C'est une des surprises que l'on a avec le visionnage de la vidéo de l'attaque au couteau de dimanche dans le métro de Lyon, dont les autorités ont promptement demandé le retrait pour violation du secret de l’enquête et recel de violation du secret de l’enquête.
Voir ici :
https://satanistique.blogspot.com/2024/05/la-video-de-lattaque-au-couteau-de.html
Mais tout n'y est bien évidemment pas visible et on se doute que le premier des Africains attaqué, celui au bonnet blanc, qui est a priori le Guinéen de 16 ans qui dès dimanche était annoncé comme le blessé le plus grave, doit être resté au fond de la voiture à droite, hors du champ de la caméra, dans un sale état.
Voici le récit d'une autre attaque au couteau et de ses conséquences, pour un seul coup de couteau porté à l'abdomen, tandis que la vidéo de l'attaque de Lyon permet d'observer une multiplicité de coups relevant d'un acharnement rageux sur au moins deux victimes :
https://www.vice.com/fr/article/avbqw5/ce-que-ca-fait-de-se-faire-planter-909
Ce que ça fait de se faire planter
Ça s'est passé le 25 novembre 2012 à Damgan, une petite station balnéaire du Morbihan. Trois amis jouent tranquillement aux fléchettes au Jockey, le bar PMU du village. Parmi eux se trouve Yoan, alors âgé de 24 ans. Originaire de l'Essonne, il a déménagé en Bretagne deux ans auparavant pour rejoindre Soazic, rencontrée sur Internet. En dehors des trois amis et du patron derrière le comptoir, seul un client est présent en cette fin d'après-midi. Il a la cinquantaine usée, l'hygiène douteuse, des tatouages sur les doigts et un petit chien pour seul compagnon. Depuis son tabouret, l'homme enchaîne les verres au même rythme que les injures en direction des trois jeunes gens.
Vers 17 heures, l'un des deux amis de Yoan quitte le bar pour reprendre son poste d'animateur au centre de loisirs. La partie de fléchettes continue à deux, devant les invectives répétées de celui qui a toutes les caractéristiques d'une épave. Agacé, Yoan finit par répondre et le ton commence à monter. Il s'approche de l'homme en question qui garde une main dans la poche de blouson pour lui demander : « C'est quoi ton problème ? » Il a à peine le temps de finir sa phrase. Une lame de couteau lui transperce alors le côté gauche du bas-ventre. Yoan a accepté de me raconter la suite.
VICE : Qu'est-ce que l'on ressent quand on se prend un coup de couteau ?
Yoan :
Sur le moment, je n'ai pas vraiment ressenti la douleur. C'était plus
une sorte de petite décharge électrique. Après le coup, il a ressorti le
truc aussi sec et je lui ai sorti : « Mais t'as fait quoi ? » Il m'a
fallu un petit moment pour comprendre son geste.
Tu n'as pas immédiatement compris ce qui venait de se passer ?
J'ai
capté en voyant ma main pleine de sang après avoir soulevé mon t-shirt.
J'ai fait quelques pas, du comptoir jusqu'à la terrasse, avant de
m'appuyer sur le rebord de la fenêtre. L'un de mes deux potes s'est
précipité vers moi. Il est parti vomir aux toilettes en apercevant les
dégâts. Le mec a fait ça avec un grand couteau à huître avec un crochet
au bout. Je ne comprenais pas trop ce qui m'arrivait ; puis j'ai remis
ma main à l'endroit de la blessure une seconde fois et j'ai vu que tout
sortait. Je sentais un truc tout dégueulasse, chaud et visqueux –
c'était mon intestin en fait.
Infernal. Où était ton assaillant à ce moment-là ?
J'étais
encore debout, tant bien que mal, et là le type m'a regardé droit dans
les yeux en sortant un truc du genre : « Hé, faut pas me chercher. »
J'ai fini par tomber au sol en revenant à l'intérieur du bar.
Tu as perdu connaissance ?
Même
pas, parce que je me souviens bien que le mec n'a pas cherché à fuir.
