Voir ci-dessous l'annonce de l'avocate d'Inès Chatin qui dit avoir été contactée par d'autres victimes potentielles, suivie des trois premiers articles de Libération consacrés à cette affaire.
Cette bande de pédocriminels va régulièrement en Thaïlande ou en Asie du Sud Est, exactement comme ceux auxquels j'ai affaire depuis le jour où, en 2008, j'ai eu le malheur d'évoquer sur le site Rue89 le cas du pédocriminel Serge Rodallec, ancien psychiatre brestois alors en cavale depuis l'automne 2005 et qui sera retrouvé sous une fausse identité en Thaïlande en janvier 2010.
C'est notamment le cas du Quimpérois Jacques Fornès, un rapatrié de Guyotville en Algérie dont la famille a atterri dans le Finistère tandis que les autres se retrouvaient majoritairement dans l'Hérault.
Georges Cortez alias Homere, originaire de l'Hérault et ayant vécu à Montpellier, a lui-même élu domicile en Thaïlande voici plusieurs décennies.
Le zététicien d'élite feu Jean-Marc Donnadieu de Béziers fréquentait assidûment le Cap d'Agde en soirée.
Et le malade mental Pascal Edouard Cyprien Luraghi a toujours préféré le Népal.
D'autres vont au Maroc. A chacun ses paysages de prédilection.
Ou ses exotismes.
A l'instar d'Inès Chatin, toutes les filles torturées par la bande de la rue du Bac étaient métisses ou non blanches.
Elle semble avoir été sélectionnée pour l'adoption par Jean-François Lemaire en raison de cette caractéristique, elle pourrait même avoir été spécialement conçue pour lui - et d'autres également...
La mère adoptive d'Inès Chatin, autre victime de Jean-François Lemaire, est issue d'une famille d'industriels originaire de Lyon, où Jean-François Revel et René Schérer étaient coturmes durant leurs études littéraires, sous l'Occupation.
Comment est-elle tombée dans ses griffes ?
A noter : elle est née en 1926 à Izieux, où exerçait le médecin Roger Baudy père de Patrick en 1944 lorsqu'il a été arrêté pour être déporté, et dont il sera maire à son retour en 1945 :
CHATIN | Lucienne Marguerite Anne Marie | Naissance | (Izieux) Saint-Chamond, Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, France | |
Décès | Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, Île-de-France, France |
https://satanistique.blogspot.com/2023/04/dou-vient-laudace-de-lavocat-lyonnais.html
Et voici son faire-part de mariage avec Jean-François Lemaire, en 1963 :
Son père Marc Chatin était Président de la teinturerie et blanchisserie Gillet-Thaon.
Or, la famille maternelle de Patrick Baudy a eu une blanchisserie à Lyon.
Son grand-père Louis Chatin, également industriel, a été conseiller général de la Loire et est décédé à Izieux (Saint-Chamond) le 15 décembre 1947. Fils du docteur en médecine Hugues Chatin, il était né à Lyon en 1866.
Les deux familles Chatin et Baudy ont donc bien résidé en même temps à Izieux, tout en étant l'une et l'autre très impliquées dans la politique locale.
Par ailleurs, l'"entremetteuse" de Montpellier était née à Paris la même année :
MALLE | Henriette Eugénie Louise | Naissance | Paris 6e Arrondissement, Paris, Île-de-France, France | ||
Décès | Mulhouse, Haut-Rhin, Grand Est, France |
Son mari François-Xavier Dauchez, contrôleur des impôts, né à Versailles en 1923, fils d'André Marie Xavier Dauchez, attaché au ministère des affaires étrangères, décédé en 1960 à Saint-Saturnin-sur-Loire (et lui-même fils du notaire versaillais Félix Dauchez décédé en 1923 et petit-fils de l'avocat Jules Théodore Dauchez décédé en 1903), a fini sa vie au Venezuela :
DAUCHEZ | François Xavier Jean Marie | Naissance | Versailles, Yvelines, Île-de-France, France | ||
Décès | Venezuela |
L'ancêtre commun de cette famille Dauchez et des notaires parisiens Robert et Benjamin Dauchez est l'avocat et administrateur de biens parisien Joseph Mathieu Dominique Dauchez, né le 11 décembre 1785 à Arras et décédé à Paris le 4 avril 1865, père de Jules Théodore né en 1818 et d'Eugène Jacques né en 1814, arrière-grand-père de Robert. Il avait épousé une Parisienne, Agathe Julie Félicité Hémar, fille d'un substitut du procureur du Roi au Châtelet et petite-fille d'un avocat au Parlement, conseiller du Roi et substitut du procureur du Roi au Châtelet.
Henriette était la fille d'Henri Jacques Paul Malle, né en 1883 à Paris et décédé en 1965 à Domfront (Oise), et d'Anne Marie Virginie Aline Henriot, née à Reims en 1895 dans la famille des champagnes Henriot et décédée à Strasbourg en 1976. Son grand-père Léon Victor Malle, avocat puis liquidateur judiciaire et syndic près le Tribunal de Commerce de la Seine, né à Paris en 1864 d'un clerc de notaire originaire de Longperrier, décédé en 1908, est inhumé au cimetière du Montparnasse, comme sa famille maternelle, du nom de Dudouyt.
Voilà l'avis de décès, en 1933, de sa grand-mère Eugénie Flobert veuve Léon Malle :
Et Jean-François Lemaire est aussi de Paris :
LEMAIRE | Gaston Jean-Jacques François | Naissance | Paris 17e Arrondissement, Paris, Île-de-France, France | |
Décès | Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, Île-de-France, France |
Ses parents s’étaient mariés le 19 mars 1924 dans le 1er arrondissement de Paris. Il s’agit de Marie Pierre Joseph Lemaire, Docteur en médecine, décoré
de la Croix de Guerre, né à Amiens le 4 novembre 1894, reconnu par son père Gaston Amand Louis Lemaire, artiste peintre puis chirurgien-dentiste (domicilié au 233, rue Championnet dans Paris 18 où il décède le 16 avril 1928),
lors de son mariage avec sa mère Rose Moscowitsch le 21 juin 1902 au Chesnay, et de Suzanne Hortense Cogné, née à Paris 18 le 5 mars 1903 de François Victor Cogné, célèbre
statuaire, et de Clémence Victoire Tilleux son épouse, domiciliés au 53, rue des Petits Champs à Paris, 1er arrondissement. Domiciliés au 19, avenue Niel, dans le 17ème arrondissement de
Paris, les époux Pierre et Suzanne Lemaire employaient des domestiques originaires de Guadeloupe et Guyane et avaient eu un premier fils quatre ans avant Gaston, Jean-Claude Pierre Lemaire, né le 25 avril 1926 à Paris 17 et décédé le 16 novembre 1976 à Neuilly-sur-Seine. Les époux Pierre et Suzanne Lemaire sont eux-mêmes décédés, respectivement, le 3 juin 1967 à Neuilly-sur-Seine et le 8 octobre 1979 à Paris, 8ème arrondissement.
Egalement à noter : Jean-François Lemaire, Gabriel Matzneff et Claude Sarraute, épouse de Jean-François Revel à partir de 1967, ont tous trois des ascendances russes. Pour le premier, il s'agit de sa grand-mère paternelle Rose Moscowitsch, née à Dinabourg en Russie en 1872.
Sa grand-mère maternelle Clémence Victoire Tilleux était née à Paris 10 le 31 décembre 1878 de François Léon Tilleux, tailleur, né à Paris 2ème arrondissement le 15 février 1853 et décédé le 11 juillet 1895 Place du Parvis Notre-Dame, et d'Estelle Augustine Wust, giletière, fille de Jean Wust, tailleur, née à Paris 5ème le 25 octobre 1848 dans une famille protestante, mariés à Paris 18ème le 18 novembre 1871 et demeurant au 80, rue du faubourg Poissonnière, dans le 10ème arrondissement de Paris. Fleuriste, elle est domiciliée au 24, rue Poissonnière à Paris 2ème avec sa mère lors de son mariage le 15 avril 1899 à Pantin avec François Victor Cogné, dont elle divorce le 20 mars 1929.
Ce dernier, dessinateur, sculpteur et statuaire, qui fut fait chevalier (1920), officier (1927) puis commandeur (1936) de la Légion d'honneur, membre du Grand Orient de France en 1942 ("Les Rénovateurs de Paris"), était né au Gua, commune d'Aubin, dans l'Aveyron, le 10 août 1876, de Joseph Cogné, fumiste, et de Marie Fontanié, son épouse, avec qui il logeait à Pantin, au 22, rue Pasteur, en 1899. Il se remarie le 4 décembre 1929 à Paris 6 avec Madeleine Alice Wiétor, née à Paris 20ème le 10 novembre 1888, de Jacques Wiétor et Anne Bourg, époux décédés, divorcée de Jean Dodé. Décédé le 9 avril 1952 dans le 7ème arrondissement de Paris, il est inhumé au cimetière du Montparnasse.
Décédée le 12 mai 1960 à Bois-Colombe, Clémence Victoire Tilleux est inhumée au cimetière du Montparnasse dans la même tombe. Ils sont exhumés le 11 avril 1961.
