Après la débâcle, l’amorce de la discorde à La France insoumise
Le chef de file de La France insoumise Jean-Luc
Mélenchon et la tête de liste LFI aux européennes Manon Aubry après
l’annonce des résultats des élections européennes le 26 mai 2019 à Paris
De premières voix discordantes s’élèvent en public, mais les
principaux cadres de La France insoumise, éreintée dimanche par la
division par trois de son score entre les élections présidentielle et
européennes, resserrent pour l’instant les rangs autour de Jean-Luc
Mélenchon.
Chez Les Républicains, autres grands perdants du scrutin de dimanche,
le débat est parti sur les chapeaux de roue. Mais chez LFI, malgré un
score tombé à 6,31% dimanche, loin des 19,58% de Jean-Luc Mélenchon à la
présidentielle de 2017, rien n’a filtré de la réunion du groupe
parlementaire du mardi matin, le principal lieu de discussion
stratégique.
« Ca s’est bien passé, chacun a pu s’exprimer sur ce qu’il pensait de
la campagne », se contente de dire à l’AFP le député Eric Coquerel, par
ailleurs coordinateur du Parti de gauche, composante fondatrice de LFI.
La députée Clémentine Autain a pourtant ouvert le débat, dès dimanche
soir puis les jours suivants: « Ce qui est en cause, c’est la ligne
politique de LFI », a-t-elle attaqué dans les médias. Elle a aussi
déploré « la récurrence de formulations » visant à « cliver », ainsi que
« des murs » dressés « là où il aurait davantage fallu chercher à
construire des passerelles ».
D’autres reproches ont surgi sur les réseaux sociaux, venant par
exemple de Manon Le Bretton, responsable de l’Ecole de formation
insoumise: « Épuisée par cette campagne. Pas tant par l’énergie déployée
sur le terrain, que par les désaccords et alertes que j’ai exprimés en
interne quant à la ligne adoptée, qui abandonnait le travail remarquable
engagé en 2017″, a-t-elle tweeté. « Je pleure d’avoir eu raison, avec
d’autres. »
Elle fait notamment allusion au manque de structures de décision
collective sur la stratégie, qui s’est soldé par plusieurs départs.
« Cet échec doit amener LFI à se régénérer » autour d’une « ligne
co-construite avec les militants », résume auprès de l’AFP un candidat
aux européennes.
- « Illisible » -
Selon un cadre insoumis, « ça tangue déjà » mais « rien ne se dessine
clairement ». Il prévient: « Soit les dirigeants ont une réaction
intelligente pour repenser le mouvement » de manière aussi démocratique
que ses idéaux, « soit LFI se +cornérise+ encore plus ».
Pour l’instant, les lieutenants de M. Mélenchon sont plutôt montés au
créneau pour relativiser la défaite. Le député Alexis Corbière a
déploré que Clémentine Autain soit « allée à la radio avant qu’on ne se
réunisse », taclant: « Ca ne sert à rien de chercher à tirer son
aiguille personnelle ».
LFI n’a certes « pas su montrer à ceux qui souffrent du système que
l’enjeu était tel qu’il fallait se déplacer et voter pour nous », mais
« c’est une élection qui est très dure pour nous, où notre électorat
populaire s’abstient considérablement », a déclaré Eric Coquerel.
« C’est du pipeau! C’était un scrutin national, un point de passage
vers la présidentielle », cingle François Cocq, ancien orateur national
LFI congédié d’un tweet par Jean-Luc Mélenchon en janvier, mais qui
entend continuer à militer. Il critique la stratégie d’ouverture à
gauche de LFI, qui a par exemple accueilli à l’automne une partie de
l’aile gauche du PS: « On a préféré, en vue des élections locales à
venir, retourner à la tambouille. Les municipales vont être une pagaille
incroyable pour LFI qui sera illisible ».
« On n’est pas dans les guéguerres personnelles, tout le monde a le
droit de s’exprimer », assure à l’AFP Muriel Ressiguier, une autre
députée. Cependant, « on s’est dit qu’il ne fallait pas réagir à chaud,
chacun va réfléchir ».
