Halte à la censure et la désinformation satanistes !
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lundi 18 juillet 2016
En Tunisie, le parti islamiste au pouvoir se transforme sans changer de nom
Un rapport avec ce qui s’est passé à Nice le 14 juillet
2016, ou les étranges visites de mon blog Satanistique d’un même lecteur
tunisien depuis un mois et demi ou deux ?
Je précise ici que j’ai d’autres lecteurs tunisiens, mais qu’ils ne
m’ont jamais inquiétée comme celui-là, car leurs comportements étaient
ou sont toujours tout à fait normaux.
Zied Laâdheri, nouveau secrétaire général d’Ennahdha
publié le 17/07/2016 23:57
Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, a annoncé aujourd’hui,
dimanche 17 juillet 2016, l’élection de Zied Laâdhari au poste de
secrétaire général du parti.
A l’issue d’une réunion du conseil de la Choura d’Ennahdha,
Abdelfatteh Mourou a été élu premier vice-président, Ali Laârayedh
deuxième vice-président et Nourredine Bhiri, troisième vice-président.
Le nouveau bureau exécutif du mouvement Ennahdha sera composé d’un
président et sept membres, a annoncé, dimanche soir à une heure tardive,
le président du conseil de la Choura Abdelkrim Harouni.
Il s’agit de Sana Mersni, Mohamed Nouri, Abdelmajid El klai,
Abdelhamid Abdallah, Sehbi Atig, Mokhtar Lammouchi et Mohamed Salah
Gsouma.
Dans une déclaration à la TAP, en marge de la clôture des travaux du
conseil de la Choura (16-17 juillet), Harouni a précisé que 134 membres
du Conseil avaient participé à l’opération électorale sur un total de
150.
Ennahdha: Mourou, Bhiri et Lâarayedh ont de nouvelles missions
Le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, a indiqué,
dans une déclaration à la TAP, que Abdelfattah Mourou sera le
représentant personnel du président du mouvement, quant à Ali Lâarayedh,
il sera le représentant chargé de la mise en place des plans d’Ennahdha
et de ses études stratégiques. Noureddine Bhiri, de son côté, sera
chargé de tout ce qui ce rapporte au pouvoir, concernant les ministres
et les députés d’Ennahdha.
D’un autre côté, Ghannouchi a considéré que la désignation de Zied
Lâadhari en tant que nouveau secrétaire général du mouvement est un
message positif pour les jeunes et une preuve qu’Ennahdha encourage la
présence des jeunes dans tous les postes.
Des militants votent au congrès d’Ennahdha, dimanche, à Hammamet. Photo Fethi Belaid. AFP
Le congrès du parti aux racines islamiques a voté à 93,5% pour cette
réforme majeure, voulue par son fondateur Rached Ghannouchi.
En Tunisie, Ennahdha adopte la séparation du politique et du religieux
La communicante glisse à l’oreille de la petite main assaillie par les journalistes désireux d’assister aux débats : «Si les délégués sont calmes, fais-les entrer ; si c’est houleux, laisse-les dehors.» La porte sera finalement ouverte pour cinq minutes, puis rideaux. Le 10e
congrès de Ennahdha, parti aux racines islamiques qui s’est déroulé ce
week-end à Hammamet a accouché d’une réforme majeure : la séparation du
politique et du religieux. La motion a été adoptée à 93,5% par les
quelque 1 200 délégués. Ce large score entérine la politique réformiste
lancée par le fondateur du parti, Rached Ghannouchi, réélu dans la nuit
de dimanche à lundi au poste de président avec 75,6% des suffrages
exprimés.
Ce résultat reflète davantage une discipline de vote, forgée par des années de clandestinité, qu’un consensus de la base. «Aujourd’hui, je peux vous assurer qu’il est difficile d’être dans la peau d’un militant de Ennahdha, assure un observateur de la vie politique tunisienne. Une
partie non négligeable se pose des questions. Il est impossible
d’effacer plus de trente ans [Ennahdha a été officiellement créé en
1981] de connexion entre politique et religion.» Les congressistes refusent de s’étendre sur les discussions, «forcément compliquées» concède cependant l’un d’eux à la dérobée. Quand elles se font jour, les critiques publiques restent feutrées : «L’absence de la prédication, déjà minime, va créer un vide religieux, semble regretter Ajmi Lourimi, en charge des questions culturelles à Ennahdha. Le parti n’aura aucun lien avec ce qui est religieux.»
Un aggiornamento préparé depuis deux ans – le congrès aurait dû avoir
lieu en 2014 - par Rached Ghannouchi et ses proches. Pour le dirigeant
de 74 ans, après avoir été un mouvement idéologique identitaire dans les
années 70, puis un mouvement contestataire durant la dictature,
Ennahdha doit devenir «un parti démocratique national qui place l’intérêt de la Tunisie au-dessus des siens».
«Le message s’adresse aux occidentaux»
Cette mue ne convainc pas tout le monde. «Il reste une ambiguïté, pointe Zied Krichen, rédacteur en chef du quotidien Al-Maghreb.Ennahdha
continue à revendiquer des racines islamiques. Les relations entre les
associations religieuses et le parti ne vont pas disparaître même s’il
n’y a plus de liens organisationnels.» Le premier parti à
l’assemblée cherche à élargir sa base en ratissant au centre et
notamment auprès des anciens électeurs du parti présidentiel Nidaa
Tounes, en pleine déliquescence. Le risque de perdre les électeurs plus
traditionnels reste quant à lui minime : «Ennahdha n’a pas de concurrent crédible dans le champ politique islamique, constate le sociologue Jean-Baptiste Gallopin, de l’université Yale. Tant que le parti réussit à maintenir sa cohésion interne, ses électeurs mécontents lui resteront fidèles.» Pour Zied Krichen, la cible de ce congrès n’est pas tant les électeurs que la communauté internationale. «Le message s’adresse aux Occidentaux : « Regardez, nous ne sommes plus dans l’islam politique. Nous sommes respectables. »»
Sayida Ounissi, jeune membre du congrès, milite pour que la Tunisie
s’inspire du modèle allemand sur la question religieuse. Ennahdha, la
future CDU (1) musulmane ?
Pour l’occasion, les responsables d’Ennahdha ont vu grand et mobilisé
des moyens importants pour présenter sous la coupole de la salle
omnisports de Radès (sud de Tunis) un show digne des grandes campagnes
électorales. Un événement à la hauteur du poids d’Ennahdha dans le
paysage politique tunisien.