Quant aux Lemaire, ils viennent du Chesnay où ils ont toujours une tombe, celle de Marie Pierre François Lemaire, appareilleur, puis propriétaire, né au Chesnay le 20 octobre 1822 de François Tranquille Lemaire né à Dangy (60) en 1793 et décédé au Chesnay le 28 avril 1859, journalier, jardinier, et de Marie Madeleine Dunet son épouse. Veuf de Sophie Perrot et demeurant au 197, rue Saint-Dominique Saint-Germain à Paris 7ème arrondissement lors de son remariage le 14 novembre 1857 à Paris 12ème avec Eugénie Aline Serot née à Auxerre le 1er novembre 1835 de Edmé Serot et Rose Beaujean son épouse, il est décédé en 1892, sept ans après son épouse Eugénie Aline Serot. C'est le père de Gaston Amand Louis Lemaire né au Chesnay le 11 novembre 1871 et de sa soeur Georgette Eugénie Augustine, née le 26 juin 1864 à Paris 7 au 17, rue Rousselet, mariée le 3 juillet 1894 à Paris 17 à Henri Alphonse Simonet, marchand de vins, et demeurant à Saint-Ouen, avenue des Batignolles.
Les Lemaire et leurs épouses semblent être toujours inhumés dans leur tombe du Chesnay.
Le médecin de petite extraction épouse l'héritière, un scénario qui se répète dans cette famille comme chez leurs amis Baudy :
- Marie Pierre Joseph Lemaire et Suzanne Hortense Cogné en 1924,
- Roger Jules Joseph Baudy et Claire Paule Georgette Gaultier en 1939,
- Gaston Jean-Jacques François Lemaire et Lucienne Marguerite Anne Marie Chatin en 1963.
Trois parvenus. Tous complexés ? Tous odieux avec la gent féminine ?
Selon François Gibault interrogé par Inès Chatin, le mode de vie séparé de ses parents adoptifs durant les premières années de sa vie tenait à la nature de leur union : "un «mariage blanc», destiné à masquer l’homosexualité du docteur aux yeux d’un microcosme catholique et ultraconservateur.... Toutefois, il n’était pas question d’homosexualité dans la bouche de Jean-François Lemaire, mais de pédocriminalité, dont il justifiait, avec un détachement glaçant, le bien-fondé, sans s’excuser une seule seconde."
Chez les Lemaire, les prescriptions de l'Eglise catholique ne sont pas suivies à la lettre : deux épouses non catholiques, une naissance hors mariage, un divorce, des maîtresses... et on se demande ce qu'ont pu subir les domestiques "exotiques"...
Il ne s'agit que de se hisser dans la bonne société parisienne, et tous les moyens sont bons, même les pires : certains vendent leurs femmes, Jean-François Lemaire vend ses enfants, qu'il n'a peut-être désirés qu'à cet effet.
Notons pour finir la forte proportion d'individus nés sous le signe du Scorpion dans cette famille, en rapport avec tous les objets métalliques utilisés par les tailleurs de pierre, appareilleurs, sculpteurs, chirurgiens-dentistes et médecins : c'est le signe du sadisme.
Jean-François Lemaire est du signe opposé, le Taureau : il a sûrement eu des problèmes avec papa...
Par ailleurs, nous avons déjà remarqué chez leurs semblables et très probablement alliés du nom de Baudy la prééminence du signe du Bélier, signe de feu très agressif et contondant que l'on rencontre fréquemment chez toutes sortes d'agresseurs ou d'abuseurs.
Patrick Baudy ? Un avocat qui raconte à tous ses clients que son ex-femme est tellement folle qu'ils ont dû divorcer. Elle avait découpé toutes ses chemises et mis le feu à son cabinet d'avocat de Lyon qui en a été entièrement détruit, tous les dossiers de ses clients étant partis en fumée...Ah la la la la... les paiements en nature...
Complètement givré...
Lire ou relire :
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/pedocriminalite-la-secte-bouddhiste-de.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/comment-le-presume-pedocriminel-jean.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/nicolas-revel-fils-et-frere-de.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/le-dalai-lama-dieu-vivant-de-cyprien.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/pedocriminalite-helene-pelosse-donne.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/05/a-lyon-des-pedocriminels-satanistes.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/en-belgique-des-pedocriminels-satanistes.html
http://satanistique.blogspot.com/2024/06/en-suisse-des-pedocriminels-satanistes.html
"Les hommes de la rue du Bac": l'avocate d'Inès Chatin dit avoir été contactée par d'autres victimes potentielles
Son message a été entendu. Inès Chatin, qui dénonce des sévices sexuels imposés durant son enfance par des intellectuels connus dans le Paris des années 70-80, avait lancé un appel en conclusion de la longue enquête de Libération sur "Les hommes de la rue du Bac".
"Aujourd’hui, c’est moi qui arpente le chemin de la parole. J’espère juste que beaucoup d’autres l’emprunteront", avait confié Inès Chatin. Et ces mots ont été entendus.
Me Marie Grimaud, son avocate, a déclaré, mercredi 26 juin dans le podcast Titre à la Une de BFMTV.com, avoir été contactée par d'autres victimes potentielles. "Nous avons d’autres contacts qui sont en train de s’établir", a-t-elle déclarée.
Dans cette enquête de Libération, qui se décline en six volets, Inès Chatin a raconté son enfance volée, dénonçant des viols et sévices sexuels qui auraient été commis entre ses quatre et ses 13 ans par un groupe d’hommes proches de son père adoptif, Jean-François Lemaire.
En octobre dernier, Inès Chatin avait sollicité une audition auprès du parquet de Paris pour dénoncer ces sévices sexuels imposés, révélait RMC. Une enquête préliminaire avait été ouverte dès le 23 octobre, malgré la prescription. Ces crimes se seraient déroulés, pour la majorité d’entre eux, au domicile familial. Un appartement situé rue du Bac dans le 7e arrondissement de Paris.
Au 97, de ladite rue, plusieurs hommes auraient participé, selon Inès Chatin, à ce qu’elle qualifie, devant l’Office des mineurs, de "jeux" sexuels sordides: Claude Imbert, le fondateur du Point, Jean-François Revel, écrivain et académicien, François Gibault, un avocat, Gabriel Matzneff et Jean-François Lemaire, son père adoptif.
Les hommes de la rue du Bac (1/6) : comment une «bande» pédocriminelle a sévi pendant des années au cœur de Paris
Pour décrire sa vie, Inès Chatin use souvent d’un euphémisme, dont on devine aisément qu’il est une défense pour s’épargner l’indicible : «Depuis ma naissance, je n’ai connu que des emmerdes.» Qui oserait nommer ainsi les monstruosités dont cette femme de 50 ans a été victime, et qu’elle n’a trouvé la force de révéler qu’aujourd’hui, quarante ans plus tard ? Longtemps, seule sa peau s’exprimait, étalant sur ses avant-bras l’éventail de maladies matérialisant les troubles invisibles. Puis, les mots ont jailli, à mesure que le pouvoir de ceux qu’elle présente comme ses bourreaux s’amenuisait, et qu’elle s’éloignait du 97, rue du Bac, adresse maudite du VIIe arrondissement parisien. Comme si sa mémoire acceptait enfin de décoder l’accès au coffre-fort de ses horreurs.
Ces derniers mois, Libération a réalisé plus de soixante heures d’entretien avec Inès Chatin, ainsi qu’avec ceux qui lui ont permis de rassembler les fragments de son passé. Un récit terrifiant en surgit, enrichi par une masse d’archives inédites documentant l’univers pédocriminel d’un noyau de l’intelligentsia parisienne des années 70-80. Dans ce groupe A l’heure où s’étire la procédure judiciaire née de la publication en 2020 du livre le Consentement de Vanessa Springora, dans lequel elle décrivait la relation d’emprise qu’exerçait sur elle l’écrivain Gabriel Matzneff lors de son adolescence, une autre débute cette fois pour Inès Chatin.
A l’automne, cette dernière avait sollicité une audition auprès du parquet de Paris, afin de dénoncer une litanie de sévices sexuels imposés durant son enfance, notamment par Gabriel Matzneff. Lors d’une courte médiatisation, RMC avait alors révélé une lettre adressée à la justice par ses avocats, Marie Grimaud et Rodolphe Costantino, figeant le caractère vertigineux de ses révélations. Inès Chatin y était cependant restée anonyme, simplement désireuse d’obtenir des investigations à l’instar de celles engagées dans le cadre de l’affaire Springora. Et ce malgré la prescription qui s’applique. L’initiative a fonctionné, puisque le parquet de Paris a réagi dès le 23 octobre, avec l’ouverture d’une enquête préliminaire, offrant ainsi aux policiers de l’Office des mineurs (Ofmin) un nouveau cadre de recherche d’autres victimes.
