de Belleville, apprécié comme cadre de vie.
Toutes ces communautés cohabitent relativement pacifiquement. Ce qui n’exclut pas, bien sûr, des tensions ponctuelles.
retrouver ce média sur www.ina.fr
Au-delà des tensions ponctuelles, un événement a cristallisé la peur des Bellevillois. En 1968, alors que les grèves prennent fin, raconte Patrick Simon, «un affrontement entre juifs et arabes marque profondément les esprits». C’est une banale partie de dés entre un juif tunisien et un Algérien qui aurait dégénéré. S’en suit une bataille générale, des boutiques brûlées, l’intervention des CRS pendant 10 jours et une grande émotion. D’après Patrick Simon, cette impression que le quartier était sur le fil a servi durablement d’exemple.
Quarante ans plus tard, comme en 1968, le contexte social est tendu. L’activité économique sur place tend à se réduire. Traditionnellement lieu de résidence et lieu d’activité, Belleville perd progressivement de son dynamisme. Et pourtant, ceux qui connaissent le quartier sont persuadés que, malgré les tensions et les crispations, le modèle de coexistence pacifique va perdurer.
A chacun a son espace
En fait, comme il n’y a pas une communauté chinoise, il n’y a pas un Belleville. Si on s’éloigne de la rue de Belleville, en direction de Ménilmontant, peu de chances de croiser un membre de la communauté asiatique. Globalement, dans le bas Belleville, se situe la population noire africaine. Autour de la station de métro Couronnes, on trouve des bars et des cafés tunisiens, marocains.
Les choses dégénèrent dès lors que l’on empiète sur le territoire de l’autre. Bien sûr, cela n’exclut pas qu’individuellement les membres des différentes communautés entretiennent des relations.
Les associations
La régulation des tensions s’opère grâce au tissu associatif. Le quartier de Belleville est très actif de ce point de vue. L’action sociale, culturelle, sportive est l’une des plus denses de Paris. Selon Mohamed Ouadanne, responsable de coordination de l’association Trajectoires, ce dynamisme correspond à une demande effective de la population. Les initiatives ont tendance à s’amplifier pour générer des débats, des rencontres. Aux sceptiques, Mohamed Ouadanne répond que plus il y a d’initiatives, plus il y a de chances qu’il y ait des résultats. Les conseils de quartier, sans exagérer leur importance, concourent aussi à ce maillage étroit du quartier.
Enfin, créé en 2002 à l’initiative de Danielle Simonnet, adjointe au maire du 20e arrondissement, le Conseil de la citoyenneté des habitant-e-s non communautaires du 20e arrondissement (CCHNC) est un organe qui vise à favoriser la participation des résidents étrangers à la vie municipale.
L’école joue également un rôle de régulateur social. C’est un des lieux de socialisation où les différentes communautés se côtoient. A Belleville, l’histoire du quartier est ancrée dans la mémoire collective. Parmi les manifestants, dimanche 20 juin, certains arboraient un T-shirt «J’aime Belleville», symbole de leur attachement au quartier. Sans doute parce qu’il y a une volonté d’évoluer sans faire table rase du passé. «Contrairement à certaines communes dans lesquelles on rase et démolit des barres d’immeubles, Belleville est un quartier où l’on essaie de conserver l’habitat social», précise Mohamed Ouadanne.
Un problème de sécurité plus que de communauté?
Interpréter les événements de dimanche 20 juin comme la manifestation de tensions communautaires n’est pas faux, mais c’est une explication partielle. Patrick Simon avait déjà réalisé des entretiens avec des habitants de Belleville dans les années 1980 au sujet de la présence chinoise. A ce moment-là, une partie de la population maghrébine portait déjà un regard critique sur la population asiatique, une «communauté secrète qui ne se mélange pas». Arrivés en même temps que les Chinois, les Africains sont cependant moins visibles. Pas d’implantation commerciale, donc leur présence est moins évidente pour qui observe la vie du quartier.
D’autres facteurs entrent en compte. Les Chinois sont une cible privilégiée car ils ont la réputation de transporter beaucoup d’argent liquide sur eux. Mais la communauté asiatique elle-même est divisée sur les explications. Ils partagent un constat: les agressions se multiplient. Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Homme et Migration, rappelle qu’une partie de la communauté chinoise est impliquée dans le trafic de drogue et la prostitution. A ce titre, il peut s’agir de représailles qui rejaillissent sur toute la communauté. Mais reste à savoir s’il s’agit de racisme ou d’une insécurité croissante.
Noémie Mayaudon
L’explication remercie Patrick Simon, sociologue à l’Ined, Marie Poinsot rédactrice en chef de la revue Hommes & Migrations et Mohamed Ouadanne, socioanthropologue et responsable projets et coordination de l’association Trajectoires.
À LIRE ÉGALEMENT SUR SLATE: «Chinois de France» ne veut rien dire
Photo: Paris, Belleville / jane vc. via Flickr License CC by
Noémie Mayaudon
http://www.chine-informations.com/guide/quartier-chinois-de-paris-belleville_207.html
Quartier chinois de Paris Belleville
© Chine Informations – La Rédaction
Belleville est un vieux quartier populaire d’immigration. Il s’apparentait au quartier de « La Goulette » de Tunis. Le boulevard de Belleville a parfois, les soirs d’été, avec ses terrasses de restaurants orientaux, des faux airs de cette banlieue chic de Tunis. Le carrefour de Belleville est formé par quatre quartiers administratifs de quatre arrondissements différents dans lesquels la proportion d’étrangers de toutes origines est plus forte que la moyenne parisienne.
L’implantation des commerce asiatiques est la plus récente. Elle se concentre principalement dans la partie neuve reconstruite vers le milieu des années 70, délimitée par les rue de Belleville, Rampal, Rebeval et Jules-Romains et depuis peu dans les immeubles de haut standing ouverts à l’habitation depuis 1983 et circonscrits par les rues de Belleville, Jules-Romains, Rebeval et le boulevard de la Villette. C’est dans cet îlot que se sont installés depuis 1985 des Asiatiques exerçant des professions libérales.
Plus près du centre de Paris, dans un quartier de forte tradition commerciale, Belleville est un espace convoité par plusieurs grands groupes d’entrepreneurs Chinois, parmi lesquels le groupe Paris-Store qui est l’un des plus grands restaurants chinois de Paris.
L’évolution du commerce dans le quartier
L’installation de commerces asiatiques est liée à l’arrivée des réfugiés de l’ancienne Indochine. Presque tous les commerçants appartiennent aux minorités d’origine chinoise. Cette implantation a commencé en 1978 avec la création d’un restaurant rue de Belleville dans un îlot reconstruit.
En 1979, un commerce d’alimentation asiatique s’est installé rue Jules-Romains ( transformé depuis en commerce de produits non alimentaires), très vite suivi dans la même année et l’année suivante par quatre autres commerces du même type rue de Belleville.
Le processus d’implantation était entamé. Ce qui est remarquable concerne les premiers établissements qui se sont installés dans des espaces commerciaux neufs et inoccupés depuis une, deux, ou trois années. Ici, comme dans le 13eme, les asiatiques ont bénéficié du semi-échec d’un nouvel urbanisme commercial ; le retard de l’utilisation de ces nouveaux espaces est d’autant plus incroyable qu’à Belleville l’activité commerçante est fébrile.
Au début des année 80, l’implantation se poursuit et s’étand vers des secteurs de bâtis très différents. Puis la barrière des boulevards de la Villete et de Belleville est franchie : des restaurants ouvrent rue Civiale, rue Louis Bonnet, rue de la Présentation, dans un secteur fortement dégradé.
La multiplicité des ancrages
Historiquement marqué par une forte concentration d’immigrés de plusieurs nationalités, Belleville connait depuis les dix dernières années de profonds changements. De vastes programmes immobiliers ont eu pour conséquence directe la hausse du prix des logements et la disparition de certains commerces ethniques en crise. La population du quartier s’est renouvelée avec notamment l’arrivée des Chinois et d’autres asiatiques. La présence pourtant forte des commerçants Chinois du Cambodge n’empêche pas l’implantation d’autres groupes venant de Chine continentale, de Hong Kong et de Thailande.
La cohabitation entre les Asiatiques de différentes ethnies et les habitants immigrés du quartier, dont un grand nombre sont Maghrébins, Africains, Turcs, est une des caractéristiques de Belleville. D’abord les plus grandes surfaces commerciales de Belleville sont progressivement achetées par des Chinois ( le cas du surpermarché Barbès en est un exemple).
Ensuite, l’implantation des familles arrivées récemment de Chine continentale favorise le développement des ateliers de confection. La présence de ces nouveaux arrivants qui représentent un bassin de main d’oeuvre bon marché a des conséquences économiques importantes dans ce quartier où les prix des produits sont particulièrement bas.
http://cdlm.revues.org/135
Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit
Daniel Gordon
p. 287-298
Résumés
Belleville, quartier de l’Est parisien, est
une implantation dans le Nord de l’ancien cosmopolitisme méditerranéen,
avec une forte présence de maghrébins juifs et musulmans. Mais la
coexistence n’a pas été toujours été facile, notamment lors des émeutes
de juin 1968 qui ont opposé les deux communautés. Cet article interroge
cet événement comme révélateur du modèle de cosmopolitisme local. Dans
le contexte agité des événements de mai 1968 et du premier anniversaire
de la Guerre des Six Jours, les divers observateurs ont attribué
l’émeute de Belleville à des tensions entre éternels ennemis, à un
complot sioniste, à un complot arabe, ou à un complot capitaliste selon
leur goût.