L’éventuel impact de la colère médiatisée de M. Mélenchon durant les
perquisitions au siège de LFI en octobre? « D’habitude, ce qui se passe,
c’est que tout le monde la ferme, ça ne discute pas », croit savoir un
ancien du mouvement, pour qui « Mélenchon envoie bouler (toute personne
critique), qu’il classe ensuite comme pas fiable ».
Même dans les troupes à la base, « l’analyse est assez pauvre »,
témoigne un militant nordiste qui amorce une prise de recul, critiquant
des décisions « de plus en plus opportunistes » de M. Mélenchon et ses
proches. Il soupire: « Les militants ont été enfermés et s’enferment
eux-mêmes dans un honneur militant, donc ils obéissent ».
Abandonner le populisme, sortir de la dépendance à Mélenchon… Après
les européennes, les « Insoumis » s’interrogent sur leur avenir
Avec 6,31% des voix, La France insoumise a échoué, dimanche, à
s’imposer comme la troisième force politique du pays et son leader fait
l’objet de nombreuses critiques en interne.
Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry lors d’un discours
adressé aux militants de La France insoumise, le 26 mai 2019 à Paris, au
soir des élections européennes. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)
Elle n’a attendu que quelques heures avant de tirer la première. Dans un entretien publié lundi 27 mai par L’Obs, Clémentine Autain accuse la « ligne politique » de La France insoumise (LFI) d’être à l’origine de la débâcle survenue la veille, lors des élections européennes :
avec 6,31% des voix, la formation n’a pas réussi à émerger comme la
troisième force politique du pays, se retrouvant même derrière
Les Républicains, affaiblis comme jamais.
Trop de « formulations » visant à « cliver », « de murs » érigés « là où il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles »…
La députée « insoumise » de Seine-Saint-Denis ne ménage pas ses
critiques, y compris contre la direction du parti, accusant en creux
Jean-Luc Mélenchon de faire preuve d’autoritarisme dans le
fonctionnement du mouvement.
J’ai posé la question du pluralisme et de la démocratie interne il y a
plus d’un an. Cela avait été très fraîchement accueilli à l’époque. On
nous avait promis des changements à l’été, un meilleur fonctionnement de
l’espace politique… Mais rien n’a été fait en ce sens.Clémentine
Autainà « L’Obs »
Les reproches de Clémentine Autain sonnent d’autant plus fort dans le mouvement qu’à la différence des Républicains, qui ont mis directement en cause Laurent Wauquiez dès la publication des résultats, les « Insoumis » ont serré les rangs dimanche soir. La consigne est alors de « ne pas faire d’autocritique », selon les informations du Monde. Devant des militants réunis dans un bar parisien, Jean-Luc Mélenchon concède tout juste que son camp doit « assumer [ses] responsabilités ». « C’est l’heure des combats et des caractères », lâche-t-il encore d’une voix lasse.
Malgré l’unité de façade affichée au soir des élections, la débâcle
des européennes suscite pourtant de profondes interrogations sur
l’évolution du mouvement.
Populisme ou gauche radicale ?
Deux camps se font face et se reprochent mutuellement d’avoir
précipité l’échec de la campagne de Manon Aubry. L’un prône un retour
aux fondamentaux de la campagne présidentielle, avec un discours
populiste débarrassé de toute référence à la gauche – « Je pense que ces forces politiques ont été sanctionnées, balayées », a notamment estimé Alexis Corbière sur BFMTV mardi
soir. En se recentrant sur le dégagisme et la mise en place d’une
VIe République moins présidentielle, ce camp espère séduire les
abstentionnistes et les « gilets jaunes », qui rêvent de référendum
d’initiative citoyenne et de démocratie directe.
