Le Sud-Finistère est réputé pour ses conserveries de poissons.
https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2002-3-page-61.htm
La conserverie de poisson, 1939-1945 : une activité sinistrée ?
Guerres mondiales et conflits contemporains
2002/3 (n° 207)
- Pages : 160
- ISBN : 9782130527251
- DOI : 10.3917/gmcc.207.0061
- Éditeur : Presses Universitaires de France
Au début de l’été 2001, je commençais des recherches sur les conserveurs de poissons installés sur les côtes de Manche et d’Atlantique. En ce qui concerne la période courant de 1939 à 1944, la plupart des sources bibliographiques signalaient les très grandes difficultés rencontrées par les pêcheurs et l’impossibilité pour les fabricants de continuer leurs activités [1][1] J. Sainclivier, La Bretagne dans la guerre, 1939-1945,…. Mais, à la lecture des rares statistiques retrouvées, il apparaît que ces affirmations sont loin d’être fondées. M. Marie d’Avigneau me fournit la confirmation de mes doutes après m’avoir affirmé que le Bulletin de la pêche de la sardine et du thon, propriété de son grand-père François Gasnier, ne cessa de paraître au cours du conflit, en fournissant toutes les semaines les tonnages débarqués dans chaque port et les prix de vente [2][2] A. Marie-d’Avigneau, L’industrie des conserves de…. Pourquoi une telle feuille aurait-elle été achetée par les mareyeurs et les conserveurs, si ces derniers n’avaient travaillé les poissons en question ? En fait, la pêche de la sardine et du maquereau en particulier, perdure pendant toute la Seconde Guerre mondiale sur le littoral atlantique et l’activité des usiniers concernés ne s’éteint pas. Qu’en était-il vraiment ?
2Pendant
les années 1936, 1937 et 1938, les trois dernières années normales
avant les hostilités, les conserveries de poissons des côtes bretonne,
vendéenne et basque travaillent une moyenne de 20 000 t. de sardines
fraîches et un tonnage équivalent de thons, maquereaux et sprats par an,
mais dès le début du conflit les difficultés d’approvisionnement
interdisent d’améliorer la production pourtant en forte hausse. Les
menaces de guerre ont déjà poussé le ministère de la Marine à mettre en
place une organisation plus rationnelle des marchés et de la pêche ; il
demande aussi aux conserveurs de moderniser leurs équipements pour
traiter des quantités plus importantes de sardines. De son côté et dès
septembre 1939, le Service du Ravitaillement prend en main
l’organisation de la distribution et de l’approvisionnement des usines ;
les services des subsistances de l’Armée assurent l’achat des produits
car ils demandent quant à eux la livraison de 1 000 t. de conserves de
poisson par mois. Les industriels doivent respecter certaines
contraintes pour parvenir à fournir en temps et heures l’effort de
guerre et s’astreindre à un règlement plus strict. Ainsi les prix sont
fixés avant la campagne et les matières premières, fer-blanc, huile,
charbon… sont attribuées en fonction des capacités de chaque usine. Les
conserveurs se plient assez facilement à ces quotas dans la mesure où
tous savent que « les demandes de l’Intendance sont illimitées » [3][3] Rapport d’activité du syndicat des conserveurs du…
et que les stocks seront vendus sans difficulté. Mais, en mai 1940,
l’huile se fait attendre et les entrepôts coloniaux sont hors
d’atteinte ; celle d’arachide est rare et celle d’olive est «
introuvable ». Les 8 300 t. de fer-blanc nécessaire pour la campagne
estivale n’arrivent toujours pas. Raoul Dautry, le ministre de
l’Armement, préconise l’emploi de bocaux de verre pour remplacer le
métal tant attendu. Les sardines ne parviennent plus non plus aussi
facilement à quai ; d’une part 20 % des marins-pêcheurs sont mobilisés
et d’autre part le gazole est rationné, les chaloupes ne peuvent
effectuer convenablement leur pêche au large. Les camions de plus de
2 t. de charge utile aussi ont été réquisitionnés par l’armée. Ils sont
remplacés par des voitures particulières transformées en camionnettes
mais les transports ne sont pas faciles et les usines ne sont plus
approvisionnées régulièrement. Pourtant, et les statistiques le
prouvent, la production atteint son plus haut niveau de la décennie
en 1940. Cette année-là plus de 201 usines travaillent sur le littoral
atlantique alors qu’on en comptait 162 l’année précédente [4][4] Enquête sur les positions statistiques des Unions…
et les industriels se débrouillent déjà comme ils peuvent pour remplir
leurs boîtes : une note, par exemple, prévient les fabricants du
Finistère qu’ils disposent de 90 t. d’huile de palme disponibles à
Quimper [5][5] Archives du syndicat des conserveurs du Finistère,… pour les conserves à l’huile.