Entrées d’index
Mots-clés :
Juifs, Belleville, Paris, communautarisme, musulmans, Tunisiens, algériens, Proche-Orient, Mai 68Texte intégral
Introduction
1Le cosmopolitisme, idéal universel, s’inscrit
néanmoins dans un cadre local, au sein de quartiers urbains précis.
Belleville, quartier très symbolique de l’Est parisien, est un exemple
particulièrement fort de ce phénomène, Pour l’essentiel, l’identité
bellevilloise repose sur deux bases. Tout d’abord, comme fief ouvrier,
ancré à gauche depuis la Commune de Paris et au-delà1, et ensuite comme lieu cosmopolite, terre d’accueil des immigrés, pendant tout le XXe siècle.
2Durant les années 1960, deux migrations
trans-méditerranéennes ont peuplé Belleville : les travailleurs immigrés
maghrébins, algériens pour la plupart, et les juifs tunisiens arrivés
après l’indépendance tunisienne. C’est un exemple relativement rare
donc, de coexistence judéo-arabe dans un même quartier pendant la
période post-coloniale. Le sociologue Patrick Simon parle même d’un « mythe de Belleville »2,
car les habitants perçoivent leur quartier comme exceptionnellement
tolérant et cosmopolite. On pourrait qualifier Belleville d’implantation
dans le Nord du cosmopolitisme perdu de la Méditerranée d’hier.
3Mais s’agit-il d’un cosmopolitisme « vrai »
où la mixité et le métissage deviennent la règle, ou plutôt d’un
cosmopolitisme de façade, où les communautés distinctes se côtoient et
en général se tolèrent, mais ne se mélangent pas ?
4Nous posons donc la question du
communautarisme parce que, lorsque nous nous sommes rendus à Belleville
pour la première fois en 1998, ce qui nous a frappé, c’est l’existence
d’une très forte ségrégation. Il est souvent dit en France, que le
communautarisme est un phénomène anglo-saxon, mais il existait là, sous
nos yeux, à Paris. Sur le boulevard de Belleville, il y avait les
commerces arabes d’un côté, les commerces juifs sépharades de l’autre,
et plus haut, les commerces chinois, comme s’il existait des lignes de
démarcation très strictes entre eux. Il n’y avait personne d’apparence
européenne. C’est un point de vue superficiel sans doute,3 mais impressionnant tout de même.
L’émeute de Juin 1968
5Le modèle bellevillois de cosmopolitisme
repose-t-il sur des fondations fragiles ? Parfois en France on utilise
le nom même de Belleville comme synonyme de communautarisme4.
Il s’y est produit pendant les événements de mai-juin 1968, une émeute
assez grave entre juifs et arabes. Evénement atypique sans doute, mais
peut-être révélateur non seulement de la question de l’immigration et de
l’engagement politique5
mais aussi de la question du cosmopolitisme. Ce qui caractérise une
émeute, ce n’est pas seulement la violence physique en tant que telle,
mais également les divergences d’interprétation entre les différents
observateurs. Quand la violence commence, des « spécialistes », selon l’historien Paul Brass, la politisent à leurs propres fins, et font d’une simple bagarre une émeute politique6. Nous analyserons ici l’émeute de 1968 comme révélateur du rôle de ces « spécialistes », et les différents points de vue souvent contradictoires sur le cosmopolitisme bellevillois.
6Que s’est-il donc passé ? Le dimanche 2 juin
1968, une discussion autour d’une partie de cartes dans un café oppose
deux tunisiens, un juif et un musulman. Le perdant a, semble-t-il,
refusé de payer son dû au gagnant l’accusant d’avoir triché. Les autres
personnes présentes dans le café se sont jointes à la bagarre qui
rapidement a tourné à l’émeute. Les fenêtres des commerces des
différentes communautés sont brisées, la police arrive et procède à des
arrestations. Les 3 et 4 juin, l’émeute continue : une cinquantaine de
commerces sont brûlés ou saccagés, on tente d’incendier la synagogue
Julien Lacroix et, selon certains, on déplorerait même un mort.
7Les émeutiers sont des hommes jeunes, juifs
tunisiens contre musulmans algériens, marocains et tunisiens. On utilise
pour se battre des bouteilles, des pierres, des barres de fer, des
couvercles de poubelles; certains parlent aussi de cocktails Molotov,
voire de mitraillettes, ce que d’autres démentent7.
8Des appels au calme de divers acteurs
extérieurs sont lancés par les députés communistes locaux, les
organisations des droits de l’homme, mais plus important, semble-t-il,
par ceux qui se considèrent comme « chefs de communautés ».
Côté juif, ce sont les autorités religieuses de la synagogue, côté
arabe, les représentants des gouvernements maghrébins. Le rabbin de la
synagogue visite le quartier aux côtés de l’ambassadeur tunisien8.
Les autorités algériennes interviennent via leur l’ambassadeur et via
l’Amicale des Algériens en Europe. Cette émeute était considérée comme
suffisamment grave pour que Abdelaziz Bouteflika, alors ministre
algérien des Affaires Etrangères convoque l’ambassadeur français à Alger
pour des entretiens, et pour que le Président Boumedienne lui-même en
discute avec le chef de l’AAE9. Un autre groupe de « spécialistes »
est intervenu, ce sont les étudiants français d’extrême- gauche, dont
une centaine se sont dirigés sur Belleville depuis le Quartier Latin10. Et bien sûr la presse française s’est emparée de cette affaire.
9Chacun de ces acteurs a eu sa propre théorie
pour expliquer l’émeute. Il y a eu quatre explications différentes, et
toutes seront révélatrices.
I – D’éternels ennemis ?
10La première explication, était exposée dans le journal Le Figaro : les arabes et les juifs sont des éternels ennemis, à Belleville comme ailleurs11.
Laissons de côté la question controversée des relations judéo-arabes
dans les pays d’origine, et regardons la situation locale, une situation
qui, nous semble-t-il, ne permet pas de soutenir la théorie de la
rivalité permanente.
11Tout d’abord si les relations sont si
détestables que cela, pourquoi choisit-on d’habiter le même quartier? De
plus les deux protagonistes dans le café ne faisaient-ils pas preuve
d’originalité parmi les tunisiens juifs et musulmans en acceptant de se
fréquenter ? (ce n’était pas le cas pour les algériens et les
marocains). En effet, d’autres juifs ont même critiqué les juifs
tunisiens d’être trop arabophiles, parce que le 2 juin, fête juive, ils
ont joué aux cartes avec les arabes plutôt que de se rendre à la
synagogue.
12Les deux communautés avaient en commun une
langue, l’arabe, et un mode de vie « à l’orientale ». Un mode de vie
stigmatisé par les Français, y compris les juifs non bellevillois, mais
pas si éloigné de celui de l’autre communauté, avec laquelle on
partageait les repas lors des fêtes religieuses.
13A Belleville, beaucoup d’arabes faisaient
leurs courses dans les magasins juifs et mangeaient dans les restaurants
juifs. Un boucher cacher déclarait que sa clientèle était
quasi-entièrement musulmane. Environ 80 musulmans étaient employés dans
les entreprises juives, permettant aux restaurants, par exemple,
d’ouvrir le samedi12.
Néanmoins, beaucoup de travailleurs immigrés habitant Belleville
travaillaient plutôt en usine que dans des commerces locaux. Il y avait
donc relativement peu de concurrence ou de conflits économiques directs
entre les deux groupes.
14Il ne faut pas exagérer non plus l’inégalité
entre les deux groupes. Selon Claude Tapia, auteur de nombreux travaux
sur Belleville, 66% des juifs tunisiens bellevillois pouvaient être
classés comme prolétaires, ayant souffert d’un déclassement par rapport
au statut qui était le leur en Tunisie.13 L’hebdomadaire Afrique-Action a publié une photo de deux garçons bellevillois, accompagnée de la légende. « Lequel est juif, lequel est musulman ? La misère est le même. »14
15Ce sont les observateurs extérieurs qui ont attribué à l’émeute des origines conflictuelles lointaines. Pour Le Figaro,
l’Etat français était un arbitre neutre entre deux groupes qui se
détestaient depuis toujours. C’est un point de vue républicain
peut-être, mais aux accents colonialistes : on justifie la présence
coloniale par l’incapacité des différents groupes d’indigènes à régler
leurs conflits entre eux. Il faut noter les racines coloniales du modèle
d’encadrement des immigrés : le 3 juin, Maurice Grimaud s’est rendu à
Belleville en compagnie du commandant Brasseur du Service d’assistance
technique (SAT). Le SAT avait été l’outil favori de Maurice Papon
pendant la guerre d’Algérie pour lutter contre la Fédération de France
du FLN,15 et le voilà en opération avec son successeur Grimaud, réputé plus libéral.
16Par contre, les immigrés bellevillois ont minimisé ces tensions et comme l’a déclaré un cafetier juif :
« Nous sommes tous frères. Nous nous connaissions à Tunis et nous vivons ensemble »16.
17On trouvera des échos de ces sentiments dans des récits d’histoire locale, comme par exemple, « Belleville mon village »
de Clément Lepidis. Pour Lepidis, Belleville est avant tout cosmopolite
et tolérant, et ce sont les autorités extérieures qui sont
intolérantes. Les souffrances des juifs de Belleville pendant le
gouvernement de Vichy et des arabes pendant la guerre d’Algérie
s’inscrivent pour lui dans un héritage commun17.
Sans doute y a-t-il ici beaucoup de romantisme, du mythe de Belleville,
car Lépidis écrivait pour défendre Belleville contre les promoteurs
immobliers qui menaçaient ce quartier populaire pendant les années 198018. On ne souffle d’ailleurs pas mot de l’émeute de juin 1968 dans le livre de Lepidis.