Cercles de pouvoir et sociétés secrètes
Car en réalité, et comme va l’exposer Libération dans une série en six épisodes intitulée «Les hommes de la rue du Bac» – publiée sur notre site dans les jours qui viennent –, la liste des personnes accusées excède largement l’écrivain aux penchants pédophiles revendiqués. En effet, Inès Chatin témoigne d’abus et de viols commis, de ses 4 à ses 13 ans, par un groupe d’hommes gravitant autour de son père adoptif, Jean-François Lemaire, médecin magouilleur auprès des assurances, fasciné par les cercles de pouvoir et les sociétés secrètes. Perpétrées dans plusieurs lieux, dont l’épicentre était le domicile familial du 97, rue du Bac, les violences ont débuté non loin, rue de Varenne, dans un appartement mis à disposition par des amis de Jean-François Lemaire. Des «jeux» sexuels sordides – autre euphémisme, qu’elle utilise devant l’Ofmin – y ont été réalisés sur des enfants, auxquels ont participé de façon certaine, selon Inès Chatin, le fondateur et directeur historique du Point, Claude Imbert, l’écrivain et membre de l’Académie française Jean-François Revel, l’avocat François Gibault, défenseur en leurs temps de Bokassa et Kadhafi, Gabriel Matzneff et Jean-François Lemaire, son père adoptif. Lors de ces séances, où ces hommes n’étaient pas forcément tous présents en même temps, plusieurs enfants étaient rassemblés, et devaient endurer des pénétrations réalisées tour à tour avec des objets métalliques.
Ordre était donné de ne jamais exprimer sa douleur : «Si quiconque pleurait ou manifestait une résistance, c’est sur lui que les hommes se concentraient, insistaient», raconte Inès Chatin, le corps encore bardé de spasmes. Durant ces pratiques sadiques, les hommes «avaient le visage masqué», et portaient «sur eux une sorte de cape ou de manteau». Sans pouvoir les impliquer formellement dans les sévices, Inès Chatin dispose aussi de souvenirs fragmentaires du président de la banque suisse Worms Claude Janssen et de l’architecte italien «à la voix rocailleuse» Ricardo Gaggia. A minima, tous ces hommes partageaient, selon elle, «une communauté de pensée», fondée sur de pseudo-références gréco-romaines, et prônant l’émancipation sexuelle des enfants par l’adulte. Gabriel Matzneff expose ainsi leur doctrine dans les Passions schismatiques, paru en 1977, et rédigé dans son plus pur style provocateur : «Je crois à la fonction socratique de l’adulte. Les anciens Grecs appelaient l’intelligence hegemonikon, qui signifie le guide. Tel Kim, dans le roman de Kipling, chaque adolescent a besoin de rencontrer un aîné qui soit un éducateur, un guide. Aux mères qui agitent hystériquement contre moi l’épouvantail de la police et de la prison, je rétorque toujours, sans me démonter, que pour avoir initié leur progéniture à une sphère infiniment supérieure au marécage familial, et cela dans tous les ordres, on devrait non me punir, mais me décorer.» A mesure que les années passaient, et qu’Inès Chatin grandissait, les «jeux» se sont arrêtés, pour laisser place à des viols commis sur elle seule, par Gabriel Matzneff et Claude Imbert.
«C’est comme si je leur appartenais»
De prime abord, on résiste au récit d’Inès Chatin. Comment concevoir qu’une telle violence, une telle folie aient pu exister, initiées par le propre père adoptif de la victime ? C’est une des clés de la mécanique du silence dans laquelle elle s’est longtemps murée. Qui pourrait la croire ? Pourtant, son récit s’adosse aux nombreux documents qu’elle a livrés aux enquêteurs. En effet, depuis plusieurs semaines déjà, les policiers de l’Ofmin décortiquent des semainiers détaillés de Jean-François Lemaire, des livres d’or de dîners mondains organisés rue du Bac, des correspondances inédites entre ces hommes, ainsi que des dédicaces de livres originaux. Ces éléments viennent signer l’extrême proximité de ce groupe d’intellectuels puissants que le «docteur Lemaire» désignait sous le terme «la bande», lors de déplacements communs en Asie du Sud-Est, notamment à Bangkok.
Si Inès Chatin est si affirmative sur l’identité de ses agresseurs, c’est tout simplement parce qu’ils ont peuplé sa vie durant des décennies. Amis fidèles, mentors, compagnons de voyage de Jean-François Lemaire, ils étaient des figures de son quotidien, surgissant pour un déjeuner, un café ou le simple plaisir d’une discussion littéraire. Ils étaient là dès le réveil, au retour de l’école, le dimanche midi… De quoi ancrer chez elle un envahissant panthéon de souvenirs sonores et olfactifs. Le psychologue Jean-Luc Viaud, chargé de réaliser une expertise de la plaignante, à la demande de ses avocats, décrit en ces termes son traumatisme, écartant l’hypothèse d’une mémoire défaillante : «Mme Chatin n’a pas souffert d’amnésie traumatique concernant ce qu’elle a vécu mais, restée sous emprise, elle a refoulé une partie de ce vécu, ne gardant que quelques données sensorielles, un souvenir global, des événements, quelques images éparses, qu’elle situe difficilement dans le temps [au sens chronologique précis, ndlr]. Un travail thérapeutique pourra lui permettre à terme d’affronter ce vécu et de le reconstituer, pour s’en dégager psychiquement et s’affranchir ainsi de l’emprise et de la place “d’objet” assigné par ses agresseurs.»
Dans le langage d’Inès Chatin, cela donne : «Ces hommes étaient à l’intérieur de ma vie. C’est comme si je leur appartenais autant à eux qu’à Gaston [elle utilise ce prénom comme une digue mentale pour désigner son père adoptif, nous y reviendrons]. Je leur devais le même respect contraint, j’étais forcée à la même intimité. Ils avaient les mêmes droits sur moi.» Parfois, son avocate, Marie Grimaud, se surprend à employer le terme «oncle» pour désigner Gabriel Matzneff, achevant ainsi de dessiner la métaphore d’un inceste collectif, dont Jean-François Lemaire était le seul réel représentant familial. Ne résistant d’ailleurs à aucune indécence, «Gaston» a convié les tourmenteurs de sa fille jusqu’à ses noces, en 1997, avec Geoffroy Ader. Ce descendant d’une grande famille juive, expert en horlogerie, partage depuis sa vie, ses maux, et son combat pour la vérité : «Tous ceux qui s’en prendront à ma femme trouveront un couple sur leur chemin. Notre force, c’est le nous.»
«La conséquence de la parole, c’était les coups»
Il existe au moins une autre victime identifiée de ces hommes : le grand frère d’Inès Chatin, lui aussi adopté via l’organisme la Famille adoptive française (FAF). De deux ans son aîné, Adrien (1) ne souhaite pas participer pour le moment à la démarche judiciaire entreprise par sa sœur, ni voir son histoire intime racontée dans la presse. Il a toutefois tenu à authentifier le témoignage d’Inès, en paraphant chacune des trois pages du texte dans lequel elle détaille les crimes endurés. Au pied, il a apposé les mots suivants : «Je, soussigné Adrien, m’associe au récit de ma sœur Inès Ader [son nom d’épouse], mais ne souhaite pas être davantage mêlé à son action pour ne pas replonger dans ce passé douloureux.» Les enquêteurs de l’Ofmin disposent de cet écrit, ainsi que du nom de deux autres enfants, victimes selon Inès Chatin des mêmes violences à l’époque.
Dans cet univers où les hommes régnaient en maîtres incontestés, une autre personne a été la cible de brimades et de soumission : Lucienne Chatin, la mère adoptive d’Inès, descendante d’une grande famille d’industriels lyonnais. «Maman, c’est le plus beau souvenir de mon enfance», confie sa fille, la voix étranglée au moment d’évoquer celle qui n’a pas pu les sauver, elle et Adrien. Dans une mécanique bien huilée de la terreur, Jean-François Lemaire humiliait et battait sa compagne en cas de comportements jugés inappropriés des enfants, parmi lesquels, poser des questions. «Quand on était petits, la conséquence de la parole, c’était les coups, pas sur nous mais sur elle. Si on faisait quelque chose de travers, quoi que ce soit, une mauvaise note à l’école, il y avait des coups sur elle», explique Inès Chatin. Cette dernière s’est donc entraînée à se taire et à rester impassible en toutes circonstances. Pour cela, elle a même inventé une expression : «Pleurer à l’intérieur.» Aujourd’hui encore, elle dit ne jamais trouver les larmes, même lorsqu’elle est contrainte de se remémorer ce qu’il y a de plus noir.
Après des années passées près de Genève, où elle a fondé une famille avec Geoffroy Ader et travaillé comme journaliste et rédactrice dans la com, Inès Chatin regagne Paris en 2016. L’appartement somptuaire de la rue du Bac, qui n’était autre que le salon littéraire de la princesse de Salm au début du XIXe siècle, est désormais équipé d’un lit médicalisé pour sa mère. Mais sa dépendance devient trop forte. Les époux Lemaire intègrent l’Ehpad Le Corbusier de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) courant octobre 2020. Inès exige alors que sa mère soit placée dans une autre chambre que celle occupée par Jean-François Lemaire. Pour la première fois, la voilà libérée de son joug. Mieux, la sœur de Lucienne, avec qui elle était très liée, est installée dans la chambre voisine, si bien que «ses journées sont enfin douces». En hommage à sa mère, Inès a supprimé le nom Lemaire de son état civil le 5 août 2022, pour lui substituer celui de Chatin, grâce aux dispositions de la loi Vignal. Ne plus porter Lemaire «était aussi une façon de dénier à Gaston le droit d’être un père», cingle-t-elle.