3Mais
les difficultés s’amoncellent et le Syndicat des conserveurs bretons
s’inquiète. En juin, plus aucun billet de banque ne circule et, du
simple fait de l’impossibilité de payer les marins, la pêche est
suspendue. Les Chambres de commerce de Quimper, Lorient et Nantes
décident alors d’émettre des bons de paiements garantis par la banque de
France bien que certains membres pensent « qu’il suffit d’attendre une
quinzaine de jours la signature de l’armistice [laquelle] permettra la
reprise des affaires » [6][6] Archives CCI Quimper, séance du 25 juin 1940. Marcel….
On note la grande combativité et l’esprit de sacrifice du
vice-président et conserveur de l’assemblée quimpéroise, Marcel Chacun.
La Chambre de commerce de Lorient est plus ardente puisqu’elle donne à «
M. le Président du Conseil l’assurance de sa plus entière
collaboration… pour mener à bonne fin la lutte entreprise contre
l’hitlérisme » [7][7] Archives CCI Lorient, séance de juin 1940.,
mais, comme prévu, l’armée allemande s’installe dans une France vaincue
et occupée. Les littoraux de Manche et d’Atlantique sont immédiatement
soumis aux ordres des troupes d’occupation où leur présence est dense.
Les cantonnements sont nombreux et les servitudes qui en découlent
pesantes. « Rien n’échappe à la vigilance des occupants qui veulent
exercer leur contrôle… sur les stocks. » [8][8] Dominique Veillon, Vivre et survivre en France, 1939-1947,… Ce joug pesant n’empêche nullement les réunions des Chambres de commerce et des Syndicats de conserveurs.
4À
Quimper, lors de la séance du 16 juillet 1940, la situation est jugée «
plus que préoccupante, extrêmement grave ». Les Allemands ont envahi la
France ? L’Assemblée a voté les pleins pouvoirs constitutionnels au
maréchal Pétain ? Non, le stock d’huile est épuisé à Nantes et à
Bordeaux ! Il est « à peu près inexistant. Le prix en serait de 1 080 F
les 100 kg livrables en petites quantités et paiement comptant » [9][9] Archives du syndicat des conserveurs, Quimper. Quimper,…
et nous sommes au plus fort de la campagne. De plus, le 25 juillet, la
préfecture de Quimper interdit toute livraison de charbon afin de
constituer un stock de sécurité mais les conserveurs s’insurgent contre
cette mesure car les réserves accumulées sont promptement utilisées par
les troupes allemandes alors que leurs grils et stérilisateurs ne
peuvent fonctionner. Toute la profession se plaint : « … l’année 1940
marque l’avènement de l’économie dirigée, la mise en tutelle de
l’industrie de la conserve, l’instauration de la répartition, le blocage
des marchandises, la suppression de la concurrence et de toute liberté
» [10][10] Archives du syndicat des conserveurs, Quimper. Quimper,….
De la guerre par elle-même, il n’en est jamais question et seuls les
intérêts de la profession sont évoqués. D’ailleurs, pendant les cinq
années d’occupation, si les réunions sont de plus en plus espacées,
elles continuent de regrouper l’ensemble des membres au moins deux fois
par an. Chose extraordinaire, il n’est jamais fait allusion directement à
la guerre ; à une seule reprise, le mot « allemand » est utilisé à
Quimper : il s’agit de répondre aux « réquisitions de l’armée allemande
» formulées en août 1940. Dans ce but, le président du Syndicat des
conserveurs bretons adresse à tous les adhérents une lettre leur
enjoignant d’accueillir favorablement les désirs de l’armée allemande [11][11] J’ai l’honneur de vous accuser réception de l’ordre….