Il a donné son adresse au patron du bar, sachant qu'il se ferait
balancer avant de prendre sa voiture pour rentrer chez lui. Pour ma
part, j'étais allongé au sol, je perdais beaucoup de sang. C'est là
qu'est intervenu le patron du bar. Il a tenté de faire rentrer à nouveau
dans mon bide tout ce qui dépassait, et il a fait un point de
compression avec des torchons qui traînaient.
Coup de chance, il y avait un pompier qui vendait des calendriers dans la rue. Il a pris le relais et a appelé ses collègues. Je suis resté conscient jusqu'à l'arrivée des sapeurs-pompiers, sans pouvoir parler. Je restais concentré sur le plafond. Dès que je fermais les yeux, je me disais qu'ils n'arriveraient jamais à temps. Le patron du bar, Philippe, m'a mis une grande claque en gueulant : « Reste ici ! » Vite, la nouvelle s'est répandue et plusieurs proches sont arrivés dans le bar. Je me souviendrai toujours de la tête de mon beau-père. Le mec a vécu des situations tendues mais là, il était complètement hagard.
Du fait de l'hémorragie interne, les médecins ont dû ouvrir pour laver les organes et vider le sang accumulé dans mon ventre. C'est cette ouverture qui explique la taille de ma cicatrice aujourd'hui.
Les secours arrivent, donc. Que se passe-t-il ensuite ?
Sur
le trajet en direction des urgences, les pompiers m'ont mis sous
kétamine tellement je souffrais. À la moindre secousse du camion,
j'avais l'impression que mon bide s'ouvrait. Dès le départ je leur ai
dit : « On arrête là, je peux pas. » Une fois sous perfusion, je me suis
mis à rire : j'étais totalement défoncé. En arrivant à l'hôpital, ils
m'ont laissé 45 minutes sur le lit sans rien pouvoir m'administrer parce
qu'on m'avait donné un truc trop fort sur le chemin.
Ensuite je suis passé au bloc. L'opération s'est bien passée et je suis sorti vers minuit, un peu plus de deux heures après le début de l'opération. Du fait de l'hémorragie interne, les médecins ont dû ouvrir pour laver les organes et vider le sang accumulé dans mon ventre. C'est cette ouverture qui explique la taille de ma cicatrice aujourd'hui ; le trou de l'entaille en elle-même n'est pas énorme. Au final ils m'ont retiré cinq centimètres d'intestin grêle, c'était le seul organe perforé.
Que faisaient tes proches pendant ce temps-là ?
Le
plus dur, ça a été pour ma copine ; elle était sans nouvelles entre 19
heures et une heure du matin. Elle a dû attendre tout ce temps, cinq
heures, pour être sûre que j'étais encore vivant. Le truc qui m'a un peu
dégoûté après coup, c'est que les pompiers ont tout de suite imaginé
une embrouille entre jeunes. Ils n'arrêtaient pas de me questionner,
genre « Ils étaient combien ? » alors qu'il n'y a pas eu de bagarre. Le
type m'a planté, direct.
Qu'est-il arrivé à ton agresseur pendant ce temps ? Il s'est fait serrer, j'imagine.
Il
a été arrêté le soir même à son domicile avec deux grammes d'alcool
dans le sang. Il attendait les gendarmes avec plein de canettes vides
autour de lui.
Bonne méthode. Et ensuite ?
Il
a fait ses 48 heures de garde à vue et a été placé sous contrôle
judiciaire dans l'attente du jugement – mais sans interdiction de
territoire. Au final il est rentré chez lui avant que je sorte de
l'hôpital. Tous mes proches le croisaient. Il se baladait dans les rues
de Damgan, ça faisait un peu flipper Philippe. À part ça, personne n'a
jamais retrouvé le couteau.
À quoi a ressemblé ta convalescence ?
J'ai
été hospitalisé cinq jours. Je suis rentré chez moi blanc comme un
cachet, avec 10 kg en moins sur la balance. J'ai passé tout mon premier
mois entre mon lit et le canapé. Une infirmière venait chaque jour
refaire mon pansement et j'étais soumis à un traitement assez lourd à
base de codéine. J'ai mis trois semaines à récupérer la totalité de mon
sang, il en manquait une grosse quantité. Globalement, j'étais incapable
de faire quoi que ce soit.