Le camp d’en face, incarné par Clémentine Autain, plaide de son côté
pour un positionnement de gauche radicale assumé, avec de possibles
ouvertures. « Cela suppose évidemment d’avoir des partenaires et de faire vivre le pluralisme », précise la députée à L’Obs. »C’est
exactement ce qui a été fait avec Manon Aubry [ex-porte-parole de l'ONG
Oxfam, désignée tête de liste aux européennes]« , réplique
froidement l’ancienne porte-parole Raquel Garrido, toujours proche du
mouvement, dans une vidéo diffusée sur le site de Regards. « Fondamentalement, la ligne Autain a été mise en œuvre [et] elle a pris 6% », tâcle-t-elle.
« Ce n’est jamais le bon moment pour discuter »
Au-delà du positionnement politique, les discussions portent de plus
en plus sur l’organisation du mouvement et sur l’opacité de son
fonctionnement, basé sur la garde rapprochée qui entoure Jean-Luc
Mélenchon. « Que ce soit la ligne ou la stratégie… Ce n’est jamais le bon endroit ou le bon moment pour discuter », résume un ancien « Insoumis », interrogé par franceinfo. « Nous sommes mis devant le fait accompli. Quand Jean-Luc a annoncé sa proposition de fédération populaire [des échanges entre militants en dehors des appareils], tous les militants de LFI et la quasi-totalité des cadres l’ont appris dans Libération.«
Ces critiques font écho aux départs contraints ou spontanés des
derniers mois. Au mois de janvier, par exemple, Jean-Luc Mélenchon
annonce sur Twitter le « bannissement » de son « orateur national », François Cocq. Dans un courrier adressé à la direction, révélé par Le Monde, plusieurs cadres dénoncent alors la « brutalité » de cette annonce publique et insistent sur la nécessaire »diversité » des personnalités »fidèles » au programme. L’affaire renforce encore l’image d’un dirigeant retranché derrière un état-major resserré. Un reproche balayé en avril par Jean-Luc Mélenchon, dans Libération.
LFI, c’est 4 000 comités qui fonctionnent en autonomie. Le temps long
est géré par le siège du mouvement, avec des campagnes nationales
décidées par les adhérents. Le groupe parlementaire gère le temps court
des réactions à l’actualité.Jean-Luc Mélenchonà « Libération », en avril
Le fonctionnement était déjà « vertical » au moment de la
présidentielle, assure un cadre à franceinfo, tout en précisant que
l’équipe du dirigeant était alors davantage étoffée : cela « offrait davantage de possibilités pour un débat contradictoire ». Lors de ces européennes, ce cercle »s’est réduit et le fonctionnement s’est opacifié », déplore-t-il.
Les perquisitions ont eu « un impact négatif »
Ces élections ont également constitué un test sérieux pour Jean-Luc Mélenchon, après l’épisode des perquisitions d’octobre menées au siège de LFI
et chez certains de ses responsables. Les images de son coup de sang
avaient tourné en boucle et 59% des Français interrogés alors par l’Ifop
retenaient l’adjectif « inquiétant » pour qualifier le dirigeant, soit une hausse de 21 points par rapport au mois d’avril 2017. « Une véritable rupture d’opinion », analysait l’institut de sondage, évoquant un phénomène « très rarement observé (…) s’agissant d’une personnalité politique ».
« C’était sans doute l’objectif, mais ces perquisitions ont
peut-être eu un impact négatif. Cela nous a affectés collectivement »,
reconnaît Sergio Coronado, ex-député écologiste passé sous la bannière
LFI en 2017. Un autre candidat aux européennes interrogé par franceinfo
ajoute que les militants ont « senti l’onde de choc qui a suivi l’épisode, augmentée en partie par les médias ». Ceux-ci ont parfois « été
confrontés à des réactions récurrentes sur le terrain, sur les marchés.
Ils ont constaté que cela avait fait du tort à Jean-Luc Mélenchon », figure presque exclusive du mouvement pour de nombreux Français.
L’émergence de nouvelles personnalités prend du temps et la jeune
génération incarnée par Adrien Quatennens ou Mathilde Panot peine encore
à se faire un nom auprès du grand public. Un ancien cadre de LFI juge
avec sévérité cette situation, accusant Jean-Luc Mélenchon d’absorber
toute la lumière médiatique.