La présence de Béji Caïd Essebsi à la cérémonie d’ouverture l’a
confirmé : le président de tous les Tunisiens a tenu à féliciter le
parti islamiste de cet aggiornamento dont les grandes lignes ne seront
annoncées qu’à l’issue des travaux du Congrès.
Adoption des thèmes chers aux démocrates
Mais la salle chauffée à bloc a surtout été emportée par les propos
de Rached Ghannouchi. le fondateur du mouvement, qui a signifié avec une
extrême aisance que les débats identitaires et religieux ne devaient
plus avoir cours si on voulait mettre en œuvre la réconciliation
nationale. Il a renouvelé son soutien au gouvernement et à la coalition
gouvernementale et fait siens les thèmes traditionnellement chers aux
démocrates : condamnation du terrorisme, préoccupations des Tunisiens en
matière de cherté de la vie et de développement, importance de
l’éducation, réhabilitation de la formation professionnelle, pacte avec
la jeunesse et bronca contre l’administration ainsi que les mouvements
sociaux qui ont un impact négatif sur les entreprises publiques.
Pour la séquence émotion, il a choisi dans un tremblement de voix
d’évoquer sa mère en rendant hommage à la femme tunisienne et à son rôle
déterminant dans le développement du pays.
Un chant de jeunes filles non voilées
Si l’on en croit Ghannouchi, Ennahdha est donc décidée à oublier les
différends et à faire la paix avec tous. Elle salue les figures
nationales historiques comme Kereddine, Moncef Bey, Abdelaziz Thaalbi,
Salah Ben Youssef et Habib Bourguiba mais aussi les martyrs dont Chokri
Belaïd, son ancien ennemi juré.
En ouverture, un chœur de jeunes filles non voilées a entamé des
chants révolutionnaires et c’est la chanson « Ya Bahri » du chanteur
engagé libanais, Marcel Khalifa qui a accompagné le passage où
Ghannouchi comparait la Tunisie à un bateau prêt à larguer les amarres.
Reste maintenant à savoir si ce changement de ramage et de plumage
ressemble plus à du maquillage qu’à un profond changement d’idéologie et
de stratégie.
Le Congrès en chiffres
– 1200 congressistes
– 10 000 repas servis
– 5 traiteurs mobilisés
– Distribution d’une tablette à chaque congressiste
– Mise à contribution de la plupart des agences événementielles
– Couverture de l’événément par Nessma TV
Publication: 23/05/2016 17h07 CEST Mis à jour: 27/05/2016 18h03 CEST
Le président et leader historique du mouvement islamiste tunisien
Ennahdha, Rached Ghannouchi, a sans surprise été réélu lundi à l’aube à
la tête de cette formation qui vient d’acter sa mue en « parti civil ».
Ennahdha, l’une des principales forces politiques de Tunisie, a tenu
son dixième congrès au cours du week-end pour élire une nouvelle
direction, faire le bilan de son action et établir sa stratégie pour les
années à venir.
M. Ghannouchi, 74 ans, a obtenu 800 voix, tandis que 229 votes sont
allés au président sortant du Conseil de la Choura, la plus haute
autorité du parti, Fethi Ayadi, et 29 à Mohamed Akrout, un responsable
du parti, selon les résultats affichés sous les acclamations sur un
grand écran dans la salle où étaient réunis les congressistes.
Huit candidats avaient d’abord été proposés par les congressistes,
avant que certains n’indiquent vouloir se retirer de la course, selon
une responsable du parti.
Le Congrès de la mue?
Intervenant sur les ondes d’Express Fm,
le porte-parole d’Ennahdha, Oussama Sghaier, a affirmé que le mouvement
Ennahdha « est totalement différent de celui avant la révolution »
indiquant « qu’avant la révolution, il s’agissait d’un mouvement
militant, contre la dictature. Son travail était basé sur les droits de
l’Homme, les prisonniers (politiques) (…). Après, la révolution, il a
participé au gouvernement, est présent dans les administrations, à
l’Assemblée (…), il fallait donc qu’il change, qu’il évolue ».
Cette évolution s’est traduite dans le consensus sur le
chemin à prendre par le parti selon lui: « Lors du Congrès de 2012, ici à
Tunis, peut-être que les votes n’auraient pas été aussi unanimes, il y
aurait surement eu des dissensions, peut-être que les choses n’auraient
pas été aussi stables »
Le pourcentage de votes sur les différentes questions lors du Congrès
appuient ces fait affirme Oussama Sghaier: « Moi je pense que nous
avons fait un grand pas et il y’ a eu consensus sur beaucoup de choses
et cela s’est vu dans les pourcentages de votes ».
Quelle organisation?
Selon le porte-parole du parti, celui-ci s’organise comme l’État: Un
président, qui choisit son gouvernement à savoir le bureau exécutif,
qu’il présente au parlement à savoir « Majless Choura » qui l’accepte ou
pas et « qui a un pouvoir de contrôle ».
Ainsi, le Congrès a élu dimanche, les 2/3 du « Majless Choura »
dans lequel se trouvent des visages connus du parti à l’instar de
Nouredinne Bhiri, Ali Laârayedh, Sadok Chourou ou encore Habib Ellouz.
Le 1/3 restant, sera choisi par les membres de celui-ci qui ont été élus
lors du congrès.
Une ouverture?
Un des principaux changements était la place faite aux jeunes dans le
cadre de ce Congrès a affirmé le porte-parole du parti, indiquant que
celui-ci est composé de 30% de jeunes de moins de 35 ans.
Il a par ailleurs affirmé que « plus de la moitié » du bureau du Congrès, chargé de guider sa conduite, était composé de jeunes.
Cette évolution se traduit selon lui par une « ouverture aux jeunes, à la femme et à toutes les franges de la société ».
« Avant la révolution, il n’était pas facile de devenir
membre du parti. Il y avait un processus qui prenait 2 ou 3 ans (…)
Aujourd’hui, tout Tunisien ou toutes Tunisienne qui se voit adhérer au
mouvement Ennahdha(…) sont les bienvenus » a affirmé Oussama Sghaier
Si pour le porte-parole d’Ennahdha, l’ouverture du parti est un acquis, cela ne semble pas être le cas de tous les membres.
Dans une intervention accordée à la radio Mosaïque FM, Habib Ellouz,
membre du parti a annoncé que l’ouverture du parti ne voulait pas dire
accepter tout le monde non plus excluant « ceux qui badinent avec la
religion », « les buveurs d’alcool » et « les consommateurs de
stupéfiants ».
Une séparation entre le politique et le religieux?
C’est sous l’impulsion de M. Ghannouchi que le mouvement a
officialisé ce week-end, au cours de son dixième congrès, la séparation
entre ses activités politiques et religieuses, une mue en gestation
depuis quelques années déjà.