Poser toutes les questions, y compris les pires
Parallèlement, Inès Chatin se lance avec ses proches et Adrien dans la liquidation totale du 97, rue du Bac. Objets, œuvres d’art, livres… Tout ce qui est frappé du sceau de l’infamie doit disparaître. L’appartement sera vendu en 2022, réaménagé de fond en comble par de nouveaux propriétaires, loin des affres du passé. Mais avant, il a suffi de déplacer quelques meubles, d’ouvrir des tiroirs interdits d’accès, pour qu’un nouveau monde s’ouvre. Le secret que les «hommes de la rue du Bac» avaient mis tant de soin à bâtir va se fracasser. Sous les coussins d’un canapé, des cartes postales et des lettres de Matzneff, dont certaines mentionnent nommément Vanessa Springora. Dans les rayonnages les plus hauts des bibliothèques, des ouvrages ouvertement pédocriminels. Enfin, dans une pièce à l’architecture très particulière, reproduisant la cabine d’un bateau, sont dissimulés tous les livres dédicacés par Matzneff, ainsi que le Moine et le Philosophe, un essai publié en 1997 sous forme de dialogue, entre Jean-François Revel et l’un de ses enfants, le bouddhiste Matthieu Ricard.
Et puis, scotchée à l’intérieur du secrétaire personnel de Lucienne Chatin, une mystérieuse enveloppe contenant les pages déchirées d’un magazine pornographique sadomasochiste. Sur les images figurent uniquement des hommes, masqués de noir, et montrés dans des positions obscènes et suggestives. Inès Chatin y perçoit une volonté de sa mère de laisser derrière elle une trace de l’indicible, ce qui va déclencher chez la femme qu’elle est devenue une légitimité nouvelle à poser toutes les questions, y compris les pires. Dans son expertise, le psychologue Jean-Luc Viaux use de cette métaphore pour illustrer la mue brutale d’Inès Chatin : si son existence a longtemps ressemblé «à un couloir parsemé de portes fermées», elle allait à présent toutes les ouvrir.
C’est là l’autre aspect hors du commun de la vie d’Inès Chatin. A 47 ans, elle va devenir une enquêtrice acharnée de sa propre histoire, allant même jusqu’à interroger et enregistrer son père adoptif à l’Ehpad, qui reconnaîtra son implication dans les crimes, en justifiera le bien-fondé, et éclaboussera même certains de ses amis. Dans le dédale de la rue du Bac, elle va aussi retrouver les traces de dons effectués par ses parents à l’association la Famille adoptive française. Logiquement, elle en conclut que c’est par l’intermédiaire de cet organisme qu’elle a échoué dans «l’antre du malin» – nom donné au 97, rue du Bac par son mari, Geoffroy. Avec le concours d’une détective privée, elle va d’abord recomposer le puzzle administratif de son adoption, pour s’apercevoir qu’elle est frappée de multiples irrégularités. Comme le démontrera Libération dans l’épisode suivant de cette série, la FAF a laissé prospérer en son sein, au début des années 70, une filière parallèle de recueil d’enfants abandonnés. Inès Chatin est passée par ce circuit détourné, arrivant chez les époux Lemaire de façon particulièrement nébuleuse.
«Je veux que la justice les confronte à la gravité de leurs actes»
Aujourd’hui, l’une des questions essentielles à ses yeux est justement de savoir si elle a été sélectionnée à dessein par «Gaston», et si oui, sur quels critères. Le fait qu’Inès Chatin soit métisse n’a jamais été neutre dans les sévices sexuels qu’elle a subis. Lors des viols, Gabriel Matzneff semblait même se repaître de cette caractéristique physique, puisqu’il la surnommait «ma petite chose exotique». Via son réseau tentaculaire, le docteur Lemaire a-t-il pu s’arroger des enfants, dont la destinée était de subir des crimes sexuels ? Les premières recherches entreprises par l’enquêtrice privée permettent de constater la présence du nom de François Gibault, qu’elle met en cause comme agresseur, sur une copie de son jugement d’adoption, datée du 2 mars 2000. L’avocat, qui était aussi le conseil personnel de son père adoptif, est-il la preuve vivante, l’impensable trait d’union entre les drames de sa vie ?
Contacté par Libération, François Gibault a répondu via une lettre envoyée par son conseil, Jérémie Assous. Il y assure «n’avoir jamais assisté au moindre acte criminel, et n’aurait pas manqué, si cela avait été le cas, d’y mettre un terme et de les dénoncer immédiatement aux autorités». Il conteste donc «avec vigueur les allégations d’Inès Chatin», dont il estime le récit «inexact». Sur la présence de son nom sur une copie du jugement d’adoption d’Inès Chatin, François Gibault demeure mutique. Joint également, Gabriel Matzneff n’a pas donné suite. La famille Imbert a réagi, elle, par la voix du fils de Claude, l’avocat Jean-Luc Imbert : «Cela me paraît étrange de la part d’Inès Chatin [ils se connaissent de longue date] de jeter le discrédit sur son père adoptif. Pour autant que je le sache, Jean-François Lemaire et son épouse se sont magnifiquement occupés d’elle. Quant à mon père, il aimait les femmes, mais pas les petites filles. On est dans l’époque #MeToo, c’est notre maccarthysme.» Enfin, les enfants de Jean-François Revel, Eve et Matthieu Ricard, ainsi que Nicolas Revel, nous ont fait parvenir la déclaration suivante : le récit d’Inès Chatin «faisant état de la participation présumée de notre père, Jean-François Revel, à des actes d’agression sexuelle sur mineur constitue pour nous un choc immense. Face à la gravité des accusations portées, nous souhaitons que la justice qui a été saisie puisse établir ce qui s’est réellement passé, quand bien même ces faits remonteraient à plus de quarante ans et impliqueraient de nombreuses personnes pour beaucoup disparues. C’est l’attente de la victime qui a déposé plainte et dont nous ne doutons d’aucune manière de la sincérité et de la douleur. C’est aussi notre attente car ces accusations nous plongent dans une incrédulité d’autant plus profonde, qu’elles concernent un homme, notre père, dont tout ce que nous savons de sa personnalité comme de son comportement tout au long de sa vie, se situe aux antipodes des actes monstrueux qui lui sont prêtés.»
Le 14 décembre 2023, l’audition de dépôt de plainte devant l’Office des mineurs (Ofmin) fut un premier Everest pour Inès Chatin : «Jusqu’au dernier moment, j’ai pensé ne pas y arriver. Puis, j’ai vu les gardes qui surveillent le bâtiment avec des pistolets-mitrailleurs. Là, je me suis dit : “C’est bon, je suis en sécurité, je peux enfin raconter.”» Durant plus de sept heures, elle pave son récit de détails précis, qui ont retenu l’attention des policiers.
A l’égard de ses agresseurs, Inès Chatin n’exprime aucun désir de vengeance. Elle sait de toute façon que Claude Imbert, Jean-François Revel et «Gaston», morts il y a quelques années, se sont déjà échappés. Pour les vivants, elle dit : «Aller en prison n’aurait plus aucun sens. Je veux que la justice les confronte à la gravité de leurs actes. S’en prendre à des enfants est inqualifiable.» Surtout, elle souhaite agir «pour interrompre la reproduction» des comportements pédocriminels, «être un grain de sable», comme a pu l’être Camille Kouchner avec la Familia Grande. Ce livre, autopsie de l’inceste commis sur son frère par son beau-père Olivier Duhamel, a bouleversé Inès Chatin, et l’a convaincue de poursuivre sa quête : «Parler, c’est vivre en paix». Aujourd’hui encore, elle affirme entendre des propos invoquant la permissivité des Grecs et des Romains dans les dîners de la haute société conservatrice. Peu ou prou les mêmes que ceux réitérés par Jean-François Lemaire, parfaitement froid et lucide, lors de leurs entretiens enregistrés depuis l’Ehpad en 2021 : «Si l’adolescent sait qu’il se soumet à des règles condamnées par la société, mais qui apportent finalement une certaine jouissance, euh pourquoi pas ?»
Les hommes de la rue du Bac (2/6) : aux origines de l’adoption d’Inès Chatin, une procédure nébuleuse et une «entremetteuse»
L’histoire d’Inès Chatin est aussi celle d’une longue quête de ses origines. Elevée dans un univers pédocriminel du Paris germano-pratin, elle ne put jamais questionner ses parents sur leur choix d’adopter leurs deux enfants, elle et son grand frère Adrien (1), via l’organisme principal de l’époque, la Famille adoptive française (FAF). Chez elle, le carcan du silence ne permettait aucune transgression, et les rares fois où elle s’est hasardée à sonder son père adoptif, Jean-François Lemaire, son autoritarisme coupait court à toute discussion. Médecin auprès des assurances, il menait une vie nimbée de mystères. Et exerçait sur son épouse, Lucienne, des violences physiques et verbales répétées, si bien qu’elle ne put jamais disposer d’une quelconque liberté, même de parole. Ce huis clos étouffant explique aussi qu’Inès Chatin n’ait jamais pu lever le voile sur les sévices sexuels subis de ses 4 à 13 ans, qu’elle attribue à Jean-François Lemaire et à ses puissants amis, banquier, avocat, écrivains.