18La réalité bellevilloise se trouvait sûrement entre le « conflit permanent » du Figaro et le « lieu cosmopolite » du mythe local.
II – Un complot sioniste ?
19La deuxième explication est donnée par les
autorités algériennes. L’émeute serait une provocation des sionistes
pour fêter le premier anniversaire de la fin de la Guerre des Six Jours
et de la victoire israélienne. El Moudjahid, journal du FLN, évoquait des « sionistes armés ».
Si l’Amicale des Algériens en Europe était d’accord, elle refusait de
faire l’amalgame entre les juifs de Belleville et les groupes sionistes.19
20Pourquoi a-t-on parlé de conspiration
sioniste ? Après 1967, les idées sionistes trouvent un écho parmi les
juifs maghrébins de France, qui, jusque là, n’étaient pas vraiment des
sionistes enthousiastes. A l’époque de l’indépendance algérienne, la
presse israélienne avait reproché aux juifs maghrébins d’émigrer en
France plutôt qu’en Israël. Mais dans les années 1967, le sionisme se
développe : les associations juives d’assistance sociale se transforment
de plus en plus en organisations politiques.20
A Belleville, on ne relève que 61 émigrants en Israël en 1967, mais 220
en 1968 et 232 en 1969, et pour la plupart des jeunes de 18 a 20 ans,21 ayant le même âge que les émeutiers de juin 1968.22
21Si certains jeunes gens d’origine juive, et
même juive maghrébine, se rapprochaient des positions pro-palestiniennes
des groupuscules d’extrême- gauche, comme en témoigne l’autobiographie
de Benjamin Stora,23 il s’agissait là de jeunes qui s’éloignaient de leur racines juives pour rejoindre le monde internationaliste du gauchisme.24
Pour ceux qui restaient attachés au judaïsme, être juif signifiait, de
plus en plus souvent, être partisan d’Israël, ce qui n’était pas le cas
auparavant.
22Il n’existe bien sûr aucune preuve d’un
quelconque complot, téléguidé depuis Israël, visant à déclencher
l’émeute de Belleville, mais il est certain qu’existait côté juif une
forme d’organisation, révélant l’aspect non spontané des événements une
fois l’émeute commencée. Le Jewish Chronicle de Londres a fait
allusion à une réunion privée où l’on reconnaissait que, les jeunes
juifs ayant participé a l’émeute, avaient été placés sous le
commandement de jeunes cadres, expérimentés et organisés, dans des
unités d’autodéfense25.
III – Un complot arabe ?
23Une troisième explication était à l’opposé
de la seconde : selon certains porte-paroles juifs de Belleville,
l’émeute aurait été fomentée par des arabes de l’organisation
palestinienne Al Fatah, pour venger la défaite de 1967. On parlait d’un
mot d’ordre qui circulait verbalement et dans un tract, appelant les
musulmans à éviter les juifs à l’approche du premier anniversaire de la
guerre26. Des reportages à sensation suivirent dans la presse conservatrice, avec des titres du type : « A Belleville, un tract arabe appelle à la ‘‘guerre sainte’’ contre les juifs »27.
24Comme pour la piste précédente, le contexte
international explique en partie pourquoi on en est arrivé à cette
théorie de complot. Al Fatah a attiré l’attention du monde en mars 1968,
lors de son premier combat contre les forces israéliennes à Karameh
dans la vallée du Jourdain. L’organisation a commencé également, dès
cette année, à établir des contacts en France, avec des intellectuels
tel Maxime Rodinson, et des hommes politiques tel Michel Rocard28.
On peut donc comprendre pourquoi les juifs de Belleville ont perçu Al
Fatah comme une menace, présente partout, tout comme les algériens
voyaient des sionistes partout.
25Mais encore une fois, il n’y a probablement
pas eu de complot. La presse n’a rendu compte de ce fameux tract que le 5
juin, trois jours après le début de l’émeute, ce qui peut être expliqué
par la controverse survenue le 4 juin dans la Sorbonne occupée. Il y a
eu, semble-t-il, un incident au sujet de tracts, entre les réprésentants
d’Al Fatah et ceux du MAPAM, parti sioniste de gauche29,
ce qui aurait provoqué l’affaire des tracts, attribués a Al Fatah, les
étudiants algériens ayant démenti avoir écrit ces tracts30.
26Il se pose également pour ces deux
explications –complot sioniste, complot arabe– un problème de dates. Les
émeutes ont commencé 3 jours avant l’anniversaire de la guerre, et se
sont achevées avant l’anniversaire lui-même, malgré un supplément
spécial d’El Moudjahid sur la guerre le 5 juin, avant
l’aggravation de la tension au Moyen-Orient, avec les batailles
aériennes du 4 juin et les émeutes de Jérusalem le 5 juin et malgré
l’assassinat de Robert Kennedy, candidat à l’élection présidentielle aux
Etats-Unis, apparemment par un palestinien qui lui reprochait son
soutien à Israël.
27Pour les deux camps, cependant, l’insécurité
a été bien réelle. Les algériens redoutaient une montée des activités
sionistes en France, perçues comme une menace dans le contexte de
l’après-Guerre des Six Jours, où Israël s’était révélé comme la
puissance numéro un au Moyen-Orient et les Etats arabes voisins
impuissants. Les juifs tunisiens quant à eux redoutaient une montée de
l’antisémitisme, tout d’abord avec la volte-face de la politique
étrangère française, jadis pro-israélienne, après les déclarations de de
Gaulle en 1967 sur Israël « peuple dominateur », et ensuite les tentatives d’accuser mai 68 d’être une conspiration juive31.
Dans ces circonstances confuses, l’émergence d’Al Fatah fournissait un
très bon bouc émissaire pour expliquer les émeutes de Belleville.
28De plus, pour les chefs des deux
communautés, il était plus facile d’accuser l’autre plutôt que de
critiquer le gouvernement français. D’un côté, les résidents juifs ont
acclamé l’arrivée des renforts policiers à Belleville le 3 juin aux cris
de « Vive la France! »32
voulant ainsi apparaître comme de vrais Français, se distinguant des
arabes qui sont des étrangers. De l’autre, les responsables tunisiens
ont mis l’accent sur l’idée que les immigrés arabes étaient les « hôtes » de la France33,
voulant par un comportement responsable, démontrer que l’on sait bien
se tenir chez les autres. Dans les deux cas, c’était le signe d’un
communautarisme naissant mais plutôt « soft » et qui ne cherchait pas à
remettre en cause les règles françaises.
IV – Un complot capitaliste ?
29Par contre, pour la gauche et l’extrême
gauche française, les émeutes de Belleville n’avait rien à voir avec le
Moyen Orient. Il s’agissait plutôt d’un complot du gouvernement
gaulliste pour diviser les travailleurs. Selon cette quatrième piste,
suivie par L’Humanité et également par des tracts et affiches
des mouvements gauchistes, il existait plusieurs signes révélateurs
d’une conspiration du pouvoir.
30Les émeutiers juifs portaient des brassards,
pour que la police puissent les identifier. On évoquait également la
présence d’ex-harkis, armés de barres de fer, ayant reçu carte blanche
des forces de l’ordre. Il a été souligné également que les émeutiers se
dirigeaient directement vers les vitrines des commerces, comme si l’on
cherchait à créer le maximum de désordre. Il a été fait allusion à des
agents gaullistes, présents dans le quartier, qui auraient menacé des
facteurs en grève avec un revolver. Il a également été noté l’importance
et la brutalité de la réponse policière a cette émeute34.
31Certaines de ces observations étaient plus fondées que d’autres. Comme L’Humanité
l’a noté, le fait qu’il n’y avait pas eu de violence à Belleville
pendant la guerre de 67, suggère qu’il faudrait plutôt chercher une
explication dans le contexte français de mai 68. Mais, pour établir
l’existence d’un complot, il n’y a pas de preuve. Quant au comportement
bizarre des émeutiers, il est assez habituel, dans les émeutes, de
s’attaquer aux biens plutôt qu’aux personnes35.
32Pour ce qui est de la « répression »,
plusieurs témoignages confirment que la réponse policière a été forte,
avec usage de grenades lacrymogènes et matraquages. La présence de 5000
CRS a été bien sûr excessive, pour une bagarre dans un café36,
mais, il y a exagération : le premier jour, il n’y a eu qu’entre 10 et
20 arrestations, donc rien de vraiment comparable aux répressions de la
guerre d’Algérie, comparaison faite par les maoïstes Alain Geismar,
Serge July et Erlyne Morane37.
33Il faut noter qu’après mai 1968, les
maoïstes de la Gauche Prolétarienne ont placé les luttes des
travailleurs immigrés au premier plan dans leur stratégie
révolutionnaire. Ils ont donc voulu interpréter les émeutes de
Belleville comme le signal d’une révolte massive des immigrés contre
l’Etat français, ce qui n’a pas été tout à fait le cas. L’année
suivante, les étudiants maoïstes ont choisi d’investir Belleville pour
leur defilé du 1er mai, sans consultation des bellevillois, un mauvais
choix, qui a conduit à un véritable fiasco et un à harcèlement accrue
des maghrébins de Belleville par la police. Une autocritique maoïste, a
attribué la responsabilité de ce fiasco au « mythe de la résistance prolétarienne à Belleville », né pendant les émeutes de juin 6838.
34Les immigrés n’étaient donc pas les seuls à
chercher dans le complot l’explication à ces événements, les Français
aussi. Mais le nouveau contexte, avec le succès de la manifestation
gaulliste du 30 mai, l’ébauche d’un retour au travail après la grève
générale, voyait pour la première fois, depuis plusieurs semaines, la
gauche sur la défensive. On peut comprendre qu’elle redoutait une
tentative de division des travailleurs, mais on peut se demander
pourquoi utiliser une bagarre entre deux groupes d’immigrés, quand il
aurait été plus efficace de provoquer une émeute entre Français et
immigrés, ce qui n’a pas eu lieu.
