Enquête exclusive : le psychanalyste Gérard Miller accusé de viol et d’agressions sexuelles sous hypnose

Exclusif. - 41 femmes témoignent : nos nouvelles révélations dans l’affaire Gérard Miller

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L’affaire Miller, une réplique de l’affaire Godrèche 

Rappelons-le : l'affaire Gérard Miller et les révélations publiées dans ELLE – les témoignages d'une cinquantaine de femmes dont quatre l'accusent de viols et dix-huit d'agressions sexuelles notamment sous hypnose – sont une réplique de l' affaire Judith Godrèche. Peu de temps après que l’actrice a évoqué pour la première fois dans nos pages, en décembre, sa terrible histoire d’emprise avec le réalisateur Benoît Jacquot, l’extrait d'un documentaire sorti en 2012 par Gérard Miller, intitulé « Les Ruses du désir, l’interdit », devient viral. On y découvre le psychanalyste interrogeant Benoît Jacquot au sujet des actrices mineures avec qui il a des relations amoureuses. La complaisance de Miller avec les propos du réalisateur choque au point que le psy doit se justifier sur un plateau télé début janvier. Effet inattendu de cette séquence médiatique : cet extrait décide Judith Godrèche à désigner publiquement Benoît Jacquot comme son abuseur (elle a depuis porté plainte pour « viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans »), mais il va aussi inciter plusieurs victimes présumées de Gérard Miller à contacter le magazine ELLE pour témoigner. 

Une amitié de longue date 

Si la complaisance dans cet extrait interpelle, c'est peut-être parce qu'elle laisse transparaître une forme de connivence entre les deux hommes qui se fréquentent depuis plusieurs décennies et ont régulièrement collaboré ensemble. Benoît Jacquot l’a expliqué dans nombre d’entretiens au fil des années : il a toujours été fasciné par la psychanalyse et plus particulièrement par l’une de ses figures tutélaires, Jacques Lacan. En 1974, il sollicite son gendre, le psychanalyste Jacques-Alain Miller, époux de la fille de Lacan, et lui propose de réaliser un documentaire à partir d’entretiens entre les deux hommes (« Jacques Lacan, Psychanalyse 1 et 2 » sorti en 1974). Or, Jacques-Alain Miller n’est autre que le frère aîné de Gérard Miller avec qui Benoît Jacquot collaborera ensuite à plusieurs reprises. Dans le documentaire « Rendez-vous chez Lacan » (2010) réalisé par le cadet des Miller, Jacquot fait partie des intervenants. Tout comme dans « Transgression, les ruses du désir » en 2012, qui a fait tant de bruits donc, 13 années après sa sortie. 

