Sandrine Rousseau, députée Écologiste de Paris et co-rapportrice d’une mission d’évaluation sur les urgences psychiatriques. Ici le 14 novembre 2023 à l’Assemblée nationale
 
LUDOVIC MARIN / AFP
Sandrine Rousseau, députée Écologiste de Paris et co-rapportrice d’une mission d’évaluation sur les urgences psychiatriques. Ici le 14 novembre 2023 à l’Assemblée nationale

POLITIQUE - « L’effondrement de la psychiatrie met en danger les personnes malades et la société. » Samedi 3 février, deux individus ont été interpellés, respectivement à Paris et à Lyon, pour avoir menacé et blessé plusieurs personnes. Si les deux hommes ne sont pas liés, il existe néanmoins un point commun aux affaires : des troubles psychiatriques - diagnostiqués pour l’un - qui interrogent sur la place accordée à la prise en charge des maladies mentales en France.

En début de matinée samedi, trois personnes ont été blessées à Paris dans l’enceinte de la gare de Lyon. Le suspect, un ressortissant Malien en situation régulière, a « spontanément » dit souffrir de « troubles psychiatriques » et des médicaments ont été retrouvés sur lui, selon la police. Sa garde à vue a été levée dans la soirée après un examen révélant un « état psychiatrique incompatible avec la mesure de contrainte. » Le même jour à Lyon, un autre individu fiché S et « diagnostiqué schizophrène », qui menaçait des passants avec un couteau, a lui aussi été interpellé.

Ces deux cas ne sont pas isolés. En décembre 2023, une attaque au couteau faisait un mort et deux blessés dans le XVe arrondissement de Paris. Si le contexte terroriste avait été clairement établi, l’assaillant ayant fait allégeance à l’État islamique, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait agacé les professionnels de santé en pointant « un ratage psychiatrique ». À la lumière de ces faits récents, Le HuffPost s’est entretenu avec Sandrine Rousseau, députée Écologiste de Paris et co-rapportrice d’une mission d’évaluation sur les urgences psychiatriques.

Le HuffPost : samedi 3 février, une agression et une tentative d’agression ont eu lieu en France, perpétrées dans les deux cas par des personnes présentant des troubles psychiatriques. Qu’est-ce que cela révèle de l’état du suivi psychiatrique en France ?

Sandrine Rousseau : Les lacunes sont énormes. L’hôpital public d’une manière générale est en train de s’effondrer faute de personnel, et la psychiatrie, discipline un peu moins demandée que d’autres (par les étudiants en médecine, ndlr), est encore plus en difficulté. À l’issue, il y a une mise en danger des personnes malades qui représentent un danger pour elle-même, soit parce qu’elles ne sont pas soignées, soit parce qu’elles sont sorties des lits trop rapidement pour faire de la place. En parallèle, il y a aussi une mise en danger de la société par des profils comme celui qu’on a vu opérer hier.

À Lyon, il s’agissait d’un individu fiché S et diagnostiqué schizophrène. Quel est le suivi prévu pour ce type de profil ?

C’est un des nombreux sujets soulevés. En France, la législation ne permet pas d’intervention des forces de l’ordre pour une personne jugée dangereuse pour les autres - fichée S par exemple - alors même qu’on sait qu’elle a arrêté ses traitements ou le suivi psychiatrique auquel elle devait se soumettre. Il n’y a pas de possibilité d’appeler la police pour qu’ils interviennent au domicile et permettent une hospitalisation afin de reprendre le traitement. Ce n’est pas le cas en Espagne par exemple, où dans le cas de personnes jugées dangereuses pour la société, il y a une intervention de la police possible, y compris à leur domicile.

Vous êtes co-rapportrice, avec la députée Renaissance Nicole Dubré-Chirat, d’une mission d’information sur les urgences psychiatriques. Que vous ont appris les premières auditions ?

J’ai demandé cette mission à la suite d’une alerte reçue de la part des personnels de la psychiatrie. Ils étaient désespérés par la situation et ne savaient plus comment alerter sur les dangers que l’effondrement de la psychiatrie faisait courir à tout le monde.

Les psychiatres vont d’urgence en urgence et ne peuvent agir que comme des pompiers sur des situations incendiaires. Ils ne sont pas en mesure d’accompagner autant qu’il le faudrait.

Ce qui ressort, c’est à quel point la psychiatrie gère tant bien que mal l’urgence, mais n’a quasiment pas les moyens de stabiliser les personnes au long cours. Comme les infirmiers ou les aides soignants, les psychiatres soulèvent des problèmes d’éthique dans leur travail et demandent à retrouver le sens de ce qu’ils font. Ils vont d’urgence en urgence et sont confrontés à de telles déficiences de prise en charge en amont et en aval qu’ils ne peuvent agir que comme des pompiers sur des situations incendiaires. Ils ne sont pas en mesure d’accompagner les personnes autant qu’il le faudrait pour qu’elles aillent mieux et ne soient plus un danger pour elles et la société.

Face à ce constat, quelles sont les réponses les plus urgentes à apporter ?

Nous avons déjà réalisé une dizaine d’auditions et nous en faisons encore toutes les semaines. Un rapport sera remis en juin. Nous préconiserons sans doute un plan national de développement, de soutien et d’accompagnement de la psychiatrie. Cela n’a jamais été fait. Il faut évidemment augmenter le nombre de spécialistes. Il faut travailler sur l’amont, soit la prise en charge du patient avant qu’une crise grave se déclare. Et aussi travailler sur l’aval : une personne qui a des troubles psychiques suffisamment importants pour être dangereuse doit être placée dans un environnement stable, avoir accès à ses médicaments, à un suivi. Aujourd’hui, rien de tout cela n’est possible.