Jean-Luc Mélenchon a systématiquement tenu à l’écart les profils
susceptibles de lui faire de l’ombre. Citez-moi un quinquagénaire
médiatique, hormis Alexis Corbière, d’une totale loyauté ?Un ancien
cadre de LFIà franceinfo
Danielle Simonnet, de son côté, estime que le dirigeant a toujours « favorisé l’émergence de nouvelles figures » dans le groupe qu’il préside à l’Assemblée. « Adrien Quatennens s’est illustré dès le début de la loi Travail, tout comme Mathilde Panot sur les questions écologistes », rappelle la coordinatrice du Parti de gauche. Suffisant ? « A l’heure actuelle, le mouvement ne repose plus que sur un groupe de 17 élus parlementaires, fait remarquer un cadre. Cela ne leur laisse pas le temps de faire vivre le mouvement. »
« Jean-Luc Mélenchon est le moteur »
Ces thèmes devraient prochainement nourrir les réflexions internes.
Afin de redonner du souffle au projet, Danielle Simonnet plaide pour la
création d’un « espace de coordination » entre les différentes composantes du mouvement (espaces nationaux, groupes d’action locaux…)« toutes les semaines ou tous les quinze jours ». Celui-ci pourrait par exemple accueillir des représentants des députés et eurodéputés du mouvement. « Nous l’avons toujours souhaité et cela devient plus important aujourd’hui », fait valoir l’élue parisienne. En début d’année, cet espace de dialogue avait pourtant été promis « d’ici les européennes » par Manuel Bompard, proche de Jean-Luc Mélenchon à la tête de l’équipe opérationnelle.
Pour autant, hors de question de remettre en cause la position
centrale du tribun. Mais son avenir au sein de LFI pour les prochaines
échéances électorales est, selon Danielle Simonnet, « une fausse question ». L’élection présidentielle « me paraît très très loin », préfère temporiser Sergio Coronado. « Mais
quand on a réuni 19% [au premier tour de la présidentielle de 2017], on
a selon moi des options sérieuses pour être candidat », ajoute l’ancien écologiste, alors que certains imaginent déjà le député picard François Ruffin porter les couleurs de LFI en 2022.
Les proches de Jean-Luc Mélenchon, eux, sont rapidement montés au front.« Il est quand même le moteur de ce que nous faisons, a rappelé Alexis Corbière sur BFMTV.
C’est lui qui a fait émerger ce mouvement nouveau à hauteur de près de
20% [en 2017], c’est lui qui rassemble énormément de gens dans nos
meetings. »« Il n’y a pas de dépendance à Jean-Luc Mélenchon, précise le cadre anonyme contacté par franceinfo. Un mouvement populiste s’appuie justement sur la figure d’un tribun : c’est théorisé et assumé. »
Le NPA n’existe plus, au moins à Brest où ses anciens militants se
retrouvent quasiment tous à LFI, qui à son tour se fait dégager par
l’électeur, la démocratie, le peuple souverain…
Conclusion : partout où ils se présentent, les assassins
d’ingénieurs, Rouillan et toute sa clique terro sont massivement
rejetés, la France dans son ensemble condamne leurs exactions et ne veut
pas davantage de révolution communiste.
Quant au fer de lance et double astrologique Jean-Marc Donnadieu de
Béziers… ne pouvant plus cacher son anxiété, il me visite maintenant
plusieurs fois par jour, cinq pour la seule journée d’hier…
Après le coup de massue des européennes, les insoumis tentent d’analyser leur défaite
27/05/2019 à 20h36 Mis à jour le 27/05/2019 à 23h05
Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry, le soir des résultats
des élections européennes, le 26 mai 2019 – AFP – Geoffroy Van der
Hasselt
Dimanche soir, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a subi une
véritable déroute électorale, recueillant péniblement 6,3% des
suffrages. Un score qui risque d’affaiblir durablement La France
insoumise au sein de la gauche.
Jean-Luc Mélenchon n’en est pas à sa première déconvenue politique.