Pour que sa parole se libère, il a fallu attendre que les époux Lemaire soient placés en Ehpad, à l’automne 2020. Peu à peu, Inès Chatin fait de nombreuses découvertes en vidant l’appartement dans lequel elle a grandi, au premier étage du fastueux 97, rue du Bac. Outre des écrits étayant les liens entre ses tourmenteurs, celle qui approche alors des 50 ans met la main sur des reçus de dons effectués à la FAF. Fondée en 1946 par Dominique Crétin, un ingénieur de la SNCF, l’association avait pour vocation première d’aider les enfants de cheminots déportés ou morts dans la Résistance à trouver «des familles de substitution». Ainsi, ils sont près de 400 à avoir été adoptés dès 1948, avec le concours de la Croix-Rouge française et de l’Assistance publique. Sachant sa mère enfin en sécurité à l’Ehpad, dans une chambre distincte de ce père honni qu’elle surnomme «Gaston» – son réel état civil – pour le démystifier, Inès Chatin va faire de ces reçus le point de départ de la plongée vers ses origines.
«Tout est étrange»
Afin de recomposer les différentes strates de son dossier administratif, elle décide de recourir au service d’une enquêtrice privée. Ensemble, elles vont se procurer auprès de diverses institutions (judiciaire, archives nationales) des documents troublants, interrogeant les conditions comme la régularité de son adoption. Compte tenu de la gravité de son vécu, Inès Chatin suspecte directement «Gaston» d’avoir recouru à un trafic d’enfants, orchestré par son réseau amical et politique. Si la FAF ne dispose plus de l’agrément des autorités, l’organisme, dont le siège est basé à Boulogne-Billancourt, est toujours habilité à ouvrir ses archives lorsque des demandes valides lui sont adressées. Depuis les premiers contacts avec la structure, en décembre 2021, Inès Chatin a obtenu quatre entretiens à la FAF, réalisés avec l’actuelle directrice, Christine Delettre, ou la psychologue de l’association, Alice Lévy. Coopératives sur certains points, les deux interlocutrices vont l’être nettement moins sur d’autres, manifestement embarrassées par la foultitude d’anomalies qui bardent le dossier d’adoption. «Tout est étrange», ne cessera d’ailleurs de répéter Alice Lévy, en feuilletant les pages. Contactée par Libération, la FAF jure, au contraire, «avoir transmis à Mme Chatin, conformément à sa demande, tous les éléments présents dans son dossier au 20 décembre 2021». Sur ce point, l’enquête préliminaire ouverte le 23 octobre par le parquet de Paris permettra peut-être d’en savoir davantage, puisque le processus d’adoption fait partie intégrante de la plainte déposée par Inès Chatin à l’Office des mineurs (Ofmin).
C’est lors du premier entretien avec la psychologue Alice Lévy qu’Inès Chatin va découvrir sa véritable identité. Son acte de naissance originel lui est présenté : «Le 9 septembre 1973, à 9h30, est née à Montpellier Bérénice Duhamel, de Martine (1) Duhamel», alors âgée de 19 ans. Détail qui a son importance : la majorité était à l’époque fixée à 21 ans.
Partie sans laisser de traces en 1973, Martine Duhamel est toujours vivante. Inès Chatin l’a retrouvée, et les deux femmes se sont rencontrées à plusieurs reprises, dans un café de la place de la Comédie, à Montpellier. Si le choc émotionnel fut intense pour Inès Chatin, il le fut tout autant pour cette femme qui voyait soudain resurgir l’enfant qu’elle a abandonné quelques jours après sa naissance. Désireuse de ne s’impliquer qu’a minima dans la quête de sa fille, et très éprouvée par les informations sur les sévices sexuels qu’Inès Chatin lui a livrées pour expliquer sa réapparition quarante-neuf ans plus tard, Martine Duhamel ne s’exprimera pas dans notre série. Tout juste a-t-elle permis à Inès d’en savoir plus sur les conditions de sa naissance, «le point de départ de cette existence jalonnée d’emmerdes», comme elle le dit si souvent.
«Comme si on avait voulu évincer mon père biologique»
En 1973, Martine Duhamel vit dans un foyer pour «mères adolescentes» du nord de Montpellier, l’Abri languedocien. Bien qu’âgée de 19 ans seulement, elle y élève déjà un petit garçon. Voilà cinq ans, elle avait été placée une première fois dans une structure spécialisée, nichée dans une propriété des Rothschild, le château de Laversine, après que ses parents ont perdu tout droit sur elle. Selon l’expression consacrée, elle est donc «une enfant de la Ddass» – l’ancien nom de l’Aide sociale à l’enfance. Mais Martine Duhamel sera renvoyée de Laversine lors de sa première grossesse. La jeune mère arrive alors à l’Abri languedocien, un établissement plus adapté, dirigé par Louise Baert, une travailleuse sociale qui œuvrait dans les lieux de prostitution et les foyers «mères adolescentes» du Sud de la France. C’est dans ce cadre, en proie à une très grande précarité, qu’elle va croiser le père biologique d’Inès Chatin, un étudiant en pharmacie.
De son propre aveu, leur histoire, bornée à «un ou deux rendez-vous», n’avait rien à voir «avec l’amour». Lors des entrevues avec sa fille, Martine Duhamel en dit d’ailleurs le moins possible sur cet homme. Inès Chatin va insister pour que sa mère biologique se soumette à un test ADN. Le résultat confirme à 99,9 % que la quasi-septuagénaire est sa génitrice. Mais soucieuse d’en apprendre davantage, Inès Chatin va ensuite publier son propre ADN en ligne, sur la base de données MyHeritage. Des semaines plus tard, son génome va «matcher», à 22,9 % – ce qui est élevé –, avec un dénommé Serge Roux, présenté par le site comme un «potentiel oncle ou demi-frère». Miracle, la trouvaille s’avère juste. Serge Roux n’est autre que le frère d’Hubert Roux, un pharmacien qui se trouvait dans le Languedoc-Roussillon en 1973, en raison de l’affectation à Nîmes de son père militaire. Tout s’explique enfin, jusqu’au métissage d’Inès Chatin, Hubert Roux étant d’origine ivoirienne. Avant son décès, le 30 novembre 2023, il aura le temps de dire à sa fille biologique au téléphone qu’il désirait la garder, et l’emmener avec lui en Côte-d’Ivoire, où il a vécu une grande partie de sa vie. Il confiera aussi qu’on l’en a dissuadé.
Les jours qui suivent la naissance de «Bérénice» s’avèrent nébuleux. Avant sa mort, Hubert Roux a avoué à Inès Chatin que Martine Duhamel l’avait non seulement avisé de sa grossesse, mais lui avait ensuite présenté un enfant «blond». Surtout, elle lui aurait sur le moment affirmé, l’air grave, que le bébé était atteint de la mucoviscidose. Une maladie rare et mortelle. «Mon père biologique a trouvé tout cela bizarre, rapporte aujourd’hui Inès Chatin. Comme si on avait voulu l’évincer.» Cette anecdote est la première d’une longue série «d’étrangetés», pour reprendre le propre terme d’Alice Lévy, la psychologue de la FAF.
Les bébés adoptés et «l’entremetteuse»
Martine Duhamel mettra seize jours à déclarer la naissance de son enfant. Une éternité pour celle qui désirait, semble-t-il, accoucher sous X, et dont la parole n’a pas été respectée. A Inès Chatin, elle a même révélé s’être immergée dans des bains de moutarde, avec l’espoir que cela provoque des contractions et un avortement naturel. Soit le terrible quotidien des femmes avant 1975 et la loi Veil légalisant l’IVG. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il faut replacer la suite, un instantané échappé des années 70, difficile à concevoir de nos jours.
Afin d’abandonner officiellement sa fille, Martine Duhamel signe un acte chez un notaire montpelliérain, maître Fernand Aldorf. Mais la jeune femme est mineure : il aurait fallu, pour que le document ait une quelconque valeur juridique, qu’il soit signé par son tuteur légal, resté au château de Laversine. Une faille, qui aurait déjà dû stopper le processus d’adoption. Par la suite, la jeune mère confie Inès Chatin à une femme au parcours hors du commun, qui occupe alors un appartement de la résidence «les Cyclamens», dans le Montpellier où se bousculent les rapatriés des colonies. Ex-enseignante en Algérie, Henriette Dauchez-Malle – qu’Inès Chatin nomme «l’entremetteuse» – a ce point commun avec Jean-François Lemaire d’avoir une vie remplie d’activités obscures. Selon plusieurs témoignages, son logement a servi à recueillir plusieurs bébés, en dehors de toute procédure légale.
