Après la débâcle, l’amorce de la discorde à La France insoumise
Le chef de file de La France insoumise Jean-Luc
Mélenchon et la tête de liste LFI aux européennes Manon Aubry après
l’annonce des résultats des élections européennes le 26 mai 2019 à Paris
De premières voix discordantes s’élèvent en public, mais les
principaux cadres de La France insoumise, éreintée dimanche par la
division par trois de son score entre les élections présidentielle et
européennes, resserrent pour l’instant les rangs autour de Jean-Luc
Mélenchon.
Chez Les Républicains, autres grands perdants du scrutin de dimanche,
le débat est parti sur les chapeaux de roue. Mais chez LFI, malgré un
score tombé à 6,31% dimanche, loin des 19,58% de Jean-Luc Mélenchon à la
présidentielle de 2017, rien n’a filtré de la réunion du groupe
parlementaire du mardi matin, le principal lieu de discussion
stratégique.
« Ca s’est bien passé, chacun a pu s’exprimer sur ce qu’il pensait de
la campagne », se contente de dire à l’AFP le député Eric Coquerel, par
ailleurs coordinateur du Parti de gauche, composante fondatrice de LFI.
La députée Clémentine Autain a pourtant ouvert le débat, dès dimanche
soir puis les jours suivants: « Ce qui est en cause, c’est la ligne
politique de LFI », a-t-elle attaqué dans les médias. Elle a aussi
déploré « la récurrence de formulations » visant à « cliver », ainsi que
« des murs » dressés « là où il aurait davantage fallu chercher à
construire des passerelles ».
D’autres reproches ont surgi sur les réseaux sociaux, venant par
exemple de Manon Le Bretton, responsable de l’Ecole de formation
insoumise: « Épuisée par cette campagne. Pas tant par l’énergie déployée
sur le terrain, que par les désaccords et alertes que j’ai exprimés en
interne quant à la ligne adoptée, qui abandonnait le travail remarquable
engagé en 2017″, a-t-elle tweeté. « Je pleure d’avoir eu raison, avec
d’autres. »
Elle fait notamment allusion au manque de structures de décision
collective sur la stratégie, qui s’est soldé par plusieurs départs.
« Cet échec doit amener LFI à se régénérer » autour d’une « ligne
co-construite avec les militants », résume auprès de l’AFP un candidat
aux européennes.
- « Illisible » -
Selon un cadre insoumis, « ça tangue déjà » mais « rien ne se dessine
clairement ». Il prévient: « Soit les dirigeants ont une réaction
intelligente pour repenser le mouvement » de manière aussi démocratique
que ses idéaux, « soit LFI se +cornérise+ encore plus ».
Pour l’instant, les lieutenants de M. Mélenchon sont plutôt montés au
créneau pour relativiser la défaite. Le député Alexis Corbière a
déploré que Clémentine Autain soit « allée à la radio avant qu’on ne se
réunisse », taclant: « Ca ne sert à rien de chercher à tirer son
aiguille personnelle ».
LFI n’a certes « pas su montrer à ceux qui souffrent du système que
l’enjeu était tel qu’il fallait se déplacer et voter pour nous », mais
« c’est une élection qui est très dure pour nous, où notre électorat
populaire s’abstient considérablement », a déclaré Eric Coquerel.
« C’est du pipeau! C’était un scrutin national, un point de passage
vers la présidentielle », cingle François Cocq, ancien orateur national
LFI congédié d’un tweet par Jean-Luc Mélenchon en janvier, mais qui
entend continuer à militer. Il critique la stratégie d’ouverture à
gauche de LFI, qui a par exemple accueilli à l’automne une partie de
l’aile gauche du PS: « On a préféré, en vue des élections locales à
venir, retourner à la tambouille. Les municipales vont être une pagaille
incroyable pour LFI qui sera illisible ».
« On n’est pas dans les guéguerres personnelles, tout le monde a le
droit de s’exprimer », assure à l’AFP Muriel Ressiguier, une autre
députée. Cependant, « on s’est dit qu’il ne fallait pas réagir à chaud,
chacun va réfléchir ».
L’éventuel impact de la colère médiatisée de M. Mélenchon durant les
perquisitions au siège de LFI en octobre? « D’habitude, ce qui se passe,
c’est que tout le monde la ferme, ça ne discute pas », croit savoir un
ancien du mouvement, pour qui « Mélenchon envoie bouler (toute personne
critique), qu’il classe ensuite comme pas fiable ».
Même dans les troupes à la base, « l’analyse est assez pauvre »,
témoigne un militant nordiste qui amorce une prise de recul, critiquant
des décisions « de plus en plus opportunistes » de M. Mélenchon et ses
proches. Il soupire: « Les militants ont été enfermés et s’enferment
eux-mêmes dans un honneur militant, donc ils obéissent ».