Ennahdha est un « mouvement tunisien qui évolue avec (…) la Tunisie
et participe à son évolution », a dit à la presse dans la journée M.
Ghannouchi.
« Nous nous dirigeons de manière sérieuse (…) vers un parti
politique, national, civil à référent islamique, qui oeuvre dans le
cadre de la Constitution du pays et s’inspire des valeurs de l’islam et
de la modernité », a-t-il ajouté.
En gestation de longue date, cette distinction entre politique et prédication a été votée à plus de 80% des congressistes.
Pour Hamza Meddeb, chercheur associé à l’Institut universitaire
européen de Florence, « il n’y aura plus le mouvement Ennahdha de jadis
construit sur un modèle frériste (des Frères musulmans, ndlr) avec des
branches actives dans l’action sociale, éducative, caritative,
religieuse et politique » a t-il indiqué à l’AFP.
Il existe « chez (Rached) Ghannouchi la quasi-obsession
de montrer aux partenaires occidentaux qu’Ennahdha, ça n’est pas les
Frères », confirme une source diplomatique européenne à l’AFP.
Prédicateur enflammé dans les années 1970, de retour d’exil à la
chute du régime de Zine el Abidine Ben Ali en janvier 2011, M.
Ghannouchi incarne ainsi cette nouvelle stratégie, qu’il est parvenu à
imposer non sans mal à la base du parti.
Pour la justifier, les dirigeants d’Ennahda l’ont présentée tout au
long des derniers jours comme un signe d’adaptation et de modernité au
regard du passage de la Tunisie à la démocratie.
CORRECTION: Une première version de l’article avait mentionné que le 1/3 du « Majless Choura » sera choisi par le président du parti
Lors de son 10e Congrès, qui s’est tenu du 20 au 22 mai à Radès et
Hammamet Sud, le parti islamiste Ennahdha a délégué la fonction du
prêche à la société civile mais n’en conserve pas moins l’islam comme
référentiel premier de son action politique.
« Le peuple veut Ennahdha de nouveau », scandait la foule à l’ouverture du 10e Congrès de la formation islamiste,
le 20 mai à Radès (sud de Tunis). Pas sûr cependant que la métamorphose
annoncée depuis plusieurs mois du parti islamiste en parti civil plaise
à une majorité de Tunisiens. Car malgré tous les grands discours, la
séparation franche et nette entre politique et religieux n’a pas
réellement eu lieu au sein du parti.
En délégant le prêche à des associations en relation avec le
mouvement (même s’il n’y a plus de liens structurels), Ennahdha n’opère
aucune vraie rupture. Tout au plus s’oriente-t-elle « vers un parti
moderniste spécialisé », selon Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif.
Une notion vague qui laisse perplexe devant un quelconque réel
aggiornamento.
Le mouvement, qui n’a jamais prétendu devenir laïque, établit juste
une nouvelle répartition des tâches d’ordre opérationnel. Il s’arroge le
titre d’islamo-démocrate, change d’allure mais pas d’ADN et évacue la
question de la sécularité de l’État. Sur fond de démonstration de force
et de show médiatique, la mue totale attendue revient en fait à une
simple division de la formation islamiste correspondant à
l’externalisation de certaines activités auprès de la société civile.
La Oumma, oubliée
Un rafraîchissement de façade qui contentera cependant beaucoup de
monde, a minima. Les militants retrouvent une ligne à laquelle ils
adhéraient déjà ; les acteurs internationaux se satisferont d’un
habillage démocratique où l’islam politique devient moins prégnant ; et
l’opinion publique tunisienne, lassée des discours identitaires, se
sentira rassérénée. Désormais, Ennahdha oublie la Oumma, se réclame de
la « tunisianité » et fait sien des arguments qui étaient jusque là
l’apanage des démocrates.
Dans tous les cas, il s’agit de rassembler large. Malgré quelques
tensions internes, qui n’ont pas manqué de s’afficher publiquement :
Samir Dilou et Ameur Laarayedh, membres du bureau politique sortant,
étaient absents, tandis qu’un clan, hostile aux motions adoptées sur le
Conseil de la Choura, s’exprimait contre la ligne majoritaire par les
voix de Abdelatif el-Mekki et de Abdelhamid Jelassi. Des dissensions qui
n’ont pas empêché la reconduction de Rached Ghannouchi, le 23 mai, à la présidence du parti avec 75 % de suffrages.
Visées électoralistes
Maître d’œuvre et promoteur du concept de parti civil,
ce dernier n’a pas hésité à afficher des convictions inchangées lors de
son discours d’ouverture. Il a mis en avant les martyrs d’Ennahdha
avant ceux de la nation et a surtout précisé à ses bases que « la
Tunisie était leur État ». En clair, les islamistes, qui garderont cette
étiquette quoi qu’ils en disent, escomptent surtout provoquer un
raz-de-marée en leur faveur aux élections municipales de 2017 et
législatives de 2019.
Ennahdha, qui ne change pas de nom, brouille les lignes de la bipolarisation politique qui a marqué ces deux dernières années
Enfin, en amendant les statuts du parti, ils opèrent une ouverture en
assouplissant les conditions d’adhésion et annulent la condition des
trois parrainages nécessaires pour devenir membre du parti. Mais les
militants seront surtout sensibles au fait qu’Ennahdha désormais pourra
présenter un candidat à la présidence, ce que le lui interdisait
jusqu’ici son règlement.
Certes, cinq ans après être sortis de la clandestinité, les
islamistes reconnaissent avoir commis des erreurs, avoir mal évalué la
Tunisie moderne. Mais en adoptant une nouvelle position centriste,
Ennahdha, qui ne change pas de nom, brouille les lignes de la
bipolarisation politique qui a marqué ces deux dernières années. En
chassant sur les terres de Nidaa Tounes, parti en pleine déconfiture,
Ennahdha poursuit sa stratégie de rapprochement avec les destouriens. La
Tunisie se dirige-t-elle vers une sorte de parti unique ? Une chose est
sûre : la diversité démocratique a du plomb dans l’aile. Et
l’opposition, molle et désorganisée, peine à la revivifier.
« On ne peut transformer la Tunisie en Arabie saoudite. Ennahdha l’a compris »
Une femme tient le drapeau national le 14 janvier 2016 dans
l’avenue Habib Bourguiba à Tunis pour marquer le cinquième anniversaire
de la révolution tunisienne. (FETHI BELAID / AFP)
Le parti islamiste doit annoncer des changements importants lors du
10e congrès organisé ce week-end. Explications avec le politologue Riadh
Sidaoui, qui tempère l’importance de la mue en cours.