Conclusion
35On a vu a quel point un simple fait divers,
dans un quartier aussi cosmopolite que Belleville, peut servir de
symbole pour des conflits qui dépassent largement ces limites
géographiques. Aucune des quatre explications, suggérées pour expliquer
l’émeute de juin 1968, ne suffit à elle seule. Mais, cela ne veut pas
dire qu’elles soient sans valeur. Chacune montre les espoirs et les
désespoirs de ceux qui les ont énoncées, dans un contexte de
bouleversements local, national et international, où le cosmopolitisme a
été mis en question.
36Aujourd’hui, les relations judéo-arabes sont
à nouveau sur le devant de l’actualité. Depuis le début de la deuxième
Intifada et le 11 septembre 2001, on s’inquiète que ce difficile
contexte international ne suscite un nouveau communautarisme en France.
Mais, force est de constater, néanmoins, que si des incidents graves
sont survenus récemment en banlieue, ils ne se sont pas reproduits à
Belleville.39
37De retour dans ce quartier en 2004, nous
avons remarqué une absence quasi-totale de slogans concernant le conflit
israélo-palestinien. Le communautarisme existe à Belleville sur le plan
culturel, mais pas forcément sur le plan politique. Il existerait en
effet une sorte de pacte implicite afin d’éviter de faire entrer dans
l’espace local le conflit du Proche-Orient. On peut donc conclure,
peut-être, sur une note optimiste : le modèle bellevillois de
cosmopolitisme n’est pas mort.
Notes
1 - G. Jacquemet, Belleville au XIXe siècle, Paris, EHESS, 1984.
2 - P.
Simon, « La société partagée. Relations interethniques et interclasses
dans un quartier en rénovation. Belleville, Paris XXe », Cahiers internationaux de sociologie, XCVIII, (janvier-juin 1995), pp. 180-183; P.Simon et C.Tapia, Le Belleville des juifs tunisiens, Paris, Autrement, 1998, p. 167.
3 - Ces
impressions initiales ne tiennent pas compte, par exemple de la
présence dans le quartier des « petits blancs » français – parisiens ou
provinciaux – ainsi que les juifs ashkenazes et autres.
4 - Voir par exemple D. Riot et D. Ajbali, Ben Laden n’est pas dans l’ascenseur … L’immigration, miroir des peurs de la société, Strasbourg, Desmaret, 2002, p. 174.
5 - Ces recherches ont été réalisées dans le cadre d’une étude sur les immigrés et mai 68 (Immigrants and the New Left in France, 1968-1971, thèse de doctorat soutenu a l’Université de Sussex en 2001).
6 - P. Brass, Riots and Pogroms, Basingstoke, Macmillan, 1996, pp. 12-15.
7 - Le Figaro, 3 juin 1968; Le Figaro, 4 juin 1968; L’Aurore, 4 juin 1968; France-Soir, 4 juin 1968; Le Monde, 4 juin 1968; France-Soir, 5 juin 1968; Paris-Presse L’Intransigeant, 5 juin 1968; Jeune Afrique, 10-23 juin 1968; Jewish Chronicle, 14 June 1968; Jeune Afrique, 22-29 juillet 1968; Simon et Tapia, Le Belleville des juifs tunisiens, cité, pp. 168-171.
8 - L’Aurore, 4 juin 1968 ; France-Soir, 5 juin 1968 ; Le Monde, 5 juin 1968.
9 - Arab Report and Record, 1-15 juin 1968 ; El Moudjahid, 5 juin 1968.
10 - France-Soir, 4 juin 1968 ; Le Nouvel Observateur, 7 juin 1968 ; Spectator, 7 juin 1968; A.Geismar, S.July et E.Morane, Vers la guerre civile, Paris, Editions Premières, 1969, p. 340; M.Grimaud, En mai, fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, p. 301.
11 - Le Figaro, 4 juin 1968.
12 - Jeune Afrique, 1-7 juillet 1968 ; C. Tapia, « North African Jews in Belleville », Jewish Journal of Sociology, 16,1 (juin 1974), p. 14, 18; P. Simon, « La société partagée », cité, p. 178; P. Simon et C. Tapia, Le Belleville des juif tunisiens, cité, pp. 100-101, 112-113, 149-150, 169.
13 - Tapia, « North African Jews in Belleville » , pp. 18-20.
14 - Jeune Afrique, 1-7 juillet 1968.
15 - Voir N. McMaster, Colonial Migrants and Racism: Algerians in France 1900-1962, Basingstoke, Macmillan, 1997.
16 - Jeune Afrique, 1-7 juillet 1968.
17 - C. Lepidis, « Belleville, mon village », dans C. Lepidis et E. Jacomin, Belleville, Paris, Henri Veyrier, 1980, pp. 57-64, 73.
18 - C. Lepidis, « Belleville mon village », cité, p. 82.
19 - El Moudhjahid, 6 juin 1968 ; Amicale des Algériens en Europe, « Halte! A la provocation », communiqué reproduit dans El Moudjahid, 8 juin 1968. Selon A. Schnapp et Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante: textes et documents, novembre 1967 – juin 1968,
Paris, Seuil, 1969, p. 640. cette théorie a été partagé en France par
« quelques associations d’étudiants étrangers connus pour leur
verbalisme (étudiants d’Afrique noire, grecs, arabes, etc) ».
20 - M. Abitbol, « The integration of North African Jews in France », Yale French Studies, 85 (1994), pp. 259-260.
21 - C. Tapia, « North African Jews in Belleville » , op. cit., p. 143.
22 - Voir les photos en France-Soir, 5 juin 1968 et Paris-Presse L’Intransigeant, 5 juin 1968.
23 - B. Stora, La dernière generation d’octobre, Paris, Stock, 2003.
24 - Voir Yaïr Auron, Les juifs d’extrême gauche en mai 68 : Cohn-Bendit, Krivine, Geismar … une génération révolutionnaire marquée par la Shoah, Paris, Albin Michel, 1998.
25 - Jewish Chronicle, 14 juin 1968 ; témoignage d’un militant juif dans Simon et Tapia, Le Belleville des juifs tunisiens, cité , p. 173.
26 - L’Aurore, 4 juin 1968; France-Soir, 5 juin 1968; Paris-Presse L’Intransigeant, 6 juin 1968.
27 - Le Figaro, 5 juin 1968.
28 - A.Gowers et T.Walker, Behind the Myth : Yasser Arafat and the Palestinian Revolution, Londres, W.H.Allen, 1990, p. 67; H.Hamon et P.Rotman, Génération : 2. Les années de poudre, Paris, Seuil, 1988, pp. 89-94.
29 - Combat,
5 juin 1968; Bibliothèque Nationale, Les tracts de mai 1968, n°. 4577,
Le Comité de gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient, « 20 ans ça
suffit!! ».
30 - Le Figaro, 5 juin 1968 ; Le Figaro, 6 juin 1968 ; Paris-Presse L’Intransigeant, 6 juin 1968.
31 - Combat, 6 juin 1968 ; D. Bensimon, Les juifs de France et leur relations avec Israël (1945-1988), Paris, L’Harmattan, 1989, pp. 166-168.
32 - L’Aurore, 4 juin 1968 ; cf. la déclaration d’un parmi eux que « Nous sommes en France parce que nous sommes Français », Le Figaro, 4 juin 1968.
33 - Le Monde, 5 juin 1968.
34 - L’Humanité, 3 juin 1968 ; L’Humanité, 4 juin 1968; « Travailleurs arabes et juifs démasquent les vrais responsables des troubles de Belleville », tract reproduit dans J-P. Simon, La révolution par elle-même : tracts révolutionnaires de la crise de mai à l’affaire tchécoslovaque, Paris, Albin Michel, 1969, pp. 155-156 ; Bibliothèque Nationale, Les tracts de mai, cité, tract n°. 5234, «Halte à la provocation policière » ; tract du MRAP, reproduit dans Droit et Liberté, juin 1968.
35 - S. Tambiah, Levelling Crowds: ethnonationalist conflicts and collective violence in South Asia, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 215.
36 - France-Soir, 4 juin 1968 ; Le Monde, 5 juin 1968 ; Le Figaro, 4 juin 1968 ; L’Aurore, 4 juin 1968 ; Paris-Presse L’Intransigeant, 5 juin 1968; A. Geismar, S. July et E. Morane, Vers la guerre civile, Paris, Editions Premières, 1969, p. 339 ; « Belleville: une partie de cartes = 5000 flics », affiche reproduite dans V. Gasquet, Les 500 affiches de mai 68, Paris, Balland, 1978, p. 158.
37 - L’Aurore, 4 juin 1968 ; Le Figaro, 4 juin 1968 ; France-Soir, 4 juin 1968 ; A. Geismar, S. July et E. Morane, Vers la guerre civile, cité, p. 339.
38 - Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, Nanterre, F DELTA RES 612/12, ‘Texte de «Vive le communisme » – Mai 68 émergence des luttes / mai 69 trahison révissioniste impréparation – erreurs / Vive le ler mai 70 ; Y. Gastaut, L’immigration et l’opinion en France sous la Vème République, Paris, Seuil, 2000, p. 157; La Cause du Peuple, 17 mai 1969; Rouge, 8 mai 1969.