Un goût commun pour l’hypnose 

En plus de la psychanalyse, Gérard Miller et Benoît Jacquot ont une autre passion commune : l’hypnose. Gérard Miller a publié un ouvrage sur le sujet, « Hypnose mode d’emploi » (Stock, 2002), dans lequel il s’intéresse dans un chapitre aux viols sous hypnose. De son côté, Benoît Jacquot s’est servi de l’hypnose comme ressort narratif dans deux de ses films. En 1997, dans « Le Septième Ciel », avec Sandrine Kiberlain, Vincent Lindon, François Berléand, puis en 2010 dans « Au fond des bois » avec Isild Le Besco. Pour la promotion du premier, il explique dans le magazine les « Inrockuptibles » que le film est une « commande » d’une productrice « pour une collection qu’elle a intitulée “Toutes les femmes sont folles” ». Il s’agit de demander « à un certain nombre de cinéastes, hommes et femmes, d’aborder un aspect de ce que peut être pour les femmes d’aujourd’hui le gouffre thérapeutique. […] Ce qui m’intéressait le plus était la psychothérapie marginale, l’hypnose », explique Jacquot. Aussi, dans « Le Septième Ciel », on découvre Mathilde (Sandrine Kiberlain), jeune femme perturbée et anorgasmique, dont le mari s’inquiète. Elle rencontre alors un thérapeute qui la « soigne » de sa dépression et de sa frigidité grâce à l’hypnose. Comment ? En lui faisant ressentir des orgasmes alors qu’elle est « totalement endormie » comme le décrit le personnage du « docteur ». Dans une scène, alors que Mathilde est hypnotisée, il remonte avec sa main sous sa robe laissant comprendre qu’il va la faire jouir à son insu. Bien qu’érotisée, cette scène décrit ni plus ni moins une agression sexuelle ou un viol sur une femme qui n'est pas en état de consentir. Mais petit miracle de l’hypnose ; Mathilde aime désormais le sexe ! Dans un article du « Monde », un journaliste écrit même : « “Le Septième Ciel” peut être lu comme une réflexion sur la jouissance de l'actrice mise en condition par son manipulateur d'inconscient. » Une vision du plaisir qui réduit la femme à un simple statut d’objet qu’on télécommande. Quelques années plus tard, en 2017 au cours d’une Leçon de cinéma à la Cinémathèque, le journaliste Frédéric Bonnaud rappelle à Benoît Jacquot un entretien qu’ils ont eu à propos du film : « Tu m’avais parlé de cinéma et de psychanalyse, de Jacques Lacan, d'hypnose. Tu m'avais raconté des anecdotes, que tu étais avec ta compagne de l'époque à un dîner de psychanalystes, et que l'un d'entre eux s'était mis à l’hypnotiser à table devant toi et tu m'avais dit : “j'ai vu le moment où il allait la faire jouir et j'ai arrêté ce petit jeu.” ». Sur son compte Instagram, l’actrice Judith Godrèche a tenu à corriger hier : « Il parle de son ami Gérard Miller. Il ne s’est rien passé à ce dîner, il “réaménage” la réalité comme d’habitude. À ce dîner, Gérard Miller s’est vanté de ses prouesses. Benoît Jacquot en a fait un film. » Lorsque l’on visionne « Le Septième Ciel » aujourd’hui, difficile de ne pas ressentir un malaise tant le film fait écho aux témoignages glaçants des victimes présumées de Gérard Miller.   

Hypnose : l’impossible consentement  

13 ans après, « Le Septième Ciel », Benoît Jacquot explore à nouveau le thème de l’hypnose. Dans « Au fond des bois », il s’inspire cette fois-ci d’un fait divers datant de 1865 : le procès pour viol sous hypnose commis par Thimoté Castellan, un ouvrier, sur Joséphine Hugues, une jeune femme vierge de 26 ans à la morale irréprochable. Pourquoi cette histoire a-t-elle passionnée Benoît Jacquot ? Il s’explique dans le dossier de presse du film : « Si je suis, pour ma part, absolument rétif à toute hypnose, je m’y intéresse beaucoup et depuis longtemps, bien avant de faire du cinéma. J’ai assisté à des séances très impressionnantes avec des gens que je connaissais bien et qui m’ont marqué.» Pour décrire son film, le réalisateur poursuit : « C’est l’histoire d’une jeune bourgeoise, qui vit avec son père, le médecin de la région, et qui est entrainée, enlevée, violée semble-t-il, par un vagabond, qui a décidé de s’emparer d’elle. Elle le suit au fond des bois pendant plusieurs jours, et la question que pose le film, à mes yeux, est tout simplement de savoir si c’est de gré ou de force. Dans le film, le gré et la force sont intimement mêlés, tressés, enchevêtrés ; ils sont rendus aussi ambivalents que possible, d’une manière qui, pour moi, devait être presque vertigineuse. » Pourtant, rien dans son film ne semble ambigu : la jeune femme jouée par Isild le Besco est manipulée psychiquement par le vagabond, totalement sous joug telle une marionnette, et se fait violemment violer à de multiples reprises. Dans l’histoire de Joséphine Hugues, la question du consentement n’a d’ailleurs jamais fait aucun doute, ni à l’époque (Un jury d'assises l’a condamné à douze ans de bagne, une peine lourde pour l’époque mais justifiée par le recours du violeur à l'hypnose, qui aurait empêché sa victime de résister), ni plus tard comme en témoigne l’historienne Nicole Edelman avec son livre « L’impossible consentement, l’affaire Joséphine Hugues » paru en 2018. Dans notre enquête sur Gérard Miller, Camille – l’une des témoins qui accuse le psychanalyste de viol –, raconte s’être retrouvée, après une séance d’hypnose à son domicile, incapable de réagir alors qu’il l’aurait agressée : « J’étais comme une poupée de chiffon qu’on déshabille et à qui on peut faire ce que l’on veut. » Comme Joséphine Hugues, 150 ans plus tôt.