C’est un congrès historique que les leaders du parti islamiste tunisien Ennahdha
promettent entre le 20 et le 22 mai. L’occasion de mettre en place la
révision doctrinale qui accompagne la mue du parti – celui-ci restant
toutefois dirigé par le même homme depuis sa création : Rached
Ghannouchi. Le politologue tunisien Riadh Sidaoui, directeur du Centre
arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (Caraps,
Genève), décrypte la situation.
Le leader historique du parti islamiste tunisien Ennahdha,
Rached Ghannouchi, annonce de profondes mutations à la veille du Congrès
de ce week-end. Le parti va-t-il connaître une réelle révolution
interne ?
Ennahdha est un front, c’est le rassemblement de plusieurs courants.
Certains sont aujourd’hui marginalisés, d’autres au contraire ont pris
l’ascendant sur le parti. Il faut connaître cette structure pour
comprendre ce qui va se dérouler au Congrès de ce week-end. Aujourd’hui,
la plus forte de ces tendances est celle des Frères musulmans.
Inversement, il y a eu dans les années 1970 et 1980 un courant
pro-iranien assez fort, aujourd’hui disparu.
Structurellement, les deux courants les plus importants à distinguer
sont ceux que l’on nomme « de l’extérieur » et « de l’intérieur ». Le
premier est emmené par ceux qui ont quitté la Tunisie sous Ben Ali pour
vivre à Londres. Son leader est Rached Ghannouchi. Le second est formé
par ceux qui ont été opprimés par Ben Ali. Ils ont pour la plupart passé
de longues années en prison.
Après la révolution, le groupe « de l’extérieur », plus modéré, plus
ouvert sur l’Occident, a gardé la tête du mouvement. Mais le leadership
de l’intérieur a fait pression toutes ces années au sein du parti pour
radicaliser le discours d’Ennahdha. Mais le parti n’est pas ouvert. S’il
est animé de conflits intenses, il est rare de savoir ce qui se trame
réellement à l’intérieur. La discipline interne est très forte et les
conflits – très nombreux – ne sortent pas.
Remarquons que la tendance modérée avait déjà marqué des points lors
du dernier scrutin législatif. Le clan Ghannouchi avait en effet écarté
alors deux faucons du parti, les empêchant de se représenter : Sadok
Chourou et Habib Ellouze.
Autre point capital pour comprendre ce qui va se passer : depuis la
fondation de Ennahdah, il n’y a qu’un seul véritable maître à bord :
Rached Ghannouchi. On ne peut parler d’un parti démocratique. C’est un
parti fondé et incarné par un chef historique qui n’a pas laissé sa
place à une nouvelle génération. Il continue à dominer le parti.
Rached Ghannouchi le 20 mars 2015 à Tunis. (AFP PHOTO / FETHI BELAID)
Quelles peuvent donc être les évolutions du parti ?
L’aile libérale domine le parti et nous pouvons nous attendre à
quelques changements. Mais sans grand tournant en matière de gouvernance
il me semble. Le parti est dans une situation compliquée : il n’a pas
gagné les dernières élections, et les Frères musulmans subissent une
vague d’oppression très forte dans le monde arabe. On connaît la situation en Egypte
mais n’oublions pas aussi que les Pays du Golfe ont inscrit le
mouvement sur la liste des organisations terroristes… Prendre ses
distances avec l’organisation n’est peut-être qu’un choix pragmatique.
Par ailleurs, compte tenu de la situation intérieure tunisienne,
c’est-à-dire l’échec relatif de leur dernier épisode de gouvernement
avec la troïka, mais aussi la situation économique du pays et la
défiance d’une partie de la société tunisienne, le clan de Londres
semble tout simplement plus à même de gérer le parti que les faucons. Je
pense d’ailleurs que ces derniers vont accepter le maintien de la
mainmise de Rached Ghannouchi sur le parti.
Rached Ghannouchi voulait, en s’inspirant du modèle turc, prôner une
réconciliation entre l’héritage du passé et la modernité, une synthèse
entre laïcité et religion. Il se présente comme un homme de synthèse.
Affirmer vouloir aller vers un parti plus civil ne va pas à l’encontre
de ses précédentes prises de position.
La vraie question qui va se poser c’est l’après-Ghannouchi. Toutes
les contradictions du parti apparaîtront avec son départ ou sa
disparition. Lui-même a parfois tenu un discours puis son anti-discours,
on ne sait pas toujours ce qu’il pense. Si lui parvient à mener le
parti avec toutes ses tendances et ses contradictions, un autre
parviendra-t-il à le faire après lui?
Dans ces récentes interviewes il se dit inquiet de la
radicalisation de certains courants islamistes. Mais Ennahdha lui-même a
flirté avec les radicaux…
Après son accès au pouvoir après 2011, Ennahdha a voulu utiliser la
carte des salafistes et même des takfiristes. Il y avait cette relation
ambiguë entre les chefs d’Ennahdha et ceux par exemple de Ansar
al-charia, désormais considéré désormais comme une organisation
terroriste – il existe notamment des photos de nahdaouis avec le leader
de ce mouvement Abou Iyadh.
Rappelons que la police tunisienne a laissé filer Abou Iyadh après
l’attaque de l’ambassade américaine alors qu’il était encerclé dans la
mosquée el-Fath à Tunis. A cette époque, le ministre de l’intérieur
n’est autre que Ali Larayedh d’Ennahdha. Le parti n’a pas voulu avoir de
rupture nette avec cette branche locale d’al-Qaïda. Pour ne pas se
priver de cet électorat mais aussi parce que ses militants pouvaient
éventuellement servir lorsqu’il fallait en faire descendre quelques-uns
dans la rue. Il faudra attendre 2013 pour avoir une rupture.
Lorsque Rached Ghannouchi
affirme que Ennahdha va désormais séparer le politique du religieux,
qu’est-ce que cela signifie ? Ennahdha ne sera plus un parti islamiste ?
Avant de devenir un parti politique, Ennahdha se présentait comme un
groupe de prêcheurs désireux de revenir aux valeurs « pures » de
l’islam. Ce n’est que plus tard qu’ils se sont présentés comme un parti
politique. Mais ils ont gardé les deux facettes dans la même structure.
On les a longtemps accusés d’utiliser les mosquées pour leur propagande
par exemple. Mais les mosquées sont pour tous les musulmans, pas pour un
seul parti politique. Ennahdha fait donc aujourd’hui marche arrière en
affirmant vouloir séparer le politique de la propagande religieuse.