Cette histoire, c’est la fille d’Henriette Dauchez-Malle qui la raconte. Inès Chatin l’a retrouvée à force de tâtonnements et de confrontations des versions parcellaires de son abandon, livrées par Martine Duhamel et la FAF. Lorsqu’elles se contactent pour la première fois, Véronique Dauchez-Malle a d’emblée ces mots : «Cela fait cinquante ans que j’attends cet appel.» Comme si l’heure était enfin venue d’exorciser un lourd secret de famille. Fin avril, Véronique Dauchez-Malle reçoit Libération dans son appartement du quartier Estanove, situé non loin des Cyclamens. Sur le balcon, des tortues achèvent paisiblement leurs feuilles de salade. Cette femme de 68 ans est un témoin direct du passage éphémère des enfants chez sa mère. Elle avait entre 16 et 17 ans, et Henriette la réquisitionnait pour s’occuper des bébés qu’elle récupérait auprès des filles-mères, à Montpellier, Marseille ou Nice : «Les enfants étaient amenés directement à la maison, ou bien ma mère allait les chercher dans un couffin en osier. Moi, je m’occupais d’eux. Je les changeais, les couchais, leur donnais les biberons. Je dirais qu’entre 20 et 25 bébés sont passés chez nous. Parfois, les enfants et leurs mères étaient pris en photo. Pour qui ? Je ne sais pas. Mais j’ai gardé des souvenirs de beaucoup d’entre eux, dont Bérénice [elle appelle toujours Inès Chatin ainsi, ndlr].» Au terme d’une période allant de quelques jours à plusieurs semaines, les bébés faisaient ensuite l’objet d’une adoption qui avait tout d’un habillage factice. Plusieurs traces du passage des nourrissons existent, notamment un cahier à spirales que Véronique dit avoir gardé, dans lequel sont inscrits les noms de ceux passés par les Cyclamens. Certains étaient handicapés, deux autres sont arrivés de Corée. Véronique a en outre correspondu avec certains des enfants dont elle s’est occupée, immortalisant par écrit ce capharnaüm de trajectoires intimes. Enfin, une ex-dirigeante de la FAF lui avait aussi envoyé des mots de remerciements pour son investissement auprès des bébés…
Activités illicites et archives de la FAF
Si l’association demeure aussi embarrassée, c’est parce qu’Henriette Dauchez-Malle a été membre de son conseil d’administration, entre 1975 et 1976. D’ailleurs, la directrice de la FAF, Christine Delettre, a d’abord dissimulé son existence à Inès Chatin. Plus tard, elle finira par reconnaître son statut, et le caractère trouble de ses activités. Or dans sa réponse officielle à Libération, la FAF s’attache à prendre ses distances avec le personnage : «Les actions de recueil ayant été conduites par Mme Dauchez-Malle à cette époque ne sont pas connues de notre équipe et, au vu des éléments d’archives dont nous disposons, ne relevaient pas de ses fonctions au sein de l’association.» Et de compléter : «Elle a été la représentante de l’antenne locale de l’association à Montpellier à partir de début 1973, où son rôle se résumait à deux actions. Prendre contact avec les candidats de la région qui avaient fait une demande auprès de la FAF à Paris, afin de leur donner les premiers renseignements. Et faire connaître l’existence de la FAF et de son fonctionnement aux jeunes femmes qui désiraient confier leur enfant à l’adoption.»
Toujours est-il que l’activité illicite d’Henriette Dauchez-Malle semble bien avoir été découverte en 1976, puisque d’autres institutions avec lesquelles elle travaillait l’ont radiée, notamment le Planning familial. A la FAF, on dit seulement qu’elle a «démissionné», façon pour l’organisme de s’éviter à l’époque des accusations de trafic. C’est d’ailleurs le mot qu’emploie Véronique Dauchez-Malle en se remémorant cette période douloureuse : «Ma mère était une femme dure, secrète. En rentrant d’Algérie, elle a d’abord vendu des appartements. Puis elle a été enquêtrice sociale pour le tribunal de Montpellier, et s’est investie dans des associations comme SOS Amitié. Elle portait de vrais engagements, comme aider les mères en difficulté. Je l’entendais par exemple dire “bon, je vais m’occuper de vous, on va faire partir l’enfant à l’association”. Mais oui, c’était du trafic. En tout cas moi, j’ai envie de le dire comme ça.» Henriette, qui a eu deux enfants biologiques, en a également recueilli un en tutelle, et a adopté Véronique. Discuter aujourd’hui de la quête d’identité d’Inès Chatin ébranle cette dernière, meurtrie par le même déracinement.
Comment Inès Chatin est-elle ensuite arrivée aux mains des époux Lemaire, au 97, rue du Bac ? Nul ne le sait. Martine Duhamel a raconté qu’après l’étape chez Henriette Dauchez-Malle, elle avait convoyé elle-même sa fille vers Bordeaux. Pour la remettre à qui, dans quel cadre ? Les archives de la FAF disent, elles, que «Bérénice» est passée temporairement par «Maison Blanche», une pouponnière de l’association, située à Bourcefranc-le-Chapus, en Charente-Maritime. Mais ce séjour n’a laissé aucune trace dans son dossier administratif, à l’exception d’un bon de transport, daté du 14 novembre 1973, autorisant le déplacement de Bérénice par des bénévoles. Plus grave encore, Martine Duhamel n’aurait jamais dû participer elle-même au transport de l’enfant qu’elle venait d’abandonner. Quant à la requête en adoption d’Inès Chatin, elle n’a été déposée que le 3 octobre 1974. Or le bébé a été confié aux Lemaire sept mois plus tôt, le 7 mars 1974…
«Trop de coïncidences»
Gênée aux entournures, la directrice de la FAF, Christine Delettre, avait livré à Inès Chatin des explications bien plus circonstanciées que la réponse officielle qui a été transmise à Libération. Lors du quatrième entretien, elle avait notamment reconnu que son association avait pu être «un maillon de l’histoire, nécessaire pour valider quelque chose d’une autre ampleur». «C’est une espèce de captation d’enfant, un rapt», avait-elle ajouté, suspectant finalement elle aussi le caractère commandité de l’adoption. Des propos sur lesquels la FAF est restée silencieuse lors de l’échange contradictoire avec Libération.
Il se trouve que l’hypothèse confessée par Christine Delettre n’a rien d’impossible : de façon troublante, on retrouve de nombreuses personnalités liées à l’adoption d’Inès Chatin dans les agendas de Jean-François Lemaire. Ainsi, avait-il rendez-vous le 28 août 1967 avec Fernand Aldorf, le notaire qui, six ans plus tard, établira l’acte d’abandon de Martine Duhamel. Et que penser du rendez-vous du 22 août 1964 avec le fondateur de la FAF, Dominique Crétin ? Ou de celui du 12 juillet 1961, avec François Delmas, notaire, illustre maire de Montpellier, dont les liens supputés avec Henriette Dauchez-Malle interrogent.
Et puis, il y a cet autre notaire, qui a réalisé les actes d’achat du 97, rue du Bac : maître Dauchez. Etait-il de la famille de «l’entremetteuse» ? Il y a cette étrange confidence, faite par Jean-François Lemaire à la fin de sa vie, lorsqu’il décrit à sa fille adoptive le regard de Martine Duhamel, qu’il n’est pas censé connaître : «Ta mère avait des yeux bleus, d’un bleu profond.» Il y a surtout, sur une copie du jugement d’adoption, datée de mars 2000, le nom de celui qu’Inès Chatin désigne comme l’un de ses agresseurs : l’avocat François Gibault, qui demeure mutique sur ce point. Il y a enfin cette sépulture monumentale, celle d’Henriette Dauchez-Malle, installée non loin de celle d’un autre agresseur nommé par la plaignante, l’académicien Jean-François Revel, au cimetière parisien du Montparnasse. «Trop de coïncidences», ironise Inès Chatin, persuadée que pour comprendre son histoire, il reste de nombreux fils à connecter.
(1) Le prénom a été modifié.
Les hommes de la rue du Bac (3/6) : pour Inès Chatin, dix ans de violences sexuelles et des décennies de silence
Chez Inès Chatin, la plupart des émotions sont enfouies. Rester impassible, ne rien laisser deviner de la douleur endurée, c’est précisément ce que lui demandaient ses agresseurs en la violant avec des objets. Subir en silence, c’est aussi ce qu’elle s’est efforcée de faire pour protéger sa mère, Lucienne. Car dans son huis clos familial, un schéma pervers a longtemps eu cours : pour attiser la culpabilité de ses deux enfants – Inès Chatin a un grand frère, également adopté – et les asservir, leur père adoptif, le médecin Jean-François Lemaire, s’acharnait sur son épouse. «Si on posait une question, c’est maman qui prenait», en cauchemarde encore Inès Chatin. Elle reste hantée par le soir où Lemaire l’a projetée dans le grand escalier de leur domicile, situé au 97, rue du Bac.