Abandonner le populisme, sortir de la dépendance à Mélenchon… Après
les européennes, les « Insoumis » s’interrogent sur leur avenir
Avec 6,31% des voix, La France insoumise a échoué, dimanche, à
s’imposer comme la troisième force politique du pays et son leader fait
l’objet de nombreuses critiques en interne.
Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry lors d’un discours
adressé aux militants de La France insoumise, le 26 mai 2019 à Paris, au
soir des élections européennes. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)
Elle n’a attendu que quelques heures avant de tirer la première. Dans un entretien publié lundi 27 mai par L’Obs, Clémentine Autain accuse la « ligne politique » de La France insoumise (LFI) d’être à l’origine de la débâcle survenue la veille, lors des élections européennes :
avec 6,31% des voix, la formation n’a pas réussi à émerger comme la
troisième force politique du pays, se retrouvant même derrière
Les Républicains, affaiblis comme jamais.
Trop de « formulations » visant à « cliver », « de murs » érigés « là où il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles »…
La députée « insoumise » de Seine-Saint-Denis ne ménage pas ses
critiques, y compris contre la direction du parti, accusant en creux
Jean-Luc Mélenchon de faire preuve d’autoritarisme dans le
fonctionnement du mouvement.
J’ai posé la question du pluralisme et de la démocratie interne il y a
plus d’un an. Cela avait été très fraîchement accueilli à l’époque. On
nous avait promis des changements à l’été, un meilleur fonctionnement de
l’espace politique… Mais rien n’a été fait en ce sens.Clémentine
Autainà « L’Obs »
Les reproches de Clémentine Autain sonnent d’autant plus fort dans le mouvement qu’à la différence des Républicains, qui ont mis directement en cause Laurent Wauquiez dès la publication des résultats, les « Insoumis » ont serré les rangs dimanche soir. La consigne est alors de « ne pas faire d’autocritique », selon les informations du Monde. Devant des militants réunis dans un bar parisien, Jean-Luc Mélenchon concède tout juste que son camp doit « assumer [ses] responsabilités ». « C’est l’heure des combats et des caractères », lâche-t-il encore d’une voix lasse.
Malgré l’unité de façade affichée au soir des élections, la débâcle
des européennes suscite pourtant de profondes interrogations sur
l’évolution du mouvement.
Populisme ou gauche radicale ?
Deux camps se font face et se reprochent mutuellement d’avoir
précipité l’échec de la campagne de Manon Aubry. L’un prône un retour
aux fondamentaux de la campagne présidentielle, avec un discours
populiste débarrassé de toute référence à la gauche – « Je pense que ces forces politiques ont été sanctionnées, balayées », a notamment estimé Alexis Corbière sur BFMTV mardi
soir. En se recentrant sur le dégagisme et la mise en place d’une
VIe République moins présidentielle, ce camp espère séduire les
abstentionnistes et les « gilets jaunes », qui rêvent de référendum
d’initiative citoyenne et de démocratie directe.
Le camp d’en face, incarné par Clémentine Autain, plaide de son côté
pour un positionnement de gauche radicale assumé, avec de possibles
ouvertures. « Cela suppose évidemment d’avoir des partenaires et de faire vivre le pluralisme », précise la députée à L’Obs. »C’est
exactement ce qui a été fait avec Manon Aubry [ex-porte-parole de l'ONG
Oxfam, désignée tête de liste aux européennes]« , réplique
froidement l’ancienne porte-parole Raquel Garrido, toujours proche du
mouvement, dans une vidéo diffusée sur le site de Regards. « Fondamentalement, la ligne Autain a été mise en œuvre [et] elle a pris 6% », tâcle-t-elle.
« Ce n’est jamais le bon moment pour discuter »
Au-delà du positionnement politique, les discussions portent de plus
en plus sur l’organisation du mouvement et sur l’opacité de son
fonctionnement, basé sur la garde rapprochée qui entoure Jean-Luc
Mélenchon. « Que ce soit la ligne ou la stratégie… Ce n’est jamais le bon endroit ou le bon moment pour discuter », résume un ancien « Insoumis », interrogé par franceinfo. « Nous sommes mis devant le fait accompli. Quand Jean-Luc a annoncé sa proposition de fédération populaire [des échanges entre militants en dehors des appareils], tous les militants de LFI et la quasi-totalité des cadres l’ont appris dans Libération.«
Ces critiques font écho aux départs contraints ou spontanés des
derniers mois. Au mois de janvier, par exemple, Jean-Luc Mélenchon
annonce sur Twitter le « bannissement » de son « orateur national », François Cocq. Dans un courrier adressé à la direction, révélé par Le Monde, plusieurs cadres dénoncent alors la « brutalité » de cette annonce publique et insistent sur la nécessaire »diversité » des personnalités »fidèles » au programme. L’affaire renforce encore l’image d’un dirigeant retranché derrière un état-major resserré. Un reproche balayé en avril par Jean-Luc Mélenchon, dans Libération.