39 - F. Baroukh, « Belleville, la coexistence pacifique », dans Cohabitation, quartiers sous tension, http://www.uejf.org/tohubohu/dossier/cohabitation.html
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Pour citer cet article
Référence papier
Daniel Gordon, « Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit », Cahiers de la Méditerranée, 67 | 2003, 287-298.Référence électronique
Daniel Gordon, « Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 67 | 2003, mis en ligne le 25 juillet 2005, consulté le 25 juillet 2016. URL : http://cdlm.revues.org/135Haut de page
Auteur
Daniel Gordon
Edge Hill College of Higher Educationhttp://www.laviedesidees.fr/Les-manifestations-des-chinois-de.html
Essais & débats Société
Négociation et apprentissage de l’intégration
Les manifestations des Chinois de Belleville
Négociation et apprentissage de l’intégration
par Ya-Han Chuang , le 15 juillet 2013
Pourquoi les Chinois de Paris se sont-ils mobilisés dans la rue à deux reprises ces dernières années ? Cet essai propose une étude de la communauté chinoise et de son évolution récente.
On trouvera l’ensemble des notes de bas de page dans la version PDF de cet essai
Dans de nombreux pays d’immigration, les migrants chinois sont souvent considérés comme une « minorité silencieuse » – une minorité qui s’adapte bien, mais dont la participation politique est faible. Si cette image est également présente en France, elle évolue depuis la manifestation du 20 juin 2010. Ce jour-là, pour la première fois dans l’histoire de la communauté chinoise de France, environ 20 000 Chinois de tout âge marchent dans le boulevard de la Villette en scandant le slogan : « Non à la violence, sécurité pour tous ». Paradoxalement, la manifestation se termine par des échauffourées avec la police que l’on pourrait qualifier de « mini-émeute ». Presque exactement un an après, le 19 juin 2011, une nouvelle manifestation est organisée par les représentants de la communauté chinoise de Belleville, entre République et Nation, le chemin classique des manifestations parisiennes. Cette fois, le mot d’ordre est « sécurité, un droit », et la manifestation s’achève en toute tranquillité. Les deux manifestations partagent plusieurs caractéristiques communes : toutes les deux sont des mobilisations ponctuelles faisant suite à des bagarres à Belleville entre des ressortissants chinois et d’autres populations ; toutes les deux revendiquent une augmentation des effectifs policiers et exigent que soit facilitée la procédure de dépôt de plainte pour les immigrés sans papiers ; les participants sont majoritairement immigrés chinois ou Français d’origine chinoise. Néanmoins, les deux manifestations se présentent et se déroulent de manière différente : en 2010, presque tous les slogans et banderoles étaient en chinois, les manifestants exprimaient une certaine fureur, et la manifestation s’est terminée violemment. En 2011, les slogans ont épousé les valeurs républicaines, l’ambiance était paisible, voire imprégnée par la fierté d’être un Chinois de France.
Certes, ce n’est pas la première fois que des groupes migrants manifestent pour dénoncer une discrimination ethno-raciale . Cependant, dans ce cas précis, c’est l’insécurité urbaine qui est dénoncée, tout en étant cadrée comme un problème ethnique dont les victimes sont uniquement des immigrés Chinois. À travers cette protestation, et ses évolutions au cours d’un an, on peut émettre l’hypothèse qu’on assiste là à un processus d’apprentissage politique par un groupe minoritaire. À partir d’une enquête ethnographique , il s’agit donc non pas de revenir sur la réalité de l’insécurité urbaine, mais bien de penser l’action collective comme une façon pour les Chinois de s’accommoder et de s’intégrer au modèle politique français.
Adopter tel ou tel code militant témoigne de la façon dont les Chinois répondent aux injonctions à l’intégration, qui les conduisent à utiliser et mettre en scène les symboles même de la République française lors des manifestations. L’intégration des immigrés demeure pour les institutions françaises une question de premier plan, face à laquelle les immigrés sont obligés de se positionner, même si la problématique de l’intégration est disqualifiée dans le champ académique à cause de la tension entre son caractère normatif et sa validité empirique, ou bien apparaît comme « une convergence uniforme » ne rendant pas compte de l’influence des traditions du pays d’origine.
Il importe de souligner que les migrants chinois de Paris sont loin de composer une communauté homogène. De l’inégalité de statut – travailleurs/entrepreneurs, situation régulière/irrégulière – aux différences générationnelles, tout tend à la divergence de position et de conscience politique, et à différents rapports de forces avec des acteurs institutionnels. Ainsi, ces approches variées sur la société française ont des incidences sur la perception de l’insécurité urbaine et le cadrage de la manifestation. Pour illustrer cette dynamique, nous allons mettre en regard les causes, l’organisation et la présentation des deux manifestations ainsi que le changement de la dynamique associative. Si les deux manifestations sont des mobilisations communautaires, elles n’ont pas la même signification : la première manifestation révèle surtout le désir de protection venant des travailleurs et jeunes immigrés qui ont des difficultés d’insertion et d’intégration. Désir d’un repli communautaire et besoin de l’unité cohabitent alors dans le discours de la manifestation. Suite à la nouvelle dynamique établie en 2010, la manifestation de 2011 symbolise un besoin de reconnaissance qui passe par l’assimilation du code de discours républicain. À travers ce processus, la protestation contre l’insécurité urbaine sert à forger une communauté politiquement visible.
Lutter pour l’unité
De la question sociale à la question raciale[[ Nous empruntons ce titre au livre coordonné par Eric et Didier Fassin, De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006.
Le 1er juin 2010, une bagarre entre un Chinois et un groupe de jeunes du quartier de Belleville enclenche un processus débouchant sur la première manifestation. Ce soir-là, suite au vol d’un sac lors d’un mariage, A-Wu, un jeune Chinois, tire avec un pistolet sur les agresseurs. Il est immédiatement arrêté par la police. L’arrestation de ce jeune homme provoque l’indignation de la communauté. Dans la discussion, les internautes n’hésitent pas à le décrire comme un héros de la communauté chinoise . Pendant la nuit, des milliers d’appels sont publiés en ligne pour demander de « sauver notre héros A-Wu ». Les commerçants de Belleville lancent également une pétition. Le 9 juin, dans « Nouvelle Europe », un journal financé par le gouvernement chinois, un reportage annonce le projet d’une manifestation pour le 20 juin pour « défendre [les] droits » des immigrés chinois . Les associations représentatives des commerçants chinois s’organisent donc en collectif pour préparer la manifestation. En parallèle, d’autres associations locales de Belleville se mobilisent de leur côté.
La décision de manifester est prise : comment l’organiser et quelles sont les revendications ? C’est à ce moment-là que deux approches se confrontent. D’un côté, Huiji – une association fondée en 2003 suite au mouvement de sans-papiers chinois, qui rend service aux travailleurs immigrés au statut précaire en leur donnant des cours de français et un service de conseil juridique – considère les agressions à Belleville comme un problème dû à la ségrégation urbaine et à l’échec du vivre ensemble . Elle suggère d’organiser la manifestation avec l’ensemble des associations à Belleville en se liant aux ONG françaises antiracistes.
D’autre part, les associations des commerçants chinois, représentées par l’ARCF et soutenues par l’ambassade de Chine en France , souhaitent une manifestation ne regroupant principalement que des ressortissants chinois. Peu familières avec la loi française et les pratiques de la société civile, elles confient à P.C. , avocat français et président d’une association à Belleville, le soin de déposer la demande de manifestation à la préfecture et de s’occuper de la procédure administrative. Opposé à la gauche et peu favorable aux immigrés sans papiers , il affirme en substance que l’insécurité est « un problème en France depuis trente ans à cause de l’inertie des politiciens », et insiste ainsi sur le fait que « la manifestation [doit] être apolitique ». Par « apolitique », il entend le rejet de la participation des associations franco-chinoises et des mairies de gauche :
« Je voulais une manif’ purement « citoyenne » (accentué). […] Il y a des associations comme le Mrap, SOS Racisme, ce sont les filières, des sous-marins du PS. Ça, on n’en voulait pas, c’est pour amuser les gens, c’est pour dormir… Ce sont de grands amis du Parti socialiste et de la Mairie de Paris, ils sont donc très mal à l’aise avec nous, car nous sommes apolitiques. »
Pour la même raison, il exclut Huiji dans l’organisation lors de la dernière réunion de préparation . P.C. parvient ainsi à exclure les associations de gauche de la manifestation. Ce faisant, il construit davantage une image des commerçants chinois comme les victimes d’agressions commises par des jeunes issus d’autres migrations, en particulier des pays du Maghreb ou d’Afrique noire, et forge ainsi une vision ethnique du problème. De plus, en raison de la sensibilité du sujet des « droits de l’homme » en Chine, les commerçants chinois évitent de formuler leurs revendications en y faisant référence, de peur que les reportages sur la manifestation dans les médias chinois n’évoquent la question des droits de l’hommes et de la liberté politique en Chine. En conséquence, la rhétorique sociale est totalement absente dans les tracts et les revendications de la manifestation de 20 juin 2010. L’insécurité est ainsi présentée comme une expérience subie par des ressortissants chinois.
De l’indignation à l’échauffourée
En posant l’insécurité comme une expérience partagée par l’ensemble de la communauté chinoise, la manifestation du 20 juin 2010 part dans une ambiance de « lutte de territoire » entre les Chinois et d’autres populations de Belleville. Avec des participants scandant le slogan « Fan baoli, yao anquan ; Zhongguoren, Yao Tuanjie ! (Non à la violence, Oui à la sécurité. Chinois, soyons unis !) », des provocations à la fin de la manifestation paraissent inévitables. Nous pouvons également observer les comportements provocateurs des jeunes qui ont le drapeau chinois à la main et le sourire fier. À 16h30, les manifestants reviennent au carrefour de Belleville. Un témoigne partage sa vision des faits avec plusieurs participants :
« À la fin du cortège, plusieurs jeunes restaient et ne voulaient pas partir. Ils montraient le portable dans leurs mains en disant ‘viens prendre ce portable ! À la fin, ils ont même pris à partie physiquement des jeunes adolescents d’origines arabes/noirs en les accusant de vol. En même temps, un autre habitant d’origine africaine voulant partir avec sa voiture, la foule commence à pousser sa voiture. À ce moment-là, la police commence à intervenir. Certains manifestants avaient apporté 3 000 œufs pour les balancer sur les policiers. La confrontation devient plus violente ».