Sa carrière est parsemée de moments de désillusion, à la suite desquels
l’ancien socialiste a pour habitude de prendre du champ, avant tout pour retrouver le moral.
Dimanche soir, aux européennes, son mouvement La France insoumise (LFI) a subi une véritable déroute électorale,
n’atteignant que 6,3% des suffrages exprimés. Par rapport à l’élection
présidentielle de 2017 et les 19,58% recueillis alors par Jean-Luc
Mélenchon, l’écart est immense. Et ce alors que LFI s’était donné pour
objectif de démontrer son hégémonie sur la gauche. Ou, du moins, sa
position de force, sa cohérence idéologique et sa capacité
d’entraînement populaire.
Changement de braquet
Ce lundi, la plupart des cadres insoumis ont encore du mal à réaliser
ce qu’il s’est produit. La gueule de bois est palpable. Au début de la
campagne, Jean-Luc Mélenchon espérait miser sur son électorat de la
présidentielle, le plus massif, mais aussi le plus friable, le plus
hétérogène.
En cours de route, constatant que les choses ne décollaient pas du
tout, la liste conduite par Manon Aubry a changé de braquet. Désormais,
il fallait viser l’électorat des dernières législatives, celles où LFI
avait recueilli 11,03% des suffrages (avec plus de 50% d’abstention).
« Si on dépasse 10%, c’est bien. Si on est dessous, c’est
une défaite sévère », prévenait un membre de l’entourage du chef auprès
de BFMTV.
Dégagistes victimes du dégagisme
Au final, les insoumis se trouvent très largement dépassés par Europe
Écologie-Les Verts, dont la liste, emmenée par Yannick Jadot, a réalisé
une surprenante percée avec 13,5% des voix.
Un hold-up sur une partie de l’électorat de la gauche (mais aussi du
centre) qui décontenance les proches de Jean-Luc Mélenchon.
« L’électorat LFI ne s’est pas reporté sur le
Rassemblement national, il s’est reporté sur les Verts, sur d’autres
formations politiques. Donc ce ne sont pas des gens qui ont choisi un
vote de colère, ce sont des gens qui, tout simplement, ont arrêté de
voter pour nous, et ont voté pour d’autres, ou n’ont pas voté du tout »,
déclare l’un d’entre eux à BFMTV.
Certains viennent à se dire victimes à leur tour, après l’avoir prôné
durant la campagne présidentielle, d’une forme de « dégagisme »:
« La vague nous a touchés, c’est tout. Les classes
populaires, de toute évidence, on ne leur fait plus envie. On s’est
polarisé sur les gilets jaunes, mais est-ce que les gilets jaunes
représentent toutes les classes populaires? La réponse est non. Et tous ces gens ne se reconnaissent plus chez nous. »
« On en a fait des tonnes, avec les gilets jaunes… »
De cette perplexité ressort le clivage stratégique fondamental qui
perdure au sein de La France insoumise: celui qui sépare ceux qui
entendent fédérer la gauche de ceux qui veulent « fédérer le peuple ».
S’ajoute à cela l’équation personnelle de Jean-Luc Mélenchon, mise à mal
par l’épisode des perquisitions au siège de LFI et de sa réaction
fulminante face aux enquêteurs.
Pour un historique du parti, la défaite de dimanche est une
« conséquence de fautes cumulées: les perquisitions, les distances
prises avec la gauche, le ‘eux et nous’, la haine plutôt que l’espoir ».
Et de poursuivre son diagnostic sans concession:
« Et puis les gilets jaunes, les gilets jaunes, on en a
fait des tonnes, avec les gilets jaunes… Résultat, ils ont voté à 50%
pour le RN, les gilets jaunes! Perméabilité nulle. Le référendum
anti-Macron, c’était surtout bon pour Le Pen. Notre formation est
totalement mise à l’écart. Le maintien du mouvement se pose. »
Les démissionnaires confortés?
Ceux qui ont quitté le mouvement, dont la liste s’est allongée au fil
des mois, jugent aujourd’hui leur choix plus justifié que jamais.
« C’est étonnant de voir à quel point on avait raison.