Après la chute des islamistes au pouvoir en Egypte et surtout
l’inscription sur la liste des organisations terroristes par les
Emirats, Ennahdha doit, pour sa survie, prendre ses distances et va
marteler « on n’est pas des Frères musulmans » de plus en plus fort.
Mais cela reste un parti islamiste. Il est difficile de le voir
autrement. C’est vrai qu’il y a les partis démocrates chrétiens en
Europe, mais Ennahdha ne peut pas devenir laïc même s’il peut devenir
démocrate. Lors des dernières élections le parti a accepté sa défaite et
n’a pas gardé le pouvoir pas la force mais cela reste un parti
religieux.
C’est une conception purement tunisienne de l’islam politique qui se construit ici ?
On peut donner une chance encore à Ennahdha afin qu’elle s’éloigne de plus en plus des Frères musulmans et de l’islam radical pour devenir un modèle pour les autres partis islamistes dans le monde arabe.
Il y a une radicalisation en ce moment dans le monde arabe. Mais la
société tunisienne est très différente des autres sociétés du monde
arabe. Ennahdha a compris qu’on ne peut appliquer la charia à la
saoudienne en Tunisie. On ne peut pas accepter la polygamie en Tunisie
par exemple. Après la chute du pouvoir de Ben Ali, la Tunisie s’est
trouvée dans un vide du pouvoir. Il n’y avait que les islamistes dans le
paysage politique organisé. Ils ont essayé d’imposer une islamisation
de la Tunisie par la force du pouvoir mais la société civile tunisienne
et notamment les femmes ont résisté.
Le leadership de Ennahdha a compris que la société civile tunisienne
ne renoncerait pas facilement à ses acquis. On ne peut pas revenir en
arrière, ni transformer la Tunisie en Arabie saoudite. Ils s’adaptent donc à la fois au contexte international et local pour assurer leur survie.
Tunisie : « Ennahdha tente de trouver sa place dans le jeu démocratique »
Une militante d’Ennahdha à l’ouverture du 10ème Congrès le 20 mai. (FETHI BELAID / AFP)
Le parti islamiste Ennahdha a annoncé lors de son congrès une prise
de distance avec le religieux. Une « petite prise de distance » plus
qu’une séparation, analyse la politologue tunisienne Maryam Ben Salem.
Interview.
Où va le parti islamiste tunisien Ennahdha ? A la veille de son 10e congrès le week-end dernier,
il a annoncé sa volonté de séparer le politique et le religieux. Mais
dans les faits, cette prise de distance reste entièrement à mettre en
place. Maryam Ben Salem, enseignante en science politique à l’Université
de Sousse, auteure d’une thèse sur le parti islamiste tunisien
Ennahdha, analyse le chemin parcouru par le parti. Et, surtout, celui à
parcourir.
On annonçait un Congrès du parti islamiste tunisien Ennahdha
historique le week-end dernier à Hammamet. A-t-il été celui de la
séparation du politique et du religieux au sein du parti, comme on
l’avait entendu dire depuis plusieurs jours, notamment par Rached
Ghannouchi ?
A mon avis pas du tout. Le politique et le religieux ne sont pas
séparés. Il y a plutôt une petite prise de distance. C’est une bonne
chose en soi. Ce que la direction du parti demande aujourd’hui, c’est
qu’un leader politique au sein du mouvement, s’il fait de la
prédication, ne devienne pas pour autant un leader religieux.
Parallèlement, un leader religieux, s’il peut appartenir à Ennahdha,
devra rester un militant de base. C’est un tout petit changement.
En outre, rien ne garantit que les associations religieuses et
caritatives qui gravitent dans le giron du mouvement soient totalement
indépendantes de celui-ci. Il y aura toujours des liens. Ennahdha est
historiquement un mouvement islamiste. Difficile d’établir une stricte
séparation entre religieux et politique. Et puis ils ne peuvent pas
perdre toute leur base électorale.
Il n’y a aucune ouverture ?
Il y a bien une ouverture, mais elle reste limitée. Les dirigeants du
mouvement envisagent d’ouvrir le parti à des personnalités non
islamistes, mais ces dernières doivent absolument « partager les
principes de base du mouvement arabo-musulmans ». Ils tentent aussi de
s’ouvrir vers un autre profil d’électeurs, mais on n’a pas assez de
données en matière de sociologie électorale en Tunisie pour dire exactement qui sont les électeurs d’Ennahdha. L’analyse est donc compliquée.
La vraie prise de risque pour le mouvement, moins que la rupture
annoncée entre le politique et le religieux, est celle prévue entre
l’action sociale et le politique. Car c’est par les actions caritatives,
les services rendus aux pauvres, dans les régions notamment qu’ils
parvenaient à conquérir l’électorat. Il y a donc fort à parier qu’ils
remplaceront leur activité caritative directe par celle d’associations
officiellement distinctes d’Ennahdha, mais au fond liées au parti.
Sa dimension religieuse ne peut être balayée du jour au lendemain :
il est né dans les années 1970 en tant que mouvement qui cherchait à
« revivifier la religion musulmane et à instaurer la charia ». Il y a
déjà beaucoup d’associations qui lui sont liées, elles vont se
multiplier.
Reste à savoir où tout cela va mener le parti. Compliqué à dire. De
plus en plus de partis islamistes du monde arabe se réclament de l’islam
modéré et cherchent à séparer l’action politique de la prédication.
Mais il y a encore beaucoup d’incohérences. L’islam par exemple, reste
religion d’Etat. Il va falloir du temps pour voir ce que va faire
Ennahdha.
Comment expliquez-vous cette prise de distance des partis
islamistes du monde arabe avec le religieux, et notamment avec les
Frères musulmans ?
L’exercice du pouvoir politique, l’intégration dans le jeu politique,
démocratique ou moins démocratique, a entraîné une nécessaire
adaptation d’un certain nombre de ces partis aux contextes locaux. Il y a
une prise de distance par rapport au mouvement des Frères musulmans
mais aussi par rapport à leur idéologie de base, celle des années 1970.
Un parti islamiste, comme tout autre parti, évolue dans le temps.
Personnellement j’adhère à la thèse d’Olivier Roy selon laquelle ils
sont en train de changer, pas forcément pour devenir réellement
démocrates car on n’en sait rien, mais en tout cas pour trouver leur
place dans le jeu démocratique. Mais sans discours cohérent sur la
séparation du religieux et du politique, ils restent des partis
islamistes, dans lesquels l’islam, la religion, reste un élément central, une sorte de marqueur de l’identité de ces mouvements.