Si les accrochages avec les personnes d’origine africaine ne sont pas surprenants, le dérapage envers les forces de l’ordre paraît incompréhensible pour certains . En fait, pour les jeunes adultes et adolescentes dans des situations précaires, l’identité chinoise est vécue comme une marque d’humiliation et la cible de répressions . Ainsi, cette manifestation devient l’occasion de transformer ce sentiment en exaltation de l’affirmation de leur origine. Comme le décrit un adolescent arrivant en France à l’âge de onze ans : « C’est comme si une personne très pauvre avait soudainement gagné au Lotto ! ». Un autre jeune adulte exprime son désir de se projeter dans une collectivité plus large : « En voyant toutes ces personnes présentes à Belleville, j’étais très fier. Je me suis dit : enfin on peut se battre pour que les Chinois soient reconnus ! » Tous ces propos nous montrent que les expériences quotidiennes et les émotions face aux policiers sont des « matériaux bruts » d’actions violentes, qui motivent les jeunes adultes à se battre au nom d’un groupe. Les échauffourées à la fin de la manifestation ne sont donc pas un dérapage hasardeux. Au contraire, ils sont, comme les émeutes urbaines de 2005, la marque d’un besoin de se défouler et du sentiment vécu d’injustice, dans un contexte plus large que la cause de la manifestation : une frustration accumulée dans le vécu quotidien des jeunes.
La recomposition du paysage associatif
La manifestation de 2010 a eu des conséquences sur le milieu associatif chinois de Belleville. Traditionnellement, il existe de nombreuses associations de commerçants, dont l’objectif est essentiellement de structurer les réseaux professionnels. Même si un très faible nombre de commerçants y adhèrent ou sont directement impliqués, elles sont considérées comme des interlocuteurs légitimes pour des institutions telles que l’ambassade de Chine, laquelle cherche à exercer une influence politique à travers ces associations. Les travailleurs récemment immigrés et précaires ne peuvent, quant à eux, accéder aux institutions qu’à travers des associations franco-chinoises telles que Huiji. Après la manifestation de 2010, le paysage associatif se reconfigure : dans un premier temps, déçue par le résultat de la manifestation, l’association Huiji décide de cesser son activité. Ensuite, les entrepreneurs de Belleville et les immigrés de fraîche date se mobilisent chacun de leur côté pour créer des associations afin d’établir les liens avec les institutions françaises.
Alerté par l’influence de l’ambassade de Chine sur ses diasporas, les mairies de gauche autour de Belleville incitent les commerçants du quartier à s’associer. Un salarié de la mairie du 20e arrondissement raconte son expérience avec des commerçants chinois avant la manifestation :
« Il y a une préoccupation de la Chine pour savoir ce qui se passe dans les associations chinoises, qui n’est pas forcément une préoccupation de la vie du quartier. Ce qu’on veut, c’est que les Chinois deviennent, je ne dis pas Français, mais Parisiens. Certains se sentent déjà autant Bellevillois que Chinois. Et, apparemment, ce que l’ambassade chinoise veut, c’est qu’ils soient plus Chinois que Bellevillois ».
Le dérapage de la manifestation de 2010 a rendu cette tension tangible. Il devient ainsi urgent pour les mairies de trouver des interlocuteurs légitimes . En novembre 2010, une centaine de commerçants fondent « l’association des commerçants bellevillois », avec une majorité de membres d’origine chinoise. Selon M. Ch ., son président, l’objectif de l’association est « sécurité, sécurité, et encore sécurité ». L’année suivante, les mairies du 19e et 20e arrondissements travaillent en collaboration avec l’association des commerçants pour l’organisation des festivités du Nouvel An chinois, une étape qui marque la volonté d’incorporer les commerçants dans la collectivité locale et de réinstaurer une image cosmopolite du quartier de Belleville.
D’autre part, une autre association nommée Association Chinoise pour le Progrès des Citoyens (l’ACPC ci-dessous) a également rouvert ses portes à Belleville, après plusieurs années d’inactivité, pour aider les travailleurs chinois précaires qui parlent peu le français. La première tâche de l’ACPC est d’aider les immigrés à porter plainte . D’autres services sont ensuite proposés, tels que la traduction, le soutien scolaire ou encore une assistance juridique via une permanence. Cependant, l’ACPC gagne sa visibilité surtout par sa revendication identitaire. Son président, Y , tient un discours nationaliste pour articuler la vulnérabilité des migrants chinois et le trauma historique de la Chine.
« Pourquoi est-on brimé partout ? Je t’explique : en 1937, 300 000 Chinois ont été tués par les Japonais. On les a oubliés. En 1990, 6 000 Chinois ont été tués en Indonésie avec plein de femmes violées. On les a oubliés encore facilement. On est méprisés et brimés partout ! En Chine, on est brimés par les compatriotes, ce n’est pas encore très grave ; mais si ici on est brimés par les groupes d’autres ethnies, c’est une insulte à une nation entière. Il faut mettre la pression sur le gouvernement et l’ambassade chinoise pour s’occuper de notre sécurité ».
En faisant le parallèle entre les attaques dont les chinois ont pu être victimes au cours de l’histoire et les agressions quotidiennes subies par des migrants, Y. opère un glissement du sentiment d’insécurité vers une thématique d’identification nationaliste. Ainsi, à chaque controverse diplomatique impliquant la Chine, l’ACPC se mobilise pour protester . Il s’agit d’une organisation de jeunes adultes et adolescents qui ont des difficultés d’intégration et qui cherchent à souder la communauté en embrassant le nationalisme chinois. Or son image nationaliste fait peur à la plupart des associations de commerçants.
L’influence directe de la manifestation de 2010 est l’émergence de ces deux acteurs indépendants de l’ambassade de Chine. Malgré les statuts sociaux variés des fondateurs et leurs différences idéologiques, tous deux cherchent à établir un lien avec l’institution française pour faciliter l’intégration des migrants chinois. Ceci permet, peu avant l’anniversaire de la manifestation du 20 juin 2010, un point de départ différent pour la reprise de la manifestation contre l’insécurité.
Lutter pour la reconnaissance
L’histoire se répète … mais ne va pas dans même sens
Le 31 mai 2011, une nouvelle agression a lieu à Belleville lors d’un mariage. En combattant avec les agresseurs, le fils d’un restaurateur, est roué de coups et tombe dans le coma. La nouvelle circule immédiatement sur le forum Huarenjie. Ensuite, tout comme en 2010, les internautes se mobilisent et appellent à une autre manifestation contre l’insécurité à Belleville. M. Ch., président de l’association de commerçants Bellevillois, se sent obligé de réagir après l’agression du 31 mai 2011. C’est à ce moment-là que l’ACPC propose de refaire une manifestation le dimanche 19 juin 2011 à l’occasion de l’anniversaire de la manifestation de 2010 .
Alertés de la position nationaliste de l’ACPC, d’autres associations de commerçants proches de l’ambassade ne souhaitent pas participer de crainte que se répète l’épisode de 2010. C’est alors que les jeunes générations représentées par l’Association de Jeunes Chinois de France (l’AJCF ), une association composée par la deuxième génération d’immigrés chinois et travaillant sur l’image positive des Chinois de France, sont sollicités pour aider la préparation de la manifestation. « On a appris qu’il y a des choses qui sont très mal passées l’année dernière. » raconte W, un des membres de l’AJCF qui devient le porte-parole de la manifestation de 2011. « C’était trop communautaire. Il faudrait changer l’image… de toute façon la manif’ a été lancée, on peut plus reculer donc, même si on n’est pas d’accord avec la manif… » Un collectif d’organisation se forme ainsi au nom du « collectif des associations asiatiques de France et leurs amis français ». Plusieurs lignes cohabitent dans sa composition : d’une part, l’ACPC, l’Association des commerçants bellevillois avec plusieurs associations de commerçants indépendantes de l’ambassade qui s’occupent des matériaux et financements ; d’autre part, l’AJCF s’occupe de la communication avec les médias français. Sa composition se distingue ainsi fortement de la première manifestation, grâce à la participation des associations bellevilloises et des jeunes générations francisées.