Après cet effondrement de la FI, il va être très dur de remonter la
pente. L’adoption de la ligne populiste, c’est ce qui nous avait permis
de frôler les 20% à la présidentielle. Cette ligne-là a été abandonnée,
on en voit les conséquences. À l’heure actuelle, la FI est aussi faible
que la droite. C’est une défaite », constate un ancien de la maison
Mélenchon.
Pour cet ex-insoumis, « tous les gains » récoltés en 2017 ont été
perdus. « La structure gazeuse montre ses limites. On n’a aucun endroit
pour parler », déplore-t-il, pointant du doigt la structure atypique du
mouvement. Un sujet de crispation qui a, à maintes reprises, secoué LFI
en interne. Récemment, ce fut à l’occasion du départ tonitruant du politologue Thomas Guénolé. À quelques jours du scrutin, le conseiller régional d’Île-de-France, Andréa Kotarac, a porté l’estocade en quittant LFI pour voter RN. Un symbole dévastateur.
Ruffin se tient à l’écart
Et maintenant, où va-t-on? Difficile d’y voir clair. Le député
électron libre François Ruffin, à qui certains prêtent un conflit
d’ambitions avec Jean-Luc Mélenchon, compte bien préserver son
autonomie. Notamment à l’Assemblée nationale, où il planche sur divers
dossiers, comme la privatisation d’Aéroports de Paris, objet d’un
référendum d’initiative partagée. Son entourage assure auprès de BFMTV
qu’il se tient bien à l’écart du bilan des européennes.
Un proche du mouvement résume bien l’impasse dans laquelle se trouve désormais le mouvement:
« Si on avait été à 9, 10%, c’aurait été une bonne
occasion de remettre sur la table des débats qu’on n’a pas eus depuis
deux ans, de changer de ligne, de faire évoluer notre offre. Mais avec
6%, qu’est-ce que tu veux faire évoluer? »
Résultats européennes 2019 : après la débâcle de LFI, Clémentine Autain remet en cause « la ligne politique » du parti
La députée de Seine-Saint-Denis est l’une des rares élus LFI à critiquer la ligne adoptée par Jean-Luc Mélenchon.
Clémentine Autain sur le plateau de France 2, le 24 janvier 2019. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)
Pour Clémentine Autain, c’est « la ligne politique » de La France insoumise « qui est en cause » après la débâcle subie par son parti lors des élections européennes. Dans une interview accordée à l’Obs (article payant),
la députée de Seine-Saint-Denis tire des leçons après ce scrutin et
s’en prend à Jean-Luc Mélenchon, déplorant l’accente mis sur « le ressentiment » et le « clash » depuis deux ans.
L’état d’esprit polémique et clivant a sans doute pris le dessus sur
la mise en avant de notre vision du monde et de nos propositions. Or
notre famille politique prospère quand elle s’appuie sur le ressort de
l’espérance et non sur celui de la haine.Clémentine Autainà l’Obs
Pour Clémentine Autain, si LFI a récolté 6,31% des voix, loin des
19,58% obtenus par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection
présidentielle, c’est parce que ses électeurs « ont été désarçonnés ou mécontents de la proposition politique qu’on leur a faite ». En 2017, « on avait eu un Mélenchon rassembleur » qui « avait réussi à faire le plein au sein de la gauche radicale et à capter un électorat déçu du PS » mais « ce capital politique s’est érodé », juge-t-elle. « La séquence des perquisitions », menées en octobre au siège de LFI et au domicile de Jean-Luc Mélenchon « a évidemment pesé mais ce n’est pas le seul paramètre ».
« Des murs » plus que « des passerelles »
La parlementaire déplore « la récurrence de formulations » visant à « cliver » ainsi que les « murs » dressés « là où il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles ». Elle cite pour exemple le « Manifeste pour l’accueil des migrants », publié en septembre par l’hebdomadaire Politis, Mediapart et la revue Regards qu’elle co-dirige. Jean-Luc Mélenchon et a fait le choix « d’entrer en opposition frontale avec les signataires » de ce texte, accuse-t-elle.