Ensuite, il faut voir concrètement ce qu’ils font de ce marqueur, à travers le parti ou les associations : Ennahdha
ne cache pas qu’en tant que parti islamiste, qui cherche à revivifier
cette religion au sein de la société, il a utilisé les mosquées, les
écoles ou les jardins d’enfants coraniques. Le parti se retire désormais
de ce domaine, le laissant aux activités associatives. Sommes nous face
à une sécularisation de ces mouvements ou à autre chose ? On ne le sait
pas encore.
Ennahdha1 (arabe : النهضة écouter) ou mouvement Ennahdha (حركة النهضة soit ḥarakat en-nahḍa), signifiant Mouvement de la Renaissance (Nahda en arabe), est un parti politiquetunisienislamo-conservateur.
Il est créé officiellement le 6 juin1981, quoi que dans l’illégalité, sous le nom de Mouvement de la tendance islamique et change de nom en février 1989.
Selon le politologue Vincent Geisser, « le parti naît à la fin des années 1970 [...] Il est, au départ, dans la mouvance des Frères musulmans.
Certes, il n’a pas de lien organique avec les Frères musulmans
égyptiens mais est il dans l’idéologie des Frères musulmans. Ennahdha
est, de façon assez classique pour la fin des années 1970, dans une
mouvance ultra-conservatrice »3.
Origines
L’islam politique en Tunisie émerge et s’affirme au sein de l’université tunisienne dans les années 1970, après une période de gestation au sein des mosquées, dans le contexte de la Révolution iranienne4.
À l’époque, l’université est un espace fortement politisé : la
confrontation et les débats avec les diverses tendances de la gauche
tunisienne fortement structurée et rompue à la pratique politique
permettent aux premiers partisans de l’islam politique en Tunisie de se
former politiquement, de se doter de structures et d’une ligne
idéologique leur permettant d’avoir un projet politique.
Rached Ghannouchi, professeur de philosophie converti aux thèses des Frères musulmans lors de ses études au Caire, dirige une revue, Al-Maarifa, et prend la parole dans les mosquées avec des prêches de plus en plus suivis par les jeunes ; Abdelfattah Mourou, étudiant en théologie et en droit à l’Université de Tunis, anime de son côté de petits cercles de réflexion5.
Ils fondent ensemble l’Association pour la sauvegarde du Coran,
inspirée des Frères musulmans. Cette association est favorisée et aidée
par le pouvoir pour faire opposition aux groupes d’extrême gauche de l’université6. Avec l’ouverture de l’espace politique tunisien en 1981, ils veulent transformer leur mouvement Jamâa al-Islamiya en un parti politique, le Mouvement de la tendance islamique (MTI)5. La demande de légalisation est déposée le 6 juin mais elle est refusée par le ministère de l’Intérieur en juillet de la même année. Le parti acquiert néanmoins une large audience5 ; il s’ensuit une campagne d’arrestations de responsables du MTI7,8.
107 d’entre eux sont traduits en justice et condamnés lors du grand procès
du MTI à des peines de prison : Rached Ghannouchi écope d’une peine de
onze ans de prison ferme. Tous les détenus sont amnistiés en 19849.
Parallèlement à son activité politique, le MTI développe une activité
sociale : il crée des comités de quartier et des associations de
bienfaisance5.
Habib Mokni, son représentant en France, déclare en 1987 que le parti est attaché à la démocratie et au respect des droits de l’homme ;
il rejette officiellement le recours à la violence. Cependant, Mokni
met en avant qu’en périphérie du mouvement, certains groupuscules
peuvent présenter des idées plus au moins radicales10.
En septembre 1987, un deuxième procès se tient sous haute sécurité, à
la caserne militaire de Bouchoucha, après des attentats à Sousse et Monastir
imputés par le régime au mouvement. À l’issue de ce procès, Ghannouchi
est condamné à la prison avec travaux forcés à perpétuité11.
Ce procès se traduit par des peines de mort pour sept membres dont cinq
par contumace ; Mehrez Boudagga et Boulbeba Dekhil, les deux seuls
condamnés à mort en état d’arrestation, sont exécutés par pendaison le 8 octobre12.
« Les sympathisants du MTI au sein de l’armée préparaient un coup
d’État, prévu pour le 8 novembre suivant. Cette décision a été adoptée
par le bureau politique du mouvement islamiste [...] Nous n’avions pas
d’autre issue [...] le régime nous avait déclaré la guerre13. »
En 1994, Ghannouchi explique cette tentative de coup d’État de la manière suivante :
« Quant à la tentative [de coup d'État] militaire, elle
n’était qu’une initiative pour faire face à un régime qui avait déclaré
qu’il voulait éradiquer le mouvement [...] Ce plan [de tentative de coup d'État]
s’est mis en route en-dehors du mouvement et en l’absence de la plupart
de ses institutions, bien que certains éléments de la direction y aient
pris part14. »
Mouvement d’opposition des années 1980
Rached Ghannouchi lors d’un meeting
Avec l’arrivée au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali le 7 novembre1987,
des gages de libertés politiques sont donnés à l’opposition y compris
islamiste. Les membres du MTI condamnés sont graciés et une certaine
liberté d’action leur est accordée. Le parti signe le Pacte national, le
7 novembre1988,
afin de s’insérer dans le jeu politique. Le régime ne tarde pas à
annoncer, dans la foulée de ce premier succès, de nouvelles mesures
d’apaisement6.
Pour respecter les clauses du Code électoral qui interdit les
références à la religion dans les partis politiques, la fraction dite
« modérée » du MTI décide de retirer toute allusion à l’islam dans le nom du mouvement et choisit de le rebaptiser Hezb Ennahdha
(Parti de la Renaissance). Sa demande de légalisation ayant été rejetée
à nouveau, le mouvement présente ses candidats aux élections
législatives du 2 avril1989 sur des listes indépendantes.
Cependant, le Rassemblement constitutionnel démocratique (parti au pouvoir) rafle la totalité des sièges à la Chambre des députés6.
C’est ainsi que ces élections marquent le retour de la répression et la
fin de l’état de grâce qui régnait depuis l’arrivée du président Ben Ali en 19876. Rached Ghannouchi s’exile en Algérie en 1989 puis à Londres en 1991. Alors qu’il est crédité officiellement de 10 à 17 % des voix15, les voix réellement gagnées par Ennahdha à travers les listes indépendantes aurait été estimées aux environs de 30 %5.
Disparition forcée dans les années 1990
Au printemps 1991, les arrestations se multiplient parmi les rangs d’Ennahdha qui utilise les manifestations de soutien à l’Irak lors de la première guerre du Golfe pour tenter d’occuper la rue5. Les peines prononcées au cours de deux procès des mouvements islamistes
qui se tiennent devant des juridictions militaires en 1991 et 1992,
considérées comme très lourdes, vont jusqu’à vingt ans de prison voire
l’emprisonnement à vie16.