Devenir citoyens : des symboles flottants dans la manifestation
Co-organisée par les jeunes générations qui ont pour but de modifier l’image communautaire de la première manifestation, le scénario de manifestation du 19 juin 2011 ressemble beaucoup plus à une manifestation « française ». Malgré la présence d’individus qui en ont profité pour distribuer des tracts d’extrême droite , un effort considérable est fait pour incorporer les valeurs républicaines. Dès que les cortèges partent, les organisateurs font répéter les slogans : « Liberté, oui ! Égalité, oui ! Fraternité, oui ! Et … sécurité ! » Par leur rhétorique, les manifestants récupèrent les valeurs républicaines françaises afin d’identifier la sécurité à un droit fondamental des citoyens. De plus, tandis que les slogans et drapeaux chinois ont totalement disparu, le drapeau français est omniprésent : les manifestants le tiennent à la main, le portent sur l’épaule, et de nombreuses banderoles sont marquées des couleurs bleu, blanc, rouge. M.Ch. s’en explique :
« Nous vivons sur le territoire français. Nous aimons ce pays, et nous voulons vivre ici. Nous demandons un traitement égal à celui de tous les Français. Pour nous, les diasporas chinoises, où vivons-nous ? Où vivront nos descendants dans l’avenir ? Nous devons nous battre pour nos droits, et ça n’a rien à voir avec la position de l’ambassade. »
Cependant, pour W, c’est plutôt une mauvaise surprise. Il explique que lors de la réunion de préparation, il a été décidé qu’aucun drapeau – ni chinois ni français – ne devait être distribué, mais l’ACPC avait déjà commandé 10.000 drapeaux français et insistait pour les distribuer. Ainsi, il doit improviser face aux questions des journalistes :
« Ils ont sorti des drapeaux, et alors on a dû faire avec. Et voilà, ce jour-là, la manifestation était très bien, et il y avait des questions, « pourquoi vous avez sorti des drapeaux français ? » (Rire) donc j’ai répondu, ‘C’est pour signifier qu’on est Français. On est Français et donc on voulait s’accaparer le symbole français.’ »
En articulant « citoyenneté » et « symbole français », ces propos révèlent le désir d’être incorporés dans la république française, ainsi que la capacité d’adopter les codes politiques français – surtout de la part des « demi-zens » comme M.Ch. et Y., qui n’ont pas encore été naturalisés.
Ce message semble avoir été bien reçu par les acteurs des institutions françaises. Comme l’a commenté une salariée de la préfecture de police de Paris, tandis que la première manifestation n’avait fait qu’attirer l’attention des journalistes, la deuxième manifestation a réussi à faire passer un message et montre la capacité d’intégration des commerçants . Ainsi, M.Ch. n’hésite pas à considérer la réussite de manifestation comme une victoire vis-à-vis d’autres associations de commerçants proches de l’ambassade et qui ont peu de contact avec l’institution française. Il souligne la reconnaissance acquise de la manifestation :
« À mon avis, notre manifestation a été une grande réussite. Pourquoi ? Cela a fait venir le préfet de Paris et le ministère de l’Intérieur à Belleville pour discuter avec les ressortissants de chinois. C’est la première fois. […] Les associations doivent rendre service aux immigrés chinois ; nous ne pouvons pas cesser de nous intégrer à la société française. Il faudrait continuer à trouver des jeunes cultivés, qui parlent bien français, pour entrer au centre de la société française. Si notre génération ne le fait pas, cela va être encore retardé d’une génération. »
Ces propos révèlent un changement d’aspirations des migrants chinois : au-delà de leur demande de protection et de sécurité, naît un désir de reconnaissance. Peu importe la variété de leur statut– résidents légaux, immigrés sans papiers, français d’origine chinoise etc. – ils ont une attente commune être reconnus comme des citoyens légitimes de la France. Autrement dit, la problématique de l’insécurité devient une occasion pour des immigrés chinois d’exprimer leur espoir d’être intégrés dans la communauté politique.
Conclusion
La comparaison entre les deux manifestations de 2010 et 2011 illustre un processus d’intégration d’un groupe migrant par l’apprentissage politique. Même si les deux manifestations portent des revendications similaires, un ensemble de facteurs permet une meilleure organisation de la deuxième manifestation. Tout d’abord, le rapport avec les institutions françaises a considérablement évolué. Avant 2010, la plupart des immigrés avaient une attitude distanciée avec ces institutions et privilégiaient surtout leurs liens avec la représentation de la diaspora chinoise. La manifestation de 2010 met en lumière cette distance, donnant lieu à une reconnaissance par la préfecture et les mairies des agressions dont les Chinois sont victimes ; cela incite les mairies de gauche à chercher des interlocuteurs directs. Après la manifestation de 2011, les préfectures et les commissaires de police sont ainsi d’autant plus à leur écoute.
Ce rapprochement est accompagné par un apprentissage d’auto-mobilisation. Venant d’une société autoritaire, où la tradition d’auto-organisation est faible, les immigrés chinois ayant peu de savoir-faire pour l’organisation d’une manifestation et plus largement pour la vie associative. L’émergence de deux associations après 2010 montre une première étape d’apprentissage qui fait pénétrer les immigrés plus avant dans la société civile française ; de plus, la deuxième génération d’immigrés Chinois marque une deuxième étape dans la manière d’encadrer la manifestation. Sans écraser la légitimité des autres associations de commerçants, ces nouveaux acteurs facilitent des contacts directs avec les institutions françaises. Ils contribuent ainsi à étoffer, au fil du temps, le répertoire d’actions militantes de la population d’origine Chinoise.
Enfin, il en résulte une évolution des sentiments d’appartenance des immigrés chinois. En 2010, formulant l’insécurité comme un risque exclusif pour les immigrés chinois, la manifestation permet de créer une « communauté d’expériences » autour d’un imaginaire et de sentiments d’insécurité, et, sur cette base, appelle à constituer un sujet politique mobilisable. En 2011, la communauté étant politiquement visible, l’objectif de l’action collective s’est transformé : il s’agit de modifier l’image des Chinois, et de montrer leur capacité d’intégration à travers l’adoption des codes politiques français. Nous constatons ainsi un passage de la lutte pour l’unité à l’intérieur à la lutte pour une reconnaissance à l’extérieur.
Toutes ces évolutions montrent à quel point l’intégration politique est une négociation permanente entre le « là-bas » et l’« ici » des immigrés, entre les valeurs de la société d’origine et la perception de la société d’accueil. C’est grâce à ces apprentissages politiques à travers les institutions que les « Chinois à Paris » pourraient se transformer en « Chinois deParis ».
Pour citer cet article :
Ya-Han Chuang, « Les manifestations des Chinois de Belleville. Négociation et apprentissage de l’intégration », La Vie des idées , 15 juillet 2013. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Les-manifestations-des-chinois-de.html
Nota bene :
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par Ya-Han Chuang , le 15 juillet 2013
http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/06/22/a-belleville-la-communaute-chinoise-exprime-son-mecontentement_1539077_3224.html
A Belleville, les Chinois critiquent l’inaction de la police
Le Monde.fr | 22.06.2011 à 18h39 • Mis à jour le 23.06.2011 à 08h59 | Par Thomas Baïetto
« Qui est allé à la manifestation dimanche ? » Donatien Schramm inscrit les mots au feutre vert sur le petit tableau blanc de sa salle de classe à mesure qu’il les prononce. Il se tourne vers la quarantaine d’élèves, serrés dans le petit local de l’association Chinois de France-Français de Chine, et reprend la phrase en mandarin. Quelques mains, hésitantes, se lèvent parmi les rangs. Le professeur insiste, interpelle tel ou tel en lui rappelant qu’ils se sont croisés sur place. Chaque jour, le quinquagénaire enseigne les rudiments de la langue française à ces élèves qui n’ont plus l’âge d’aller à l’école. Ils sont d’origine chinoise et appartiennent pour la plupart à la communauté Wenzhou, du nom de cette ville située au sud de Shanghaï.
Mardi 21 juin, la présence d’un journaliste dans l’assistance a perturbé le programme du dernier quart d’heure de cours. Il y sera question de la manifestation du 19 juin, où plusieurs milliers de personnes d’origine asiatique sont descendus dans les rues de Paris pour protester contre l’insécurité qu’ils ressentent, en particulier à Belleville. D’après M. Schramm, plus de la moitié des élèves y ont participé.
« Pourquoi es-tu allé(e) à la manifestation ? » Une deuxième question est inscrite au tableau et la discussion s’emballe. « Pour la sécurité, pour que tout le monde ait la sécurité », lance Mme Li en chinois. « Je suis vieille, et quand je fais mes courses, je me fais souvent agresser », poursuit-elle. Au fond de la salle, une deuxième élève, particulièrement vindicative, prend le relais : « Ce sont les arabes et les noirs. » M. Schramm la reprend, indiquant que ces jeunes agresseurs sont avant tout Français. De l’autre côté de la pièce, Bernard Dinh, l’autre cadre de l’association, tempère ces accusations. « Il y a des préjugés de part et d’autre », explique-t-il.
« IL Y A PLUS DE SÉCURITÉ EN CHINE »
La discussion se poursuit sur les autorités publiques, accusées de délaisser cette question, et pas seulement à Belleville. Ces problèmes d’insécurité, « c’est un sujet qui leur tient à cœur » résume le professeur. Le cours se termine et une bonne partie des élèves, en majorité des femmes âgées, se dispersent dans la rue Rébeval. Il ne reste qu’une dizaine d’entre elles. Elles veulent manifestement poursuivre la conversation. « Nous ne parlons pas bien français et ils le savent », indique Mme Li. Elle montre les petites cicatrices de son poignet, et raconte avoir été agressée à deux reprises au cours des trois derniers mois. « Nous avons peur quand nous marchons dans la rue », renchérit sa voisine. L’inaction de la police française est vivement critiquée. « Il y a plus de sécurité en Chine » martèle Mme Li. Une habitante d’Aubervilliers, plus jeune, ajoute qu’elle ne transporte plus de papiers importants ni d’argent liquide dans son sac à main.
Assise à côté de Mme Li, Zheng Shaoyan, une petite femme aux cheveux auburn, montre sa cuisse, et explique qu’un voleur lui a cassé la jambe il y a un an. Elle reviendra dans l’après-midi avec toutes sortes de papiers dans un sac en plastique, dont le compte rendu d’infraction initial. Le 23 février 2010, cette couturière rentrait chez elle rue de Belleville, lorsque dans le hall de son immeuble, un homme tente de lui arracher son sac. « X tente d’arracher le sac de la victime, qui résiste, il en résulte une chute avec fracture« , indique le document. La suite signale une fracture de la hanche gauche et précise que la victime ne parle pas français. C’est sa fille qui sert d’interprète, et, en bas du document, Mme Zheng signe en chinois.