Cela veut-il dire que Jean-Luc Mélenchon n’est plus candidat naturel de LFI pour la présidentielle de 2022 ? « Ce
n’est pas le sujet. La discussion que nous devons avoir, c’est quelle
stratégie et comment on se met en mouvement pour reconstruire une
perspective de transformation sociale et écologiste », répond Clémentine Autain.
Et d’ajouter : « j’ai posé la question du pluralisme et de la
démocratie interne il y a plus d’un an. Cela avait été très fraîchement
accueilli à l’époque. On nous avait promis des changements à l’été, un
meilleur fonctionnement de l’espace politique… Mais rien n’a été fait en
ce sens ».
Mais où sont passés les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ?
Entre démobilisation électorale et désaveu politique, la sentence
infligée à La France insoumise est terrible. Simple accident ou
crépuscule du mouvement ?
Modifié le 28/05/2019 à 11:28 – Publié le 28/05/2019 à 07:31 | Le Point.fr
Plus qu’un doute, c’est un désaveu clair et massif. Avec seulement 6,31 % des suffrages exprimés (soit 1 428 386 votes), La France insoumise n’arrive qu’en cinquième position de ces élections européennes, derrière les listes RN, LREM-MoDem, Europe
Écologie et Union droite-centre. Il s’agit là d’un coup dur à encaisser
pour un mouvement politique qui aimait jusqu’alors se présenter comme
la première force d’opposition à Emmanuel Macron – en dépit d’un groupe
de parlementaires restreint. Même sur ses terres marseillaises, le
leader de La France insoumise n’a pas su convaincre : sa liste conduite
par Manon Aubry ne
récolte qu’un petit 8,2 %, guère plus convaincant que son score
national. Qu’est-il arrivé à La France insoumise ? L’électorat de
Jean-Luc Mélenchon se serait-il évaporé ? Les Insoumis seraient-ils
lassés ?
D’après l’étude Ifop-Fiducial du 27 mai 2019, près de 53 % des
électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle
sont restés chez eux dimanche dernier, un record de démobilisation
électorale, à rebours de la forte mobilisation hexagonale.
Cette démotivation des électeurs insoumis pourrait s’expliquer par la
mauvaise séquence politique spectaculaire que vient de traverser
Jean-Luc Mélenchon, perquisitionné dans le cadre de l’enquête sur le financement de sa campagne.
L’électorat de Jean-Luc Mélenchon s’est transféré vers d’autres listes de gauche.
Si la passion des électeurs insoumis semble s’étioler, elle
n’explique qu’en partie l’effondrement du mouvement dans les urnes, dont
le score de la présidentielle de 19,58 % des suffrages exprimés a été
divisé par trois (7 059 951 électeurs votant pour Jean-Luc Mélenchon au
premier tour de la présidentielle). Chez les électeurs de La France
insoumise de la présidentielle au premier tour, « seuls 36 % ont
reconfirmé leur choix aux européennes, c’est un niveau très faible »,
commente Fédérico Vacas, directeur adjoint du département politique chez
Ipsos. « La France insoumise n’est pas le seul parti touché par ce
désaveu ; seuls 34 % des électeurs de François Fillon ont voté pour Les
Républicains à ces européennes. » Pour ce spécialiste de l’opinion, il
faut aussi prendre en compte l’éclatement de la gauche en quatre listes
contre seulement deux lors de la présidentielle de 2017 : « Sans
surprise, l’électorat de Jean-Luc Mélenchon s’est transféré vers
d’autres listes de gauche. »
Enfin, le profil de l’électorat de La France insoumise évolue. Les
jeunes, qui représentaient 30 % des voix LFI en 2017, se sont
massivement transférés vers la liste écologiste menée par Yannick Jadot,
arrivé en troisième position. « L’électorat de La France insoumise
s’est rétréci vers son noyau dur. Les classes populaires semblent moins
séduites et la liste réalise ses meilleurs scores avec les professions
intermédiaires et employés », commente Fédérico Vacas. Reste que la
sentence infligée à La France insoumise est terrible.