Les procès sont considérés comme expéditifs et non conformes aux canons
de la justice internationales selon les militants des droits de l’homme
et les observateurs internationaux. La plupart de ces détenus sont,
selon Amnesty International, des prisonniers de conscience emprisonnés et condamnés sans preuve tangible de criminalité mais pour le simple exercice de leurs convictions religieuses et politiques[réf. nécessaire].
Un seul acte violent a été imputé au mouvement : l’incendie, le 18 février1991, du local du comité de coordination du Rassemblement constitutionnel démocratique à Bab Souika qui a fait deux blessés graves dont l’un décède une quinzaine de jours plus tard17. Cet acte intervient au lendemain de l’arrestation du président du mouvement, Sadok Chourou. Le mouvement nie alors vouloir utiliser la violence, contrairement au Front islamique du salutalgérien,
même s’il reconnaît en 2011 sa responsabilité dans l’incident de Bab
Souika qualifié « d’erreurs individuelles commises par certains jeunes
du mouvement qui étaient victimes de répression, faute de l’absence des
leaders, contraints à l’exil ou emprisonnés »18,19.
La plupart des leaders choisissent l’exil5
alors que les arrestations se poursuivent chez les militants et même
les sympathisants du parti. La torture est systématiquement pratiquée
sur ces derniers en prison et les intimidations et privations touchent
leurs proches. Face à cette répression et au durcissement du régime, le
mouvement disparaît de la scène politique tunisienne5. L’activité d’Ennahdha se poursuit en exil sans avoir d’incidence particulière en Tunisie. Le parti tient un congrès en 1995.
Reprise dans les années 2000
En 1999, 600 détenus d’Ennahdha bénéficient d’une grâce présidentielle en même temps que d’autres détenus politiques20.
Bien que les anciens détenus subissent des formes déguisées de
répression, comme la privation d’emploi ou le contrôle administratif,
ils se réorganisent notamment avec l’appui des organismes de protection
des droits de l’homme et d’autres partis d’opposition, y compris les
plus marqués à gauche.
En 2005, Ennahdha participe avec le Parti démocrate progressiste (centre gauche) et le Parti communiste des ouvriers de Tunisie
(gauche révolutionnaire) au mouvement du 18-Octobre qui vise la
restauration des libertés civiles en Tunisie. Dans le cadre du mouvement
qui devient une plateforme de l’opposition, les représentants
d’Ennahdha adoptent des positions en faveur de la liberté de culte, de l’égalité homme-femme et de la séparation de l’État et de la religion ainsi que le rejet des châtiments corporels21.
Le 5 novembre2008, les 21 derniers prisonniers d’Ennahdha bénéficient d’une libération conditionnelle22. Cependant, l’un d’entre eux, l’ancien président Sadok Chourou, est reconduit en prison après avoir fait des déclarations à la presse23.
Après la révolution de 2010-2011,
Ennahdha prend part à des manifestations et à des rencontres avec le
Premier ministre. Rached Ghannouchi annonce que le parti a « signé une
déclaration de principes avec les autres groupes d’oppositions
tunisiens »24. Dans ce contexte, le New York Times
rapporte des sentiments mitigés quant à sa réussite future : certains
pensent qu’il bénéficiera d’un soutien dans l’intérieur du pays,
d’autres que la Tunisie est trop sécularisée pour qu’il remporte un
large soutien24.
Rached Ghannouchi et Samir Dilou lors d’une conférence de presse
Meeting de campagne du parti à Sidi Bouzid le 1er octobre 2011
Le 22 janvier2011, dans une interview donnée à Al Jazeera, Ghannouchi confirme qu’il est hostile à un califat islamique et soutient la démocratie, contrairement à Hizb ut-Tahrir qu’il accuse d’exporter une compréhension déformée de l’islam. Le 30 janvier, environ un millier de personnes l’accueille à l’aéroport de Tunis à son retour d’exil ; il déclare qu’il ne sera candidat à aucun mandat électoral25.
Le 7 février,
de nouvelles structures dirigeantes sont créées, avec un comité
constitutif de 33 membres et un bureau exécutif de treize membres, pour
remplacer celles mises en place en exil. Ghannouchi reste président et Hamadi Jebali secrétaire général jusqu’à la tenue d’un congrès prévu dans les quatre à six mois26. Ennahdha est finalement légalisé le 1er mars27. Jebali multiplie les déclarations, Frida Dahmani estimant qu’il esquive les questions sur la place de la charia dans le programme du parti tout en se montrant rassurant quant à la préservation des acquis des femmes28. Ghannouchi déclare ainsi : « Nous avons toujours dit que nous acceptions le Code du statut personnel,
ainsi que toutes les dispositions sur l’égalité homme-femme », propos
toutefois contredits par certains slogans qui exigent l’instauration de
la charia28.
Un sondage d’opinion publié en mars le place comme le parti le plus populaire avec 29 %, suivi par le Parti démocrate progressiste avec 12,3 % et le mouvement Ettajdid avec 7,1 %29 ; ce succès amène certains à entériner le report de l’élection de l’assemblée constituante, alors qu’il « effraie les laïcs et les femmes qui craignent pour leur place dans la nouvelle Tunisie »30.
En mai, Hamadi Jebali se rend à Washington à l’invitation du Centre pour l’étude de l’islam et la démocratie31 ; il y rencontre également les sénateurs John McCain et Joseph Lieberman32. Certains évoquent à ce sujet une collaboration avec des organisations favorables au sionisme[réf. nécessaire].
Les dirigeants d’Ennahdha sont décrits comme « très sensibles aux
craintes parmi les Tunisiens et en Occident par rapport aux mouvements
islamistes », conscients de la sanglante guerre civile algérienne et des divisions en Palestine entre le Hamas et le Fatah30. Le 18 mai, le porte-parole du parti, Samir Dilou, répète dans une interview :
« Nous ne voulons pas une théocratie. Nous voulons un État
démocratique qui se caractérise par l’idée de la liberté. Le peuple doit
décider par lui-même comment il vit [...] Nous ne sommes pas un parti
islamiste, nous sommes un parti islamique, qui obtient aussi sa
direction par les principes du Coran. »
Par ailleurs, il cite la Turquie comme un modèle concernant la relation entre État et religion et compare l’idéologie du Parti pour la justice et le développement à la démocratie chrétienne en Italie et en Allemagne33.