« Le vol à l’arraché a toujours existé, mais aujourd’hui, il y a un sentiment de ras-le-bol. » Au bar Le Celtic, Patrick Huang, le gérant, exprime sa colère, dans un français parfait. Cet homme de 41 ans, originaire de Wenzhou, a grandi en France et vit à Belleville depuis quinze ans. C’est le vice-président de l’association des commerçants bellevillois, créée après la manifestation de juin 2010, qui portait déjà sur les questions d’insécurité. S’il mentionne l’agression d’une personne de type caucasien lundi soir sur le trottoir d’en face, il explique que « les victimes sont essentiellement asiatiques ». Des cibles de choix, qui privilégient l’argent liquide aux autres moyens de paiement. Pour Donatien Schramm, cela s’explique d’abord parce que les sans-papiers sont une composante importante des Chinois de Belleville. Ils ne peuvent donc pas ouvrir de compte bancaire. Patrick Huang remarque également que « pour faire un chèque, il faut savoir écrire en français ».
Cela relève aussi d’une question de culture : lors d’un mariage, « si quelqu’un met un chèque dans [l']enveloppe [qu'on remet traditionnellement aux mariés], c’est la honte » s’exclame-t-il. Mais beaucoup « sont imprudents », regrette M. Schramm. Pour illustrer son propos, il mentionne l’agression, lundi soir, d’une restauratrice, à la fermeture de son restaurant : « Il faut un peu de jugeotte : tu ne te balades pas avec la recette du jour dans un sac », s’agace-t-il. « Je suis d’accord, mais ce n’est plus une vie », rétorque M. Huang, qui ajoute qu’« il ne faut pas changer nos habitudes à cause de quelques voyous ».
« ON LAISSE POURRIR LES ÉTRANGERS DANS LEUR COIN »
Lui aussi critique vivement le travail de la police, insuffisamment présente sur le terrain, ou trop lente à intervenir. Lors d’une récente agression dans un parking, la police aurait mis 45 minutes avant d’arriver sur les lieux. « On laisse pourrir les étrangers dans leur coin, dans les arrondissements du 18e, 19e et 20e« , résume-t-il. Et quand bien même l’agresseur « est pris en flagrant délit, il n’aura que quinze jours de prison. Mais il peut se faire 1 000 euros [s'il réussit son coup]. A ce prix-là, même moi, je le fais », s’emporte-t-il. Ainsi, le sentiment d’injustice gagne du terrain. « Là, ça commence à bouillir, nous allons prendre notre sécurité en charge nous-mêmes », menace Patrick Huang.
Le problème posé par ces agressions est également qu’il avive les tensions entre communautés, alors même que, selon Donatien Schramm, les auteurs de ces actes sont « des jeunes Français, des gamins du quartier, de toutes origines », et parfois-même asiatique. Il regrette d’ailleurs que les organisateurs de la manifestation n’aient pas réellement cherché à associer l’ensemble des communautés du quartier, averties sur le tard.
Pourtant, depuis l’année dernière, des efforts ont été faits pour redresser la situation. La création de l’association des commerçants bellevillois, à l’initiative de la mairie du 20e, l’un des arrondissements sur lequel se trouve le quartier de Belleville, a permis d’améliorer la situation sur quelques points, comme le dépôt de plainte. M. Huang explique que l’association aide les victimes à porter plainte et leur explique que « même si elles n’ont pas de papiers, elles ne risquent rien ».
« CELA NE SERT À RIEN DE PORTER PLAINTE »
Par ailleurs, une brigade de sécurité territoriale (BST) a été spécifiquement mise en place. Sans réussir à inverser la situation : « La BST, je ne l’ai vue qu’une seule fois, et pas sur le terrain », témoigne Hu Jianguo, le frère de l’homme dont l’agression a suscité la manifestation du 19 juin.
Ce 21 juin, il se trouve au Nouveau Palais de Belleville, un gigantesque restaurant, rue de Belleville, où travaillait son frère. Accompagné d’Olivier Wang, le porte-parole du collectif qui a organisé la manifestation de dimanche, il discute avec trois collaborateurs de la mairie du 20e. Ceux-ci insistent sur le manque d’effectifs de police, l’opportunité de mieux équiper les commerces en terminaux pour carte bancaire, et la nécessité de porter plainte systématiquement, sans sembler convaincre leur interlocuteur. « Nous pensons que cela ne sert à rien de porter plainte », leur lance-t-il.
Arrive alors une équipe de France Télévisions, venue interroger le frère de la victime. Celui-ci hésite à parler, mais Olivier Wang tente de le convaincre. « Les gens en Bretagne ou à Marseille, ils ne savent pas ce qui se passe ici », lui explique-t-il, en français. Il pointe du doigt l’équipe de la mairie, « eux, ce sont les pouvoirs publics ». Puis les journalistes, « eux, c’est l’opinion publique ». « Toi, tu as un poids important », ajoute-t-il. Résigné, M. Hu accepte finalement de répondre.
Thomas Baïetto
http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-75020/video-belleville-la-chinoise-se-sent-enfin-en-securite-17-01-2012-1815246.php
VIDEO. Belleville la Chinoise se sent enfin en sécurité
>Île-de-France & Oise > Paris > Paris XX|17 janvier 2012, 4h21 | MAJ : 25 juillet 2016, 20h55|9
Après une série d’agressions ultraviolentes, la communauté asiatique de Belleville retrouve un peu de sérénité. Une brigade de police veille sur le quartier.
C’était un dimanche après-midi du printemps 2011. Evénement sans
précédent,des milliers de membres de la communauté asiatique de
Belleville (XXe) descendaient dans la rue pour crier leur colère. Au
cœur de ce mouvement de révolte exceptionnel : l’insécurité croissante,
les agressions à répétition, dont ont été victimes durant de longs mois
les Asiatiques. Avec, en point d’orgue, le passage à tabac de Jiang Hu,
un trentenaire employé au restaurant le Nouveau Palais de Belleville,
qui a déclenché la colère de toute une communauté et la réaction
immédiate du ministre de l’Intérieur. Depuis, la préfecture de police a
mis à disposition de Belleville d’importants moyens : 525 policiers
supplémentaires ont été affectés à ce seul territoire.
308 arrestations
Depuis le mois de juillet dernier, la nouvelle brigade spéciale de terrain (BST), créée pour lutter contre toutes les formes de délinquance, a procédé à 308 arrestations, visité des dizaines de commerces, assuré une présence visible et constante, qui semble appréciée de la communauté asiatique : « On se sent vraiment plus en sécurité, souligne Yan, un habitant de la rue de Rampal. Je ne cache plus mon portable dans la rue, alors que j’avais pris ce réflexe. »
Au carrefour des Xe, XIe, XIXe et XXe arrondissements, Belleville est entouré de cités sensibles : « Les délinquants ont commencé à s’en prendre à la communauté asiatique au moment où le cours de l’or a entamé sa hausse exponentielle, souligne le commissaire principal du XXe arrondissement, Bernard Bobrowska. C’est ainsi que sont apparus les premiers vols de chaînes en or, arrachées au cou des passants. » Mais aussi pléthore d’agressions violentes, pour de l’argent liquide, que les Asiatiques ont souvent sur eux. « A cela, poursuit Bernard Bobrowska, s’est ajoutée une nouvelle forme de délinquance, perpétrée, elle, par certains réfugiés tunisiens qui arrivaient de Lampedusa au moment de la révolution de Jasmin. Il a fallu aller à la rencontre de la communauté, de ses représentants associatifs. Les mettre en confiance, les faire sortir de leur silence et de leur discrétion, pour qu’ils acceptent, en tant que victimes, de venir témoigner au commissariat, malgré, parfois, la barrière de la langue et même la peur, lorsqu’ils sont en situation irrégulière. »
VIDEO. La communauté chinoise manifeste contre l’insécurité
Le Parisien308 arrestations
Depuis le mois de juillet dernier, la nouvelle brigade spéciale de terrain (BST), créée pour lutter contre toutes les formes de délinquance, a procédé à 308 arrestations, visité des dizaines de commerces, assuré une présence visible et constante, qui semble appréciée de la communauté asiatique : « On se sent vraiment plus en sécurité, souligne Yan, un habitant de la rue de Rampal. Je ne cache plus mon portable dans la rue, alors que j’avais pris ce réflexe. »
Au carrefour des Xe, XIe, XIXe et XXe arrondissements, Belleville est entouré de cités sensibles : « Les délinquants ont commencé à s’en prendre à la communauté asiatique au moment où le cours de l’or a entamé sa hausse exponentielle, souligne le commissaire principal du XXe arrondissement, Bernard Bobrowska. C’est ainsi que sont apparus les premiers vols de chaînes en or, arrachées au cou des passants. » Mais aussi pléthore d’agressions violentes, pour de l’argent liquide, que les Asiatiques ont souvent sur eux. « A cela, poursuit Bernard Bobrowska, s’est ajoutée une nouvelle forme de délinquance, perpétrée, elle, par certains réfugiés tunisiens qui arrivaient de Lampedusa au moment de la révolution de Jasmin. Il a fallu aller à la rencontre de la communauté, de ses représentants associatifs. Les mettre en confiance, les faire sortir de leur silence et de leur discrétion, pour qu’ils acceptent, en tant que victimes, de venir témoigner au commissariat, malgré, parfois, la barrière de la langue et même la peur, lorsqu’ils sont en situation irrégulière. »
VIDEO. La communauté chinoise manifeste contre l’insécurité
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