Qu'est-ce que tu pouvais faire, du coup ?
À
la moindre activité, du genre passer le balai, mes jambes tremblaient.
C'est ma copine qui m'a enfilé mes chaussettes pendant trois semaines.
Après un autre mois de repos, j'ai commencé la rééducation : trois
séances de kiné par semaine. Mon ventre était complètement déformé. On a
commencé par des massages, ensuite du vélo puis des exercices de
gainage. Après 45 minutes de séance je rentrais à l'appart épuisé comme
si je revenais d'un marathon.
Au niveau de ton job, comment ça s'est passé ?
L'arrêt
de travail de trois mois prescrit par le médecin prenait fin le 28
février 2014. J'ai donc enchaîné les entretiens d'embauche, en me
gardant bien d'évoquer les faits. J'ai retrouvé du travail deux semaines
plus tard dans le bâtiment, mon secteur d'activité depuis la fin de mon
CAP. Le médecin du parquet n'était pas emballé à l'idée de me voir
reprendre un boulot physique. Mais bon.
Et sur le plan judiciaire ?
Mon
père, qui est gendarme, m'a aidé à entamer les premières démarches. Une
association d'aide aux victimes m'a également indiqué une liste
d'avocats spécialisés dans ce type d'affaire. Pour payer les honoraires,
j'ai été obligé d'emprunter 1 500 euros à mes grands-parents. Les
premiers contacts avec l'avocat nous ont rassurés. Pour lui, il
s'agissait d'un dossier simple parce qu'il y avait un coupable et
surtout, des preuves.
Début janvier on a rencontré le juge d'instruction qui a décrit mon agresseur comme étant « non violent ». C'était très dur à entendre ; on avait l'impression que c'était limite moi le coupable. La date du procès était fixée au mois de mai 2014 et mon agresseur était poursuivi pour « blessures aggravées à l'arme blanche ». Les gendarmes qui ont procédé à l'interpellation m'ont dit que cela aurait mérité des poursuites pour tentative d'homicide. Cinq jours avant l'audience, on a reçu un courrier nous annonçant que le procès était reporté au mois de septembre à cause d'un mandat de dépôt au tribunal d'instance de Vannes. Sauf qu'entre-temps, mon agresseur a fait un arrêt cardiaque.
Ah. Ça n'a pas dû faciliter la procédure.
Un
de ses amis l'a retrouvé mort dans son appartement après une soirée.
Pour nous, c'était la grosse tuile. L'avocat nous a annoncé qu'il y
aurait forcément une perte sur les indemnités car l'aspect humain n'est
pas pris en compte dans les négociations entre les caisses d'assurance.
Depuis, je n'ai plus trop de nouvelles. Et puis c'est dur de se bouger
en sachant que la moitié de la somme passera en frais d'avocat.
Aujourd'hui je pense plutôt à monter le dossier de demandes
d'indemnisations moi-même.
Je comprends. Quel est ton sentiment sur cette histoire plus de trois ans après ?
Je
suis partagé. D'un côté, j'ai échappé au pire : heureusement que
l'assaillant faisait 20 centimètres de moins que moi sinon j'y passais.
Même chose sans l'intervention de Philippe, le patron, comme me l'a
rappelé le chirurgien. D'un autre côté je suis véner quand je regarde le
traitement judiciaire. Puis, il y a les gens qui pensent que la mort de
l'agresseur m'a « fait plaisir » ou que sais-je, ça me rend dingue
d'entendre ça.
Je me retrouve aujourd'hui avec une cicatrice de 20 cm à vie sur le bide sans avoir rien demandé, 6 000 euros de frais d'hôpitaux et des répercussions sur la santé de certains proches. Mais je m'en fous de l'argent, je veux juste poursuivre le procès pour que le mec soit reconnu coupable aux yeux de la loi française. Après tu peux tourner la page. C'est tout ce que je souhaite.
Flamen Keuj est sur Twitter.
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