Emmurée dans ce mécanisme, elle n’a pu interroger ses origines et verbaliser son passé qu’après le décès de Lucienne, en mai 2021 : «Il a fallu que maman meure pour qu’elle soit enfin en sécurité. Sans cela, je me serais sûrement tue», murmure-t-elle. A cela, il faut ajouter qu’en ayant été la victime directe des amis les plus intimes de son père adoptif, qu’elle a continué de côtoyer à l’âge adulte – certains étaient invités à son mariage en 1997 –, elle leur est restée psychologiquement assujettie.
Près de trente-cinq ans après, Inès Chatin accepte à grand-peine de décrire les scènes les plus crues de son enfance. Libération a pu l’éprouver lors des soixante heures d’entretien réalisées à ses côtés, dans les locaux de ses avocats, Marie Grimaud et Rodolphe Costantino. Si certains traumatismes de son enfance et adolescence semblent aujourd’hui apprivoisés, il suffit parfois d’évoquer un nom, un lieu, un objet, pour en voir certains se réactiver violemment. Elle se recroqueville, son élocution ralentit, allant parfois jusqu’à fixer le sol, mutique. En un instant, Inès Chatin redevient à 50 ans la petite fille qu’elle était rue du Bac.
«Jusqu’au dernier moment, j’ai pensé ne pas y arriver»
Le psychologue Jean-Luc Viaux, qui l’a longuement expertisée à la demande de ses avocats, constate qu’Inès Chatin souffre d’un «trouble de stress post-traumatique complexe», dont les manifestations oscillent entre «plaques sur la peau, angoisse se traduisant par des crises respiratoires, claustrophobie, peur persistante et honte». Si elle a pu se construire une vie familiale et sociale «normale» – elle est mariée et a deux enfants –, c’est, selon Jean-Luc Viaux, «au prix d’une dissociation d’avec la souffrance psychique venue de son enfance». Pour autant, l’expert estime «qu’elle n’a pas souffert d’une amnésie traumatique», et que son incapacité à donner des dates précises – comme de nombreuses autres victimes d’actes du même type – «ne doit pas pour autant invalider les souvenirs qu’elle a de ces agressions». Il en conclut : «Le traumatisme complexe, les éléments dissociatifs, anxio-phobiques et la souffrance vécue (réminiscences, difficultés mnésiques…) n’altèrent pas son rapport à la réalité, ou sa capacité à gérer les relations sociales. Il s’agit de troubles qui la font davantage souffrir dans son rapport à elle-même. Sa vie de femme, de mère, et ses activités professionnelles témoignent d’une résilience partielle, malgré une souffrance psychique qu’elle a supportée faute de pouvoir parler.»
Lors du dépôt de plainte qu’elle a effectué le 14 décembre 2023 auprès de l’Office des mineurs (Ofmin), long de plus de sept heures, elle a d’ailleurs pavé son récit de détails extrêmement précis, qui ont retenu l’attention des policiers. Depuis quelques semaines, les enquêteurs dissèquent également, dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris, les milliers de pages de documents qu’elle a versés à l’appui de ses déclarations, tous certifiés par huissier. Pour Inès Chatin, ce premier témoignage marathon devant la justice fut un Everest : «Jusqu’au dernier moment, j’ai pensé ne pas y arriver. Puis, en arrivant, j’ai vu les gardes qui surveillent le bâtiment avec des pistolets-mitrailleurs. Là, je me suis dit “C’est bon, je suis en sécurité, je peux enfin raconter.”»
Eu égard à l’extrême violence des scènes rapportées par Inès Chatin, il a été convenu, avec elle et ses avocats, de ne pas en rapporter certaines à la première personne du singulier. Libération s’appuiera donc sur les déclarations figurant sur le procès-verbal de dépôt de plainte. Pour comprendre les faits qu’elle dénonce, il faut distinguer deux types d’événements : ceux commis par un groupe d’hommes sur plusieurs enfants simultanément, qui sont les plus anciens. Et les viols commis sur la seule personne d’Inès Chatin par Claude Imbert et Gabriel Matzneff, à un âge plus avancé. Nourrie par deux années d’échanges avec ses conseils et des membres de sa famille, et après une plongée minutieuse dans les archives exhumées du 97, rue du Bac, sa plainte fait état de crimes qui pourraient s’étirer de 1977 à 1987. Soit, pour Inès Chatin, de ses 4 à ses 13 ans. Son frère Adrien (1), qui n’a pas souhaité voir son cas personnel évoqué par Libération, s’est associé au récit des faits qui vont suivre, relatés par sa sœur, en paraphant et en annotant une lettre, aujourd’hui en possession des policiers de l’Ofmin.
«Ils apportaient des objets comme s’il y avait une soirée à thème»
Selon Inès Chatin, la première séquence des violences débute à une période où elle n’habite pas encore au 97, rue du Bac. En 1974, lorsqu’elle est adoptée par le couple Lemaire, ses parents n’occupent pas encore le mirifique appartement du premier étage, mais logent dans l’un des entresols de l’immeuble, pour cause de travaux. Les enfants, eux, sont hébergés «à quelques minutes à pied», rue de Varenne, avec leur nurse. Surnommée «Zazelle» (contraction de mademoiselle), cette dernière est aujourd’hui décédée. La mère ne venait jamais dans cet appartement. A cette époque, Lucienne ne voyait ses enfants que la journée, dans des parcs, surtout celui du musée Rodin, dont Inès Chatin dispose de souvenirs très précis. Le soir venu, Lucienne partait dormir chez sa sœur, comme cette dernière le confiera plus tard à sa nièce adoptive. Pourquoi ce mode de vie séparé ? Selon François Gibault, cet arrangement tenait à la nature de l’union des époux Lemaire : un «mariage blanc», destiné à masquer l’homosexualité du docteur aux yeux d’un microcosme catholique et ultraconservateur. L’avocat a fait cette confidence à Inès Chatin en 2022, chez lui, dans son hôtel particulier de la rue Monsieur (VIIe arrondissement), peu après les aveux de son père adoptif, qu’elle avait longuement interrogé à l’Ehpad. Toutefois, il n’était pas question d’homosexualité dans la bouche de Jean-François Lemaire, mais de pédocriminalité, dont il justifiait, avec un détachement glaçant, le bien-fondé, sans s’excuser une seule seconde.
C’est dans ce contexte que les premiers crimes ont débuté en 1977. En fin de journée, parfois après l’école – elle se rappelle précisément y être allée avec un cartable –, Inès Chatin était emmenée dans un troisième lieu, un appartement, situé au 33 ou 35, rue de Varenne : «Cet appartement n’était pas meublé comme un lieu de vie. Il y avait de l’espace. Certaines fois, on nous emmenait après l’école. Il y avait un temps avant l’arrivée des hommes. D’autres fois, les hommes étaient déjà là. Zazelle nous emmenait là-bas, elle nous laissait là-bas», explique-t-elle aux enquêteurs. Débutait alors ce qu’elle nomme «des jeux» : un enchaînement d’atteintes sexuelles sordides sur des enfants. Dans son souvenir, les enfants étaient à peu près aussi nombreux que les hommes présents, environ cinq ou six. Il y avait plus de garçons que de filles. Les premiers étaient blancs de peau, alors que les secondes étaient «toutes métissées ou d’autres origines» d’après Inès Chatin. Avant le début de ces «jeux», elle devait ingurgiter une «boisson blanchâtre» (probablement un décontractant musculaire), qui «donnait une impression d’ivresse, comme si on flottait. Mais surtout, ça faisait mal au cœur». Inès Chatin précise encore que les enfants devaient se déshabiller, «mais pas totalement, que le bas». Quant aux hommes, «ils avaient le visage masqué avec sur eux une sorte de cape ou de manteau». Des apparats dont elle ne peut donner la signification.
Les participants – qu’elle ne peut tous identifier, et qui n’étaient pas forcément les mêmes d’une séance à l’autre – arrivaient munis de divers objets métalliques. Avec, ils réalisaient des actes de pénétrations sur les enfants, en les encerclant chacun leur tour, mais sans contact physique : «Ils apportaient des objets comme s’il y avait une soirée à thème. [...] Ils les utilisaient pour tester la résistance à la douleur de nos endroits intimes», rapporte Inès Chatin. Parmi eux, des pièces d’argenterie, ainsi qu’un exemplaire très particulier de coupe-papier de la marque Christofle, créé par le sculpteur Jean Filhos. Sur son bas-relief (les pénétrations étaient effectuées avec ce manche), des femmes dénudées sont représentées dans une scène orgiaque, inspirée de ce passage des Métamorphoses d’Ovide, que le groupe d’hommes proches de Jean-François Lemaire appelait «le roman des romans» : «C’était l’époque de la traditionnelle célébration triennale des mystères de Dionysos par les jeunes femmes de Sithonie, la nuit est la confidente des mystères.»