Un journaliste étranger assistant à des réunions d’Ennahdha note
l’enthousiasme pour la cause palestinienne et le slogan « Non à des
bases militaires américaines, non à des interventions étrangères »30.
Durant une conférence de presse en juin, le parti se présente comme
moderne et démocratique ; il présente l’une de ses membres portant un voile et une autre qui n’en porte pas et annonce le lancement d’une organisation destinée à la jeunesse. La Süddeutsche Zeitung note que, contrairement aux partis de gauche, Ennahdha n’est pas hostile à une économie de marché34.
Le 6 février2013, Chokri Belaïd, critique virulent d’Ennahdha, est assassiné. Ses proches soupçonnent le parti, qui dément les accusations35. Le chef du gouvernement nahdhaoui, Hamadi Jebali, annonce le soir même le futur remplacement de son gouvernement par un cabinet de technocrates sans attaches politiques. Le 19 février, le gouvernement démissionne, avant d’être remplacé par un nouveau gouvernement dirigé par un autre nahdhaoui, Ali Larayedh, le 13 mars.
Pour Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE,
Ennahdha a préparé son retour aux affaires : « Avant de quitter le
pouvoir, ils ont organisé une réforme fiscale qui ruine la classe
moyenne laïcisée, laquelle constitue le pire ennemi des Frères musulmans.
Depuis, de nombreux attentats ont ensanglanté la Tunisie visant à tuer
son économie, ruiner le secteur touristique, les syndicats, les
associations, de façon à revenir au pouvoir. C’est la stratégie
systématique des Frères musulmans »38.
Lors de son dixième congrès en mai 2016,
Ennahdha se définit comme un parti de « musulmans démocrates », ce qui
est interprété comme une différenciation entre religion et politique et
une mise à distance de l’idéologie des Frères musulmans39.
Suite au dixième congrès en mai 2016, le bureau exécutif est composé
de 25 membres, avec Rached Ghannouchi comme président, Abdelfattah
Mourou, Ali Larayedh et Noureddine Bhiri comme vice-présidents, et Zied
Ladhari en tant que secrétaire général du parti43.
Rached Ghannouchi déclare lors d’un débat avec un adversaire laïc :
« Pourquoi sommes-nous rapprochés d’un modèle qui est loin de notre pensée, comme les Taliban ou le modèle saoudien,
alors qu’il existe d’autres modèles islamiques à succès qui sont
proches de nous, comme les modèles turc, malaisien et indonésien ; des
modèles qui combinent islam et modernité45 ? »
Ghannouchi a dénoncé Saïd Qotb et soutenu les droits égaux pour les femmes46. Pourtant, il a reçu le soutien du prédicateur islamiste radical Youssef al-Qaradâwî47. D’autre part, des groupes remettent en question la sincérité des représentants du parti ; Ahmed Brahim du Pôle démocratique moderniste,
s’adressant à un journaliste étranger, déclare qu’Ennahdha apparaît
comme « modéré » à la télévision, « mais dans les mosquées, c’est
complètement différent. Certains d’entre eux appellent au djihad »46. Le directeur général d’Al-Arabiya,
chaîne d’information saoudienne, exprime dans un éditorial l’opinion
selon laquelle Ennahdha est fondamentalement un parti islamiste
conservateur avec une direction modérée48.
Le parti choisit de placer deux femmes comme têtes de liste régionales, dont Souad Abderrahim, sur les 33 du parti candidates à l’assemblée constituante de 2011. Ghannouchi note que les femmes ne détenaient pas de facto
de positions dirigeantes dans les gouvernements du président Zine
el-Abidine Ben Ali et que c’est une « réalité » que peu de femmes sont
aptes à les occuper49.
Excision
Ennahdha se dit contre l’excision des filles, après que l’un de ses dirigeants, Habib Ellouze, l’avait qualifiée dans un entretien au journal Le Maghreb, publié le 10 mars2013, d’opération de chirurgie « esthétique ».
Selon le quotidien arabophone, ce dernier aurait déclaré que « dans les
régions où il fait chaud, les gens sont contraints d’exciser les filles
à titre de thérapie, car, dans ces régions, les clitoris
sont trop grands et gênent l’époux [...] On excise ce qu’il y a en
plus, mais ce n’est pas vrai que l’excision supprime le plaisir chez les
femmes, c’est l’Occident qui a exagéré le sujet. L’excision est une
opération esthétique pour la femme ». Toutefois, le 11 mars, Ellouze, vivement critiqué à l’assemblée constituante, accuse Le Maghreb d’avoir déformé ses déclarations ;
la journaliste « m’a imputé des propos que je n’ai pas dits [...] Elle a
insisté pour que je réponde à la question et je lui ai dit que c’est
une tradition dans d’autres pays »50.
Rached Ghannouchi déclare ensuite à propos de cette polémique : « Nous
n’approuvons guère l’excision des filles qui n’est ni une position
d’Ennahdha ou de la religion et ne fait pas partie de notre culture en
Tunisie [...] Quiconque approuve l’excision ne saurait demeurer parmi
nos rangs » ; il précise cependant « que les propos ont été sortis de
leur contexte »51.
Laïcité
En 2016,
à l’occasion de son dixième congrès, Ennahdha prend la décision de
séparer ses activités politiques et religieuses afin de se présenter
comme un parti civil. Selon Radio France internationale, la classe politique reste méfiante face à cette décision qui est qualifiée de « marketing »52. En effet, l’ancien chef du gouvernement islamiste Ali Larayedh relativise la portée de cette modification statutaire en déclarant : « Nous ne renions pas les Frères musulmans »53.
Ennahdha a obtenu le pourcentage de voix le plus élevé lors des premières élections organisées après la révolution de 2011, celle de l’assemblée constituante, devançant le Congrès pour la République de plus d’un million de voix. Il remporte la première place partout sauf à Sidi Bouzid, fief de la Pétition populaire. Pour l’intellectuel Riadh Sidaoui,
la réussite d’Ennahdha s’explique par plusieurs facteurs dont une
campagne bien financée, le désir des Tunisiens de punir ceux qui ont
collaboré avec Ben Ali, la division de la gauche et une vague
d’enthousiasme dans le monde arabe pour les partis islamistes54,55.
Selon lui, les électeurs ont vu en Ennahdha « une ligne islamique
modérée qui laissera la porte des libertés ouverte à chacun, sans
restriction, et répondra aux aspirations des électeurs grâce à son
important budget »55.
↑ François Siino, « L’Université tunisienne banalisée. Mise à niveau libérale et dépolitisation », Annuaire de l’Afrique du Nord, tome XL, éd. du CNRS, Paris, 2002
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