La grande majorité d’entre eux, sous la responsabilité de leur
président, accepte sans que jamais l’envahisseur ne les oblige à traiter
avec eux [12][12] Annie Lacroix-Riz, Industriels et banquiers sous l’occupation,… ;
d’ailleurs, ils ne risquent guère d’ennuis financiers. Les conserves de
sardines se vendent très bien en Allemagne qui était déjà avant-guerre
l’un des premiers pays importateurs. Le haut commandement de la Wehrmacht (OKW)
est très vite persuadé qu’il est de son intérêt d’encourager la reprise
rapide d’activité des conserveries au bénéfice de l’effort de guerre
allemand [13][13] Arne Radtke-Delacor, La place des commandes allemandes….
Les armées au combat réclament des quantités toujours croissantes de ce
produit alimentaire pratique, nourrissant et sain. Les fabricants sont
assurés de vendre toute leur production sans aucune difficulté malgré la
moindre qualité des produits. Seule la conserverie Noël Larzul décide
de cesser complètement le travail et ferme définitivement ses portes
durant les cinq années de guerre pour éviter de fournir l’occupant [14][14] Conversation avec M. Larzul..
Pour les autres, le Trésor public paye directement et généreusement
toutes les dépenses de cantonnement et de logement engagé par les
soldats allemands en plus des frais journaliers définis par l’article 18
de la convention d’armistice. « Il semble bien au total, qu’il ne
faille pas trop s’inquiéter pour les industriels ayant subi des
réquisitions de stocks ou de fabrication en cours » [15][15] R. De Rochebrunne, J.-C. Hazera, Les patrons sous…
et d’ailleurs une circulaire est édictée le 25 juillet 1940 pour
rembourser le plus rapidement possible les industriels sollicités par
les Allemands. De plus, les commandes locales sont effectuées par les
troupes allemandes donc au prix du marché : il ne s’agit que très
rarement de réquisitions payées en tant que réparations des dommages
causés donc sans bénéfice.
5Au cours des années suivantes, c’est par des contrats librement consentis de livraison de produits et d’exécution de commandes [16][16] Annie Lacroix-Riz, op. cit., p. 127.
que l’Allemagne dispose dès 1941 d’une grande part et toujours
croissante de la production nationale de conserves alimentaires. En
effet, le 5 novembre 1940, les accords Mund-Manaut établissent que 33 %
de la production de conserves de poisson seront prélevés pour l’armée
d’occupation. Cet acte est considéré alors comme une victoire par les
Français qui craignaient des prélèvements proportionnels plus
importants. Et puis les Allemands eux-mêmes s’emploient à préserver
cette industrie en la classant parmi les entreprises protégées ou S-Betriebe, tout comme les Forges d’Hennebont lesquelles fournissent l’indispensable fer-blanc [17][17] J. Sainclivier, op. cit., p. 106. En 1939, les Forges….
Les relations s’améliorent même au cours des semaines, si l’on croit
l’accord signé en 1941 entre les conserveurs français intéressés et le
Syndicat allemand des basses températures. Celui-ci propose de fournir
le matériel de congélation rapide, alors inconnu en France, nécessaire
pour augmenter les productions sous forme de légumes et de fruits
congelés essentiellement. La collaboration technique est manifeste dans
ce cas et les 12 usiniers convaincus produisent 8 200 t. en 1942 [18][18] L’Aurore, le 14 octobre 1944, « L’industrie de la….
Il faut croire que les investissements sont rentables car l’année
suivante, ils sont 19 usiniers à disposer du matériel allemand. Dans
l’ensemble les fabricants se satisfont de cette situation car nous ne
notons aucune doléance ou plainte particulières des conserveurs pendant
toute l’Occupation, sinon celles évoquant les difficultés
d’approvisionnement et les mauvaises conditions d’exercice et de vente.
Alors que de nombreux corps de métiers connaissent des jours beaucoup
plus difficiles et le font savoir comme les commerçants dans leur
ensemble, les fabricants de meubles, les entreprises de travaux publics.
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