«Ces gens-là sont dans mon enfance tout le temps»
Cet objet incarne la quintessence de la soumission pour Inès Chatin. Selon elle, ceux qui en détenaient un exemplaire – elle cite Claude Imbert et François Gibault (ce dernier dément en avoir possédé un) – le laissaient sciemment en majesté sur leurs bureaux, notamment son père adoptif et Claude Imbert. «Quand cet objet est dans la pièce, je suis incapable de dire un mot», admet-elle encore aujourd’hui. L’exemplaire que possédait Jean-François Lemaire, retrouvé rue du Bac après son placement à l’Ehpad, a été récupéré par ses avocats (il est stocké au cabinet), qui en ont fait des photographies transmises à l’Ofmin. «En révélant l’existence de cet objet à l’autorité judiciaire, notre cliente se libère de son avilissement et désarme symboliquement ses agresseurs», observe son avocate Marie Grimaud. Dans son expertise, le psychologue Jean-Luc Viaux souligne lui aussi la très forte notion «d’appartenance» à ces hommes développée par Inès Chatin, en raison de ce sinistre processus d’objetisation.
S’il lui est impossible de donner avec certitude une notion de fréquence de ces «jeux», Inès Chatin implique plusieurs participants : le fondateur du Point, Claude Imbert, son père adoptif, Jean-François Lemaire, l’ex-patron de l’Express Jean-François Revel, l’écrivain Gabriel Matzneff et l’avocat François Gibault. «Ces gens-là sont dans mon enfance tout le temps, pas seulement de Varenne, détaille-t-elle. Ils s’invitaient perpétuellement à la maison ensuite, rue du Bac.» Pour eux, l’identification se fait donc sur le timbre de voix, le regard, la démarche, la corpulence, mais aussi les odeurs.
Quasiment borgne de l’œil gauche depuis un vieil accident de la route, son père adoptif est ainsi aisément reconnaissable, même sous un masque. Idem pour Claude Imbert, intime de Jean-François Lemaire depuis le lycée Carnot, et qui passerait presque pour un oncle. «Gibault, Matzneff, Revel, c’est les récurrents, ajoute-t-elle en audition à l’Ofmin. C’est ceux-là les plus faciles à reconnaître. Matzneff, il a un côté lisse et féminin. Revel, lui, est très lourd, sent mauvais, transpire beaucoup [elle le surnomme «l’Ogre», ndlr]. Ils pourraient mettre 40 capes et masques, que je les reconnaîtrais.» Sur Gibault enfin, elle ne donne pas de caractéristiques physiques aux enquêteurs, mais assure à Libération l’avoir identifié en raison de son physique «malingre», presque «chétif». «Il était plus petit que tous les autres», ajoute-t-elle. Si Gabriel Matzneff n’a pas donné suite à nos sollicitations, François Gibault nie en revanche toute implication dans des faits de nature sexuelle, et juge «inexact» le récit d’Inès Chatin. Sans pouvoir les mêler formellement aux mêmes agissements, la plaignante dispose de souvenirs sensoriels de l’ex-directeur de la banque Worms Claude Janssen et de «la voix rauque» de l’architecte italien Ricardo Gaggia. Les deux sont décédés. «Eux, je sais qu’ils étaient parfois là, explique-t-elle. Mais je n’ai aucune image d’eux me faisant directement du mal.»
«Ils nous scrutaient, comme s’ils voulaient voir à travers nous»
A compter de 1980, ces «jeux» vont s’interrompre. Les travaux du 97, rue du Bac achevés, les Lemaire et leurs enfants vont enfin s’installer au premier étage, dans les magnifiques salons littéraires qu’occupait autrefois la princesse de Salm. D’autres pratiques, elles, vont naître, comme les étranges «présentations» en clôture des «dîners du lundi». Ces gueuletons resserrés vont essentiellement concerner les plus intimes de Jean-François Lemaire, dont ceux qu’Inès Chatin désigne comme ses agresseurs. La petite fille était alors invitée à patienter dans le salon, le temps que le repas soit fini. Ensuite, elle devait monter, parfois avec son frère, en pyjama et robe de chambre, se présenter aux invités dans une pièce très particulière du 97, rue du Bac, qu’elle nomme «la cabine de bateau». Ovale et asphyxiante, elle reproduit l’intérieur d’une cabine de navire, avec hublots et carte marine accrochée au mur.
C’est d’ailleurs sous cette carte, qu’elle trouvera, entre autres, les livres dédicacés de Matzneff à son père adoptif, ainsi qu’un exemplaire du livre de dialogue entre Jean-François Revel et l’un de ses fils, le moine bouddhiste Matthieu Ricard, le Moine et le Philosophe. Une fois devant les hommes, qui la regardaient intensément – «ils nous scrutaient, comme s’ils voulaient voir à travers nous» –, Inès Chatin devait répondre à des questions d’apparence banale, comme «qu’aimes-tu à l’école», «qu’as-tu fait aujourd’hui ?» Puis, passé quelques minutes, les hommes quittaient la pièce ensemble par une porte dérobée, qui débouchait directement sur le grand escalier de l’immeuble. Inès Chatin se dit incapable d’expliquer le sens de ce cérémoniel. Etait-ce une présentation de l’enfant dans le but d’une «rencontre» ultérieure ? Ou ces hommes venaient-ils simplement chercher une certaine excitation sexuelle ?
Et puis, jusqu’en 1987, Inès Chatin décrit les viols perpétrés individuellement par Claude Imbert et Gabriel Matzneff, de manière plus ou moins régulière. Avec l’écrivain, qui s’invitait régulièrement à déjeuner, les viols avaient lieu à l’hôtel Pont Royal, situé rue de Montalembert, à deux pas de son prestigieux éditeur, Gallimard, et «dans l’entre-deux-portes liant l’entrée et la salle à manger» du 97, rue du Bac. Matzneff se saisissait alors des cheveux crépus de la petite fille, et l’appelait «ma petite chose exotique». Là encore, son père adoptif, dont la profession lui permettait de faire des ordonnances à foison, lui faisait boire le fameux liquide blanchâtre, «qui donnait un effet planant».
Une séance photo en présence de son père adoptif et de plusieurs hommes
Ces scènes plaisaient à Jean-François Lemaire, qui arrivait généralement avant la fin, pour les observer en arrière-plan. D’ailleurs, ce dernier veillait à ce qu’elle n’aille pas chez le coiffeur, afin «de stimuler l’appétit sexuel» de Matzneff, comme le dit aujourd’hui Inès Chatin. Depuis, elle entretient un rapport pathologique à ses cheveux, toujours coupés à ras, quand elle ne porte pas un bandana ou un chapeau. En parallèle, Inès Chatin dit aussi avoir été victime de viols réguliers de Claude Imbert, perpétrés tant au 97 rue du Bac qu’au domicile parisien du fondateur du Point, ainsi que dans sa maison de campagne, située dans la ville suisse de Perroy, sur les bords du lac Léman. Sans qu’elle ne puisse l’expliquer, elle se souvient qu’Imbert et Matzneff l’avait rebaptisée «Agnès».
Enfin, il y eut, rue du Bac, des prises de vue pédopornographiques. Dans les Passions schismatiques, Gabriel Matzneff évoque le rapport des pédocriminels aux images d’enfants en ces termes : «Aimer les très jeunes, c’est kidnapper l’instant, vivre l’instant. Si les pédérastes sont souvent des fanatiques de la photo, c’est parce que celle-ci donne l’illusion de fixer le temps, d’opérer l’alchimie qui transmute le fugitif en éternité.» Une séance, qui l’a particulièrement choquée, s’est déroulée dans la cuisine de l’appartement, en présence de Jean-François Lemaire et de plusieurs autres hommes. Vêtue d’une simple chemise de nuit où il était écrit «Bonne journée» devant et «Bonne nuit» derrière, la petite Inès a dû se plier à des poses suggestives et dénudées.
L’un des rares clichés de cette séance où elle pose habillée finira en une de l’édition du 11 février 1982 d’Impact médecin, un magazine médical dont Jean-François Lemaire assure alors la rédaction en chef. A l’intérieur, un écrivain est mis à l’honneur : Gabriel Matzneff. Sa chronique commence par ces mots : «Dans l’avion Paris-Bombay-Bangkok-Manille, je suis envahi une nouvelle fois par cet exquis sentiment d’invulnérabilité qui m’habite dès lors que je pars en voyage. Sensation absurde peut-être, mais toute-puissante, d’être hors d’atteinte. Les ennuis riment avec Paris.»
Il faut attendre la période 1986-1987, et les 13 ans d’Inès Chatin, pour que cessent définitivement les crimes sexuels. C’est aussi la date à laquelle Gabriel Matzneff va entamer sa relation d’emprise avec Vanessa Springora, l’autrice du Consentement. Interrogé par sa fille à l’Ehpad, Jean-François Lemaire lui en expliquera la raison de vive voix : à partir de 12-13 ans, les corps des garçons et des filles se différencient, et perdent l’apparence glabre qui sied tant aux pédocriminels. Délivrée mais brisée, Inès Chatin tente d’attirer l’attention des professeures de son collège, en se scarifiant les jambes avec des fléchettes d’un jeu offert par son parrain. «J’avais en tête l’idée – que j’ai depuis toute petite– que l’une d’elles pourrait me prendre avec elle, pour m’offrir une nouvelle famille», confie-t-elle. Le soir même, Jean-François Lemaire jettera son épouse dans l’escalier en représailles. Comme un serment qu’il ne faudrait jamais recommencer.
(1) Le prénom a été modifié.
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