LFI, c’est 4 000 comités qui fonctionnent en autonomie. Le temps long
est géré par le siège du mouvement, avec des campagnes nationales
décidées par les adhérents. Le groupe parlementaire gère le temps court
des réactions à l’actualité.Jean-Luc Mélenchonà « Libération », en avril
Le fonctionnement était déjà « vertical » au moment de la
présidentielle, assure un cadre à franceinfo, tout en précisant que
l’équipe du dirigeant était alors davantage étoffée : cela « offrait davantage de possibilités pour un débat contradictoire ». Lors de ces européennes, ce cercle »s’est réduit et le fonctionnement s’est opacifié », déplore-t-il.
Les perquisitions ont eu « un impact négatif »
Ces élections ont également constitué un test sérieux pour Jean-Luc Mélenchon, après l’épisode des perquisitions d’octobre menées au siège de LFI
et chez certains de ses responsables. Les images de son coup de sang
avaient tourné en boucle et 59% des Français interrogés alors par l’Ifop
retenaient l’adjectif « inquiétant » pour qualifier le dirigeant, soit une hausse de 21 points par rapport au mois d’avril 2017. « Une véritable rupture d’opinion », analysait l’institut de sondage, évoquant un phénomène « très rarement observé (…) s’agissant d’une personnalité politique ».
« C’était sans doute l’objectif, mais ces perquisitions ont
peut-être eu un impact négatif. Cela nous a affectés collectivement »,
reconnaît Sergio Coronado, ex-député écologiste passé sous la bannière
LFI en 2017. Un autre candidat aux européennes interrogé par franceinfo
ajoute que les militants ont « senti l’onde de choc qui a suivi l’épisode, augmentée en partie par les médias ». Ceux-ci ont parfois « été
confrontés à des réactions récurrentes sur le terrain, sur les marchés.
Ils ont constaté que cela avait fait du tort à Jean-Luc Mélenchon », figure presque exclusive du mouvement pour de nombreux Français.
L’émergence de nouvelles personnalités prend du temps et la jeune
génération incarnée par Adrien Quatennens ou Mathilde Panot peine encore
à se faire un nom auprès du grand public. Un ancien cadre de LFI juge
avec sévérité cette situation, accusant Jean-Luc Mélenchon d’absorber
toute la lumière médiatique.
Jean-Luc Mélenchon a systématiquement tenu à l’écart les profils
susceptibles de lui faire de l’ombre. Citez-moi un quinquagénaire
médiatique, hormis Alexis Corbière, d’une totale loyauté ?Un ancien
cadre de LFIà franceinfo
Danielle Simonnet, de son côté, estime que le dirigeant a toujours « favorisé l’émergence de nouvelles figures » dans le groupe qu’il préside à l’Assemblée. « Adrien Quatennens s’est illustré dès le début de la loi Travail, tout comme Mathilde Panot sur les questions écologistes », rappelle la coordinatrice du Parti de gauche. Suffisant ? « A l’heure actuelle, le mouvement ne repose plus que sur un groupe de 17 élus parlementaires, fait remarquer un cadre. Cela ne leur laisse pas le temps de faire vivre le mouvement. »
« Jean-Luc Mélenchon est le moteur »
Ces thèmes devraient prochainement nourrir les réflexions internes.
Afin de redonner du souffle au projet, Danielle Simonnet plaide pour la
création d’un « espace de coordination » entre les différentes composantes du mouvement (espaces nationaux, groupes d’action locaux…)« toutes les semaines ou tous les quinze jours ». Celui-ci pourrait par exemple accueillir des représentants des députés et eurodéputés du mouvement. « Nous l’avons toujours souhaité et cela devient plus important aujourd’hui », fait valoir l’élue parisienne. En début d’année, cet espace de dialogue avait pourtant été promis « d’ici les européennes » par Manuel Bompard, proche de Jean-Luc Mélenchon à la tête de l’équipe opérationnelle.
Pour autant, hors de question de remettre en cause la position
centrale du tribun. Mais son avenir au sein de LFI pour les prochaines
échéances électorales est, selon Danielle Simonnet, « une fausse question ». L’élection présidentielle « me paraît très très loin », préfère temporiser Sergio Coronado. « Mais
quand on a réuni 19% [au premier tour de la présidentielle de 2017], on
a selon moi des options sérieuses pour être candidat », ajoute l’ancien écologiste, alors que certains imaginent déjà le député picard François Ruffin porter les couleurs de LFI en 2022.
Les proches de Jean-Luc Mélenchon, eux, sont rapidement montés au front.« Il est quand même le moteur de ce que nous faisons, a rappelé Alexis Corbière sur BFMTV.
C’est lui qui a fait émerger ce mouvement nouveau à hauteur de près de
20% [en 2017], c’est lui qui rassemble énormément de gens dans nos
meetings. »« Il n’y a pas de dépendance à Jean-Luc Mélenchon, précise le cadre anonyme contacté par franceinfo. Un mouvement populiste s’appuie justement sur la figure d’un tribun : c’est théorisé